Ce fut l'une des éditions les plus mémorables du festival national du film ; la quatrième, celle qui s'est tenue à Tanger, il y a vingt ans, presque jour pour jour, du 2 au 9 décembre 1995. C'était le temps où le festival était encore nomade, circulant de ville en ville, proposant, à l'image de ces marchands ambulants des récits de mille et une nuits, son lot de films récoltés entre deux éditions. Les années 90, avaient commencé sous de bons auspices avec des succès foudroyants de films marocains au box office avec notamment Un amour à Casablanca de Abdelkader Lagtaâ et à la recherche du mari de ma femme de M. Tazi. Arrivé à Tanger, le festival avait commencé à tenter une périodicité rapprochée : la troisième était organisée à Meknès en 1991, près de sept ans après la deuxième (Casablanca, 1984). C'était donc un moment euphorique pour la profession d'avoir pu réussir un nouveau rendez-vous dans des délais corrects. Le festival n'est pas né annuel, faut-il le rappeler aux amnésiques qui tentent de réinventer l'histoire du cinéma marocain...mais c'est de la petite histoire. Tanger va se révéler très vite une ville idéale pour une manifestation cinématographique d'envergure. Cité millénaire inscrite dans l'imaginaire artistique collectif, dotée d'infrastructures touristiques, une vie nocturne digne des grandes villes. A cela s'ajoutait en ce décembre béni, une pluie fine et rafraichissante donnant à l'ambiance générale du festival une aura magique qui reste indélébile dans la mémoire des cinéphiles qui avaient pris part à cette édition ...même si la salle, au nom mythique Le Goya, qui abritait la compétition officielle entamait déjà son déclin ; elle finira par être fermée quelques années plus tard. Elle abritera cependant un événement qui se révélera de dimension historique : l'ouverture de la compétition officielle aux cinéastes marocains de la diaspora. Tanger 1995 entrera dans l'histoire du cinéma marocain comme un tournant décisif, comme le moment qui vit l'arrivée d'une nouvelle génération, la naissance d'une vague cinématographique. La sélection officielle de la 4ème édition était juste correcte pour les longs métrages : dix films étaient en lice en compétition officielle devant un jury présidé par Abdellatif Laabi. Le comité d'organisation avait entamé un débat interne sur la possibilité d'inviter les jeunes cinéastes marocains de l'étranger (la France notamment) pour participer au festival et prendre part à la sélection officielle. Certains voyaient cela d'un mauvais œil et à partir d'un point de vue corporatiste étroit. Il faut rendre hommage ici au cinéaste Abdelkader Lagtaâ qui a brillamment défendu l'idée de cette ouverture, soutenue par les représentants du CCM. Ce fut, le bon choix : la compétition officielle du court métrage voit alors débarquer des jeunes cinéastes, dont certains avaient déjà à leur actif deux courts métrages. Ils s'appellent Nabil Ayouchprésent à Tangeravec trois courts métrages : Les pierres bleues du désert (avec un certain Jamel Debbouze dans le premier rôle), Hertzienne connexion et Le vendeur du silence ; Ismail Ferroukhi avec L'exposé ; Hassan Legzouli avec Le marchand de souvenir ; Myriam Bakir avec Demain on tourne ; Rachid Boutounes avec Noces en sursis ; Mhmaed Ulad Mhand avec un Américain à Tanger ; et Nordine Lakhmari avec Notes brèves...Ce fut un coup d'éclat. Une réussite totale. Lakhmari notamment avec un court métrage d'une maîtrise quasi-académique fit sensation. Le jury ne pouvait que conforter ce choix : Notes brèves obtint le Prix spécial du jury et le Prix de la presse ; Ayouch, le prix de la meilleure réalisation pour Le vendeur du silence ; Ismail Ferroukhi, le prix de la première œuvre...et du coup une nouvelle page de l'histoire du cinéma marocain était ouverte. Elle sera enrichie par des apports similaires de nouvelles générations qui font la richesse et la diversité du cinéma marocain d'aujourd'hui.