Les conservateurs du Parti Populaire (PP) ont remporté, dimanche, à la majorité absolue les dixièmes élections législatives de l'Espagne démocratique. Leur victoire était attendue et n'a surpris personne. Toutes les circonstances avaient joué à leur faveur au moment où le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE – majorité sortante) se débattait dans la lutte contre le chômage, la dette souveraine et l'usure du pouvoir d'achat des catégories vulnérables. Le triomphe de la droite et la débâcle des socialistes en Espagne s'apprêtent à une lecture multiple. Les conservateurs doivent leur victoire beaucoup plus aux erreurs commises par le PSOE (à des facteurs exogènes) qu'à leurs propres mérites. Le PP, qui refusait de prêter main forte au gouvernement dans la recherche de remèdes adéquats à la crise, avait préféré laisser pourrir la situation et perfectionner un discours alarmiste pour semer le désarroi au sein de la société. Durant la campagne électorale, il s'était abstenu de révéler en détail son programme de gouvernement. Les conservateurs avaient, en outre, préparé leur retour au pouvoir (qu'ils avaient perdu aux élections de mars 2004) en restructurant leurs files, purger les délégations régionales du parti d'éléments opposés à leur leader, Mariano Rajoy, et, prendre comme cible préférée dans leurs attaques José Luis Rodriguez Zapatero, leader socialiste et président du gouvernement. Cette stratégie a finalement donné ses fruits dans la mesure où les socialistes étaient incapables d'asseoir une direction forte de leur parti, rassembler les courants de la gauche autour d'un programme social commun et créer un climat sain de concertation avec les syndicats. Le PSOE s'effondre de manière scandaleuse au point que le PP réussit à s'emparer de la majorité absolue au parlement et de remporter une victoire inédite de la droite depuis la restauration de la démocratie en 1978. Ceci ne signifie guère qu'il avait réuni plus de votes que lors des élections de 2008. Il lui a uniquement suffi d'améliorer de 400.000 votes les scores obtenus durant les élections législatives précédentes pour obtenir une large victoire de 180 sièges contre 110 pour les socialistes. Ce triomphe est dû surtout à la perte de 4,4 millions d'espagnols qui avaient voté en faveur du PSOE en 2008 et à un taux d'abstention plus élevé de 28,31% (contre 26,15% en 2008). Du coup, les socialistes ont perdu 59 sièges par rapport à la précédente législature. Autre facteur déterminant est la fragmentation de la gauche. La somme des votes réunis par les formations représentant des courants progressistes se sont élevés à plus de 2,3 millions. Le triomphe de la droite est aussi le résultat de la grogne des masses qui appuient traditionnellement la liste socialiste. Le PP a ainsi réussi à améliorer de 20% sa majorité sociologique qui est de près 8,5 millions de votes alors que les socialistes ont perdu près de 40% de leurs appuis (4,4 millions de votes par rapport à 2008). Ceci signifie qu'une bonne partie des socialistes a décidé d'investir son espoir en d'autres candidats de la gauche. Dans ce contexte, il est notoire la progression de la Coalition de la Gauche Unie qui a gagné 700.000 nouveaux appuis par rapport à 2008, ce qui lui garantit un total de 11 députés à la chambre basse (contre deux en 2008). L'Union Progrès et Démocratie (UPyD), créée par une dissidente du PSOE il y a seulement quatre ans, a récolté cinq sièges, dont quatre à Madrid (1 en 2008). Equo, un parti écologiste, a réuni 215.000 votes sans obtenir pour autant de siège de député. Il s'agit finalement d'un transvasement de votants du PSOE à d'autres partis d'obédience socialiste. Même scénario s'est reproduit quant au sénat où le PP a remporté 136 sièges (contre 101 en 2008) alors que la représentation du PSOE est passée de 88 à 47 sénateurs. Quelle conclusion peut-on tirer du changement de majorité en Espagne ? D'abord, Alfredo Perez Rubalcaba, candidat du PSOE, a reconnu la défaite de son parti et a immédiatement réclamé la tenue d'un congrès du parti. Les socialistes ont hâte de changer de direction. C'est la fin du cycle de Zapatero. Ensuite, Mariano Rajoy, grand triomphateur des élections du 20 novembre, a tendu la main à tous pour tirer le pays de la crise reconnaissant le moment délicat par lequel passe le pays. Il s'agit d'un discours diamétralement opposé à celui qu'il prônait alors dans l'opposition. Enfin, les partis minoritaires ont appelé la majorité de droite à faire preuve d'un talent dialoguant et ne pas recourir à des mesures drastiques qui pourraient rendre encore plus dure la vie aux masses populaires. Un fait significatif est représenté par le retour de la gauche basque d'Amaiur, un complexe conglomérat de groupuscules basques qui compte dans ses files des activistes indépendantistes et anciens membres de l'organisation séparatiste ETA. Il a remporté sept sièges de députés et plus de 330.000 votes, soit le score le plus important au pays basque. La Coalition Iniciativa Per Catalaunya (au pouvoir en Catalogne) a obtenu 16 sièges, un chiffre qui la convertit pour la première fois la formation qui a obtenu le plus de votes en Catalogne. Au lendemain des élections, la carte politique de l'Espagne a totalement changé. Le PP a remporté la majorité absolue dans la quasi-totalité des régions autonomes (à l'exception de la Catalogne et du pays basque) alors que les socialistes ont perdu leur dernier bastion, l'Andalousie. De manière que les conservateurs, qui gouvernent dans la majorité des régions autonomes, vont avoir les mains libres dans la gestion des affaires publiques, la politique territoriale et l'adoption des lois sans nécessite de recourir à un potentiel appui au parlement. Dans ce contexte, de nombreux acquis obtenus sous le mandat des socialistes risquent de sauter en pièces. C'est le cas de la gratuité des services publics, la régularisation de la situation des immigrés ou l'égalité des sexes. Le triomphe du PP a mérité des titres évocateurs à la Une de la presse espagnole d'audience nationale pour mettre en relief la majorité obtenue par la droite. El Pais titre : «la crise attribue tout le pouvoir à Rajoy» alors qu'El Mundo écrit : « le mandat du changement». Pour ABC, il s'agit d'un « triomphe historique ». La Razon meuble toute la première page avec le titre suivant : «confiance absolue». Publico titre : «droite socialiste…débâcle socialiste». Résultats définitifs à l'issue du dépouillement de 100% des votes : Total des votants: 24.590.557 soit 71,69% (73,85% en 2008) Abstention: 9.710.775 soit 28,31% (26,15% en 2008) Votes nuls: 317.886 soit 1,29% (0,64% en en 2008) Votes en blanc: 333.095 soit 1,37% 1,11%.