Les mots sont en allemand : «Seigneur, tu es le Dieu de la paix...» Dans ce qui fut l'usine de mort d'Auschwitz-Birkenau résonne pour la première fois dans une cérémonie depuis la libération du camp, il y a soixante et un ans, la langue de ceux qui exterminèrent là plus de 1,1 million de personnes de toutes origines, dont 1 million de juifs. Le chancelier Helmut Kohl, en 1989, ou le président allemand Roman Herzog, en 1995, s'étaient recueillis en silence. Devant le mémorial de gros blocs de pierre noire de Birkenau, l'ex-cardinal bavarois Joseph Ratzinger a voulu prononcer une prière dans sa langue maternelle pour appeler à la réconciliation. Sur le même sujet C'est ensuite en italien qu'il a reconnu, dans son discours, toute la difficulté «pour un chrétien et pour un pape venu d'Allemagne» de prendre la parole «dans ce lieu d'horreur, d'accumulation de crimes contre Dieu et contre l'homme ne pouvant être comparée à aucune autre dans l'Histoire». Il connaît le poids des mots. Il sait qu'ils seront disséqués lors de cette étape historique qui clôt son voyage de quatre jours en Pologne, sur les traces de Jean Paul II. Polonais et donc fils d'un pays victime, Karol Wojtyla fut, en 1979, le premier pape à se rendre dans ce qu'il appela «le Golgotha du monde contemporain», une métaphore évoquant le lieu où le Christ vécut son martyre, ce qui déchaîna l'indignation des nombreuses organisations juives. Jean Paul II sut ensuite trouver d'autres mots et devenir le pape le plus profondément engagé dans le dialogue avec le judaïsme, allant prier en 1986 à la synagogue de Rome, puis en 2001 au mur des Lamentations, à Jérusalem. Devoir. Enrôlé de force au temps de son adolescence dans les Jeunesses hitlériennes, Benoît XVI est, lui, fils du pays qui créa le nazisme, même si les Allemands en ont aussi été les victimes. «Je ne pouvais pas ne pas venir en tant que pape. C'était et c'est un devoir vis-à-vis de la vérité et des droits de ceux qui ont souffert, un devoir devant Dieu», a affirmé le pape, qui, contrairement à son prédécesseur en 1979, a explicitement prononcé le mot Shoah («anéantissement», en hébreu). Mais il a aussi voulu souligner que les crimes nazis étaient le fait d'«un groupe de criminels» qui, par la démagogie et la terreur, ont «abusé» du peuple allemand pour s'en servir «comme instrument de leur soif de destruction et de domination». Ces phrases qui semblent dédouaner l'Allemagne de ses responsabilités ont créé un certain malaise. «C'est un discours très émouvant, même s'il aurait pu y avoir des phrases plus fortes. Mais sa simple présence ici est un cri contre l'antisémitisme», a dit le grand rabbin de Pologne, Michael Schudrich, victime la veille d'une agression à Varsovie (lire encadré). Le pape avait tenu à franchir seul la grande porte du camp surmontée de l'inscription «Arbeit macht frei» («le travail rend libre»). Puis, sous un ciel noir traversé d'un arc-en-ciel, il s'est rendu à Birkenau. Un parapluie blanc tenu par un aide le protégeait pendant qu'il se recueillait là où était le coeur de ce complexe de mort industrielle. «Je lui ai souhaité beaucoup de forces pour qu'il continue ce que Jean Paul II faisait et ce que moi je fais humblement au quotidien : oeuvrer pour la paix dans le monde», a déclaré l'un des 32 rescapés du camp qu'il a salués, Henryk Mandelbaum, juif polonais de 83 ans, l'un des six rescapés du Sonderkommando chargé de vider les chambres à gaz et de brûler les cadavres. «Témoins». Théologien très proche de Jean Paul II qui en fit son gardien du dogme, Joseph Ratzinger est autant que son prédécesseur convaincu que «juifs et chrétiens sont appelés à être témoins ensemble des vérités divines». En août 2005, à l'occasion des Journées mondiales de la jeunesse de Cologne (Allemagne), il s'est rendu à la synagogue de la ville pour y prier et y parler du «crime inouï de la Shoah», dénonçant «la folie de l'idéologie nazie qui puise sa source dans le néopaganisme qui ne reconnaissait pas la sainteté de Dieu et donc niait la sainteté de la vie humaine». Hier, il est revenu sur ce thème. Les nazis étaient hostiles à la religion chrétienne et ont cherché à éliminer les juifs, peuple témoin de Dieu, «pour tuer Dieu». Cette conception, rappelée aussi par Jean Paul II, est critiquée par les responsables juifs, qui, au contraire, estiment que l'antisémitisme génocidaire du régime nazi s'est développé sur le terreau de l'antijudaïsme chrétien.