D'après le deuxième rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) rendu public hier, 1 013 suicides ont été recensés en 2016 au Maroc. Le pays n'a cependant toujours pas mis en place de stratégie nationale de prévention dans ce sens. C'est un chiffre qui, à lui seul, donne toute la mesure de l'importance de cet enjeu de santé publique : toutes les 40 secondes, une personne met fin à ses jours, a annoncé hier l'Organisation mondiale de la santé (OMS) dans un rapport rendu public lundi 9 septembre, «Suicides dans le monde», à la veille de la Journée mondiale de la prévention du suicide, qui a lieu chaque année le 10 septembre. Le suicide est la deuxième cause de décès chez les jeunes âgés de 15 à 29 ans, après les traumatismes dus aux accidents de la route. Dans la tranche d'âge 15-19, c'est la deuxième cause de décès chez les jeunes filles, et la troisième chez les garçons, indique l'OMS dans ce rapport. Ce dernier note également que 79% des suicides dans le monde ont lieu dans les pays à revenu faible et intermédiaire, les pays à revenu élevé ont le taux le plus élevé (11,5% pour 100 000 habitants). «Près de trois fois plus d'hommes que de femmes mettent fin à leurs jours dans les pays à revenu élevé, alors que dans les pays à revenu faible et intermédiaire, les différences entre hommes et femmes sont plus ténues», ajoute l'OMS. Reconnaître l'existence du suicide au Maroc Au cours des cinq années depuis la publication du premier rapport mondial de l'OMS sur le suicide, en 2014, l'institution onusienne souligne que «le nombre de pays disposant de stratégies de prévention du suicide a progressé», mais ne plafonne qu'à 38 à peine. Au Maroc, point de stratégie de prévention : les autorités n'ont pas élaboré de registre national pour recenser le nombre de suicides et de tentatives. «Depuis la publication des premiers chiffres par l'OMS en 2014, il ne s'est rien passé. Il n'y a pas eu d'actions de prévention au niveau national», nous dit Meryeme Bouzidi Laraki, présidente-fondatrice de l'association «Le Sourire de Reda», seule ONG à œuvrer au Maroc dans la prévention du suicide depuis 2009, date de sa création. «Les premiers chiffres qui ont été officiellement communiqué, et qui ont officialisé de fait le suicide au Maroc, c'était en 2014, par la gendarmerie et le ministère de la Santé. Nous avons ensuite eu les chiffres de l'OMS en 2014, relatifs à la période 2010-2014, lors de la publication d'un premier rapport [de l'OMS], mais je peux vous affirmer qu'entre 2010 et 2014, il n'y avait aucun chiffre sur le suicide au Maroc, accessible en tout cas. Nous avons justement essayé de contacter l'OMS pour savoir de quelle manière ils ont pu produire ces chiffres, sachant qu'ils n'en avaient pas, mais nous ne savons pas. Pour nous, c'est un mystère», réagi Meryeme Bouzidi Laraki. Les données communiquées par les autorités marocaines ont toutefois permis de reconnaître l'existence du suicide au Maroc, pratique que condamnent les lois religieuses, toutes religions monothéistes confondues. «Pour nous, c'est une grande avancée.Il faut désormais élaborer une stratégie nationale afin de prévenir les passages à l'acte dont les suicides et tentatives, mais aussi les autres types de passages à l'acte que peuvent être les addictions, les troubles alimentaires ou comportementaux, la radicalisation… Si notre travail en tant qu'association a été de lever le tabou, la prévention ne peut se faire qu'avec tous les acteurs principaux nationaux.» Meryeme Bouzidi Laraki Esprit clanique Dans son rapport, l'OMS dénombre au Maroc 1 013 suicides en 2016 – 400 chez les hommes et 613 chez les femmes. Globalement, les méthodes de suicide les plus courantes sont la pendaison, l'auto-empoisonnement par les pesticides et les armes à feu. «L'intervention qui a dans l'immédiat le plus fort potentiel de réduction du nombre de suicides est la limitation de l'accès aux pesticides qui sont utilisés délibérément pour s'empoisonner», indique l'OMS. Le Sri Lanka est un exemple à suivre en la matière : une série d'interdictions a entraîné une baisse de 70% du nombre de suicides et, d'après les estimations, a permis de sauver 93 000 personnes entre 1995 et 2015. «Si le moyen de se suicider est immédiatement et facilement accessible, on a plus de risques que la personne passe à l'acte. Or, plus ce moyen est difficile d'accès, plus on a de chances d'éviter un passage à l'acte. Il faut essayer d'éloigner au maximum les moyens de suicide pour élargir davantage les possibilités d'intervention de l'extérieur.» Meryeme Bouzidi Laraki Pour la présidente de l'association, les psychologues et psychiatres ne sont pas les seuls à pouvoir intervenir auprès d'une personne en souffrance. «C'est simplement dire à l'autre qu'on peut l'écouter et être là pour lui», glisse-t-elle. Meryeme Bouzidi Laraki reconnaît toutefois que notre culture du XXIe siècle n'est pas toujours propice à l'écoute de la souffrance d'autrui, trop pressés que nous sommes. «La particularité du Maroc, c'est que nous ne sommes pas aussi avancés dans cette individualisation. Nous avons encore conservé un esprit clanique, y compris dans les grandes villes. C'est notre force et ce peut être une ressource intéressante à exploiter dans la prévention du suicide», nous explique encore Meryeme Bouzidi Laraki. Dans le sillage de cette prévention, «Le Sourire de Reda» est membre de l'ONG Befrienders Worldwide (représentants Maroc), qui vient en aide aux personnes envisageant le suicide ou en proie à une détresse émotionnelle. Elle est présente dans 32 pays avec 349 centres d'écoute. «Nous avons reçu un nombre impressionnant de demandes d'aides de jeunes Marocains qui sont passés par ce réseau», assure Meryeme Bouzidi Laraki. Par ailleurs, l'association travaille avec l'université du Québec à Montréal (UQAM) sur la gestion de crise et lance un appel à recrutements d'écoutants bénévoles pour sa helpline «Stop Silence», en version française et arabe. De son côté, l'OMS mène une campagne d'un mois sur la prévention du suicide. A cette occasion, l'organisation va publier une brochure avec des recommandations pour les cinéastes et créateurs de séries télévisées. Les études ont montré que les «gens qui sont vulnérables imitent» les suicides lorsqu'ils sont montrés en détail sur des écrans, d'après Alexandra Fleischmann, experte scientifique à l'OMS.