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«Au Maroc, on ne peut pas encore vivre du métier de scénariste»
Entretien avec la jeune scénariste marocaine Hanane Guennoun
Publié dans Albayane le 05 - 06 - 2013

Entretien avec la jeune scénariste marocaine Hanane Guennoun
Où en est-on aujourd'hui en matière de l'écriture scénaristique dans nos productions ? Quels sont les facteurs entravant l'évolution du cinéma marocain ? Peut-on parler au Maroc d'une production cinématographique professionnelle ? Ces questions et bien d'autres constituent la trame de la présente interview avec un talent en la matière qui a découvert le monde artistique à un âge précoce.
Pour Hanane Guennoun, l'avenir du cinéma marocain s'annonce prometteur avec de nouvelles plumes ou encore des idées d'une jeune génération pleine de création et qui un nouveau sang dans les veines du 7e art national. Hanane prépare actuellement un projet de téléfilm (une comédie romantique réaliste) et trois projets de court-métrage. Cette jeune active, ravissante et amoureuse de sa culture et son identité marocaines, a accepté gentiment notre invitation. Entretien.
Al Bayane : Est-ce par hasard que vous êtes-vous venue au monde de l'écriture scénaristique?
Hanane Guennoun : Peut-on vraiment appeler cela un hasard ? Je crois plutôt que je porte en moi, depuis assez longtemps, cette passion pour l'écriture scénaristique. C'est sans doute elle qui m'a conduite vers des études cinématographiques, audiovisuelles et artistiques. J'attendais juste le bon moment pour me lancer, et puis un jour, je me suis vu proposer un projet de co-écriture pour un scénario de film marocain. Ce que j'ai fait avec dévouement, je crois...
Pour vous, être scénariste ça veut dire quoi?
Pour être scénariste il faut être cinéphile, il faut aussi aimer lire et savoir déployer son imagination. Faire également la différence entre s'inspirer de grands (ou de petits) films et voler des parcelles de ces derniers, en pensant ainsi bafouer un public, qui, au fond, est le principal producteur. Mais pour être scénariste au Maroc, il faut, avant tout, être conscient que l'on ne peut pas encore vivre de ce « métier ».
Parlez-nous de votre collaboration avec l'acteur et réalisateur marocain Hakim Noury dans l'écriture du scénario du film «Bout du monde»?
Permettez-moi de rappeler que ma première collaboration avec Hakim Noury remonte à février 2009. Nous avons dans un premier temps co-écrit un long métrage qui a été rejeté par la commission du Fonds d'aide du CCM. En résumé, il s'agissait sur un fond comique des déboires d'un jeune marocain qui découvrait son homosexualité. Immédiatement après cette première tentative, nous avons attaqué l'écriture de 30 épisodes d'une sitcom, qui n'a lui aussi pu récolter que refus au niveau du Fonds d'aide. En 2010, enfin, Hakim Noury m'a exposé l'idée d'un long métrage que nous avons ensuite travaillé ensemble. Je peux vous avouer que nous y avons investit beaucoup de notre temps et de nos affects respectifs. Le scénario a été accepté par la commission du Fonds d'aide. Après l'euphorie de la bonne nouvelle, après avoir soutenu Noury, non seulement en tant que scénariste mais aussi dans des tâches techniques qui concernent normalement le réalisateur et son assistant, après avoir aussi lancé un casting à Paris pour le premier rôle féminin, j'ai commencé à comprendre, petit à petit, qu'un scénariste, pour ne pas être déçu ou frustré, ne doit pas se mêler de ces aspects de la production. Le premier rôle féminin a été accordé à une comédienne, qui, avec tout le respect que je lui dois, ne correspond absolument pas à l'univers narratif du film, et ce, vraisemblablement, pour des considérations de cachet. Le réalisateur et la production on jugé nécessaire, pour des raisons d'économie (toujours), d'extraire les scènes «qui risquaient de coûter cher». Résultat : d'après des amis qui ont vu le film, et certains échos dans la presse, ce travail a été un flop. Je suis triplement frustrée, parce qu'à ce jour, je n'ai pas reçu la copie DVD du film et que je dois me contenter des avis et des dires des autres, parce que Hakim Noury, humainement et artistiquement, vaut mieux qu'un flop (même quand le flop permet économie et bénéfice), et parce qu'au fil de ma collaboration avec lui, au fil de 14 h d'écriture par journée, je n'imaginais aucunement un tel dénouement pour une telle expérience dans laquelle nous nous sommes investis, sans aucune économie de l'effort ou de la volonté.
