Par son discours du 9 mars, le Roi a annoncé l'avènement d'une révolution tranquille. En effet, en faisant sa mue, la monarchie s'est projetée dans un schéma de gouvernance moderne et équilibré faisant la démonstration de sa capacité d'adaptation, qui in fine, est annonciatrice d'une ouverture possible pour des réformes encore plus audacieuses. Les nouvelles perspectives ouvertes par le discours royal et les changements qui lui seront subséquents mettront en place une configuration nouvelle notamment pour le travail et la militance politique. En effet, le Maroc post-référendaire de 2012 aura besoin de ses élites pour gérer le changement avec ce qui en découlera en termes de foisonnement de demande institutionnelle et de responsabilités. Il aura besoin de ses élites pour développer et disséminer au sein de la population les ingrédients des cultures politique, économique et juridique en phase avec la nouvelle réalité constitutionnelle en devenir. Il aura besoin de ses élites pour intégrer et démultiplier le souffle et l'énergie qui se sont dégagés du mouvement de la jeunesse du 20 février pour les fructifier dans des cycles vertuels dont les moteurs seront la liberté, la démocratie, la solidarité et l'efficacité. Cette nouvelle réalité nous impose des défis énormes dont le premier est de nous voir dans le miroir. L'élite économique dont certaines composantes se nourrissent de la rente, fuient l'impôt, exportent les capitaux, blanchissent l'argent ou se complaisent dans la corruption sont-elles prêtes à prendre le train du changement ou bien faudra-t-il les extraire comme des dents pourries. La CGEM, en tant que structure fédérative des patrons aura à faire du ménage, proposer des projets de lutte contre les crimes économiques et contribuer à développer et à généraliser l'action citoyenne et responsable de l'entreprise marocaine. L'élite politique et syndicale qui se targue de défendre la démocratie sans jamais l'appliquer à elle-même préférant tasser la question ou l'enjamber grâce à des compromis bancals de circonstance ou à des approches consensuelles, est-elle disposée à faire sa mue, sa mise à niveau ou son habilitation ? Car il faut reconnaître que le Makhzen en tant qu'autorité est non seulement une structure historiquement reliée au palais, mais également un état d'esprit qui a essaimé et colonisé pas mal de syndicalistes et d'hommes politiques générant des sous-clones autoritaires qui sévissent toujours. Or, la démocratie a besoin de démocrates. C'est pourquoi, les partis politiques comme les syndicats, doivent visiter leur cour intérieure et se mettre au travail pour épouser dans les textes (Les statuts) comme dans la pratique les valeurs qui fondent la démocratie libérale, rediriger leur énergie vers les populations au lieu de la perdre dans les frictions internes, favoriser le développement des leaderships et faciliter le transit générationnel. Plus encore, la contribution des partis dans la construction du pays passera désormais par leur capacité d'organisation et leur force de proposition. La façon actuelle de faire la politique qui s'appuie sur le développement de l'argumentaire pour mener des réforme sera insuffisante si elle n'est pas confortée par leur ordonnancement et la déclinaison du « comment les faire » et l'identification des bénéficiaires en termes de territoire, de catégorie sociale, de classe d'âge, etc. Autrement dit, la politique dans les pays démocratiques dont on veut la proximité, n'est pas une affaire de slogan, mais de vision et d'experts ! Les intellectuels qui sont censés innover, provoquer et faire bouger les lignes ont été soit domestiqués par le système de la rente (Course aux postes, travail a minima, etc.), soit reversés dans les affaires soit encore repliés dans la douceur des salons ou empêtrés dans la médiocrité d'une université défaillante. Leur expectative dans les circonstances actuelles de bouleversements massifs laisse perplexe car une telle démission est un passif qu'il faudra sérieusement considérer. J'en exclus bien sûr (Illa man rahima rabbouka), la poignée de militants vertueux membres actifs de la société civile ou politique et les créateurs dont le dynamisme rafraîchissant va accompagner sans coup férir le rebond de la nation. Le redéploiement de la partie désarticulée de la machine intellectuelle nationale est un défi de taille qu'il ne faut pas négliger. Le Roi a donc fait sa part. Une part audacieuse, crédible et sincère qui inaugure une ère nouvelle. Et cette ère nouvelle installe les structures partisanes et syndicales et les intellectuels dans une zone d'inconfort car le biais systémique ne pourra plus fonctionner comme un alibi aux piètres performances, à l'immobilisme ou à la médiocrité. La gesticulation lyrique dans laquelle baigne le pays et l'euphorie qui s'est installée ne doivent pas nous faire oublier l'envergure des efforts qui doivent être menés. Plus vite nous commencerons par nous dire nos quatre vérités, plus vite nous libérerons les énergies, plus vite nous atteindrons la ligne de départ de cet immense chantier de la modernité.