Le crescendo de la curée politico-médiatique contre le Premier ministre algérien Ahmed Ouyahia, en fonction depuis 2003, ne laissait guère de doutes sur son sort. Son absence lors de l'accueil à Alger, les 16 et 22 mai, du président vénézuélien Hugo Chavez et du Premier ministre turc Tayyib Erdogan confirmait que ses jours étaient comptés. Une langue de bois exemplaire a mis fin mercredi soir à ce faux suspens et sauvé les apparences d'un régime qui les place au-dessus de tout. Ahmed Ouyahia a «présenté sa démission au président de la République qui l'a acceptée et lui a rendu hommage » et l'a remercié pour «le soutien total (qu'il lui a) apporté durant trois ans». Dans la foulée, Abdelaziz Bouteflika a désigné le nouveau chef du gouvernement : Abdelaziz Belkhadem, ministre d'Etat et actuel patron du FLN, l'ancien parti unique. Coïncidence : cet islamo-conservateur, très proche de Bouteflika, est aussi l'homme qui a mené toute l'offensive contre Ahmed Ouyahia, soutenu en cela par les islamistes « modérés » du MSP. Officiellement, c'est un projet de révision de la Constitution qui est à l'origine du conflit entre Ahmed Ouyahia et son désormais successeur. Abdelaziz Belkhadem a en effet proposé de la modifier pour permettre un troisième mandat pour le président et transformer le quinquennat actuel en ... septennat. Une idée qui vise autant à satisfaire la volonté de pouvoir d'Abdelaziz Bouteflika qu'à signifier qu'il n'est pas aussi malade qu'on le dit. Une polémique sur les augmentations de salaires de la Fonction publique réclamées par Abdelaziz Belkhadem a scellé le sort d'Ahmed Ouyahia. Le tout sans que le chef de l'Etat ne souffle mot de ce harcèlement contre son Premier ministre de la part de l'un de ses fidèles et deux partis de la coalition présidentielle. De là à penser que Abdelaziz Bouteflika voulait se débarrasser de son Premier ministre, il n'y a qu'un pas difficile à ne pas franchir. Surtout quand le prétexte principal invoqué contre Ahmed Ouyahia, lui aussi président d'un parti, disparaît avec son remplacement par le leader du FLN lui même : cette formation et les islamistes du MSP affirmaient en effet que l'ex-chef de gouvernement ne pouvait assurer la «neutralité» des élections législatives de 2007 ! En réalité, le changement annoncé mercredi soir n'obéit que de loin à des considérations idéologiques. Il exprime en revanche un nouveau rapport de forces au sommet du pouvoir algérien. Une situation que résume le «Quotidien d'Oran». «On aurait tort d'y voir un islamo-conservateur face au moderne, un réconciliateur face à un éradicateur », écrit ce journal dans une allusion à la personnalité du démissionné qui fut un ardent partisan de la politique «éradicatrice» menée contre les islamistes au cours de la guerre civile de la décennie 90. Tout se passe en effet comme si Abdelaziz Bouteflika se sentait aujourd'hui suffisamment fort pour imposer sa vision et ses hommes. Cela revient pour lui à tenter aujourd'hui de s'affranchir, ou au minimum de prendre ses distances, d'une tutelle qui reste pesante, même si elle lui a permis d'imposer en 1999 son élection pour un deuxième mandat aux « décideurs » militaires : celle des services de renseignements et de leur chef, le général Touwfik Mediène. Or, Ahmed Ouyahia est un pur produit de la nouvelle génération des technocrates formés par le DRS, les services secrets, que les Algériens appellent toujours la Sécurité Militaire. « A lui seul, il symbolise le système dans son insondable façon de fonctionner et ses jeux d'ombre (...) Il incarne incontestablement cet homme à tout faire du régime. Et tire une immense fierté de “servir son pays”, quitte à exécuter le sale boulot», résumait jeudi la presse algérienne. Dans ce contexte, la maladie d'Abdelaziz Bouteflika ne pouvait que précipiter les manœuvres de coulisses en vue de son éventuelle succession. Or le poulain du chef de l'Etat était incontestablement Abdelaziz Belkhadem, tandis que le DRS prépare depuis toujours Ahmed Ouyahia. Le changement de Premier ministre à Alger pourrait donc bien constituer une relance des luttes de clans au sommet de l'Etat. Au moment où les caisses du pays sont pleines, mais où les émeutes sociales, aussi brèves que violentes, se multiplient sur tout le territoire.