Au Maroc, d'après vous, peut-on parler d'une production cinématographique professionnelle?
Oui. Les moyens techniques et humains sont de qualité. Le problème à mon avis réside principalement dans la question des fonds. Rarement le capital privé ose aujourd'hui encore se hasarder dans le domaine cinématographique, et le CCM ne parvient à produire que quelques films par an. Notre filmographie nationale s'appauvrit, et ce n'est pas de cette façon que la concurrence créative verra le jour et améliorera le niveau des réalisations.
Avez-vous une idée sur le statut des scénaristes marocains?
Non. A part un peu de précarité, un peu de difficultés auxquelles vient s'ajouter la «boutade» des appels d'offres au niveau des chaînes de télévision, je ne connais rien sur le statut de scénariste au Maroc. Si, peut-être une chose encore, au risque de me répéter : le scénariste marocain ne peut encore vivre de ce qu'il aime faire, à savoir imaginer, rêver des films et les écrire.
Croyez-vous que cette branche de l'écriture scénaristique a eu une grande importance dans les programmes de nos écoles de cinéma?
On ne peut pas véritablement apprendre à écrire à quelqu'un. C'est un don. C'est comme chanter. Mais on peut améliorer un don, lui permettre de s'accomplir et de se déployer. Naturellement, les règles et la technicité de l'écriture audiovisuelle sont à inscrire dans les programmes des écoles, mais la qualité d'un travail dépend avant tout de la culture personnelle du scénariste, de son imagination et sans doute aussi de ce grain de folie nécessaire je crois à toute œuvre artistique digne de ce nom.
Quel regard portez-vous sur la production cinématographique nationale de ces dernières années?
Comme tous les enfants de ma génération, j'ai la nostalgie des années 70 et 80, quand, avec moins de moyens de production (d'un point de vue technique), certains réalisateurs arrivaient à créer des films que l'on a encore envie de regarder aujourd'hui en 2013. Mais le Maroc n'est pas le seul pays qui connaît cet état de perdition cinématographique, c'est valable pour toute la région, l'Egypte y compris. Mais je reste optimiste, car il y a de temps à autre des films qui se démarquent et nous ne sommes jamais à l'abri de belles surprises que nous font régulièrement de jeunes réalisateurs. Deux exemples de bonnes surprises ces dernières années : «Heaven's doors» des frères Noury, et «Les chevaux de dieu» de Nabil Ayouch.
Vous pensez que le problème réside essentiellement dans la qualité des scénarios?
Comme dirait Ionesco, à force d'être caressé, le cercle de la production devient vicieux. La qualité des scénarios dépend de la réalité dans laquelle évolue le scénariste, elle dépend aussi des exigences du réalisateur, qui généralement tient à y imprimer son empreinte. Pour sa part, le producteur, pour des raisons techniques ou économiques, peut ou veut apporter son grain de sel. Sans oublier le contexte social et ses contraintes, ce public invisible qui vit dans le cerveau du scénariste et qui peut l'amener à censurer de lui-même son travail. Si on prend en considération tout ce parcours que suit le scénario avant d'éclore pour se transformer en œuvre de cinéma, oui, tout réside dans la qualité de l'écriture.
Quel est le dernier film que vous avez vu?
Les chevaux de dieu.
Votre écrivain préféré ?
Il faut vraiment n'en citer qu'un ? Franz Kafka, sinon j'aime aussi les œuvres d'Ahmed Bouzfour et Abdelhadi Saïd.
Une chanteuse...
Aussi bien Fatna Bent Lhoussine que Nina Simone.
Quel message voulez-vous transmettre aux jeunes cinéastes marocains?
Je n'ai pas de message édulcoré à leur transmettre, mais aux jeunes cinéastes comme aux jeunes tout court, je dirai que l'art permet à l'artiste et au public d'éviter de s'abandonner à ces forces obscures qui hantent les peuples. Malgré tout, il faut continuer, car arrêter c'est simplement mourir.
Question traditionnelle : Quels sont vos projets artistiques à venir?
J'ai un projet de téléfilm (une comédie romantique réaliste), trois projets de court-métrage et je commencerai, quand je serai prête, à chercher un producteur.


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