Dans une interview au Monde, le chercheur François Héran estime que la France n'a pas été suffisamment active dans l'accueil des migrants durant la crise de 2015. Un constat qui n'est pas sans rappeler les débats houleux pendant le projet de loi asile et immigration. La France croulerait sous l'arrivée des migrants, entend-t-on çà et là. Il n'en est rien pourtant, estime le chercheur François Héran, titulaire de la chaire migrations et sociétés au Collège de France. Réagissant à la publication, mardi 15 janvier par le ministère de l'Intérieur, des chiffres annuels de l'immigration en France, le sociologue estime que «la France est très loin d'avoir pris sa part pendant la crise» de 2015. Deux jours après le coup d'envoi du grand débat national, qui doit notamment aborder la question de l'immigration, François Héran estime, dans une interview au Monde, qu'«on fourvoie nos concitoyens en leur laissant croire que nous serions assaillis par la demande d'asile. Le grand débat a bien d'autres enjeux». D'après les chiffres du ministère de l'Intérieur, 250 550 premiers titres de séjour ont été délivrés en 2018. Un chiffre quasi identique à l'année 2017. A titre de comparaison, le Canada cherche à porter le nombre d'immigrants à 300 000 par an, «soit l'équivalent de 600 000 chez nous, puisque le pays est deux fois moins peuplé !», tient à souligner le chercheur. En France en revanche, «l'immigration économique représente seulement 12% des titres [32 815 titres en 2018 dont 3 000 saisonniers]. Quant aux étudiants internationaux [82 580 titres en 2018], la composante qui progresse le plus sur le long terme, elle est difficile à réduire sans porter atteinte à la politique d'influence de la France», ajoute-t-il. Stratégie hasardeuse Pourtant, l'annonce de l'augmentation des frais d'inscription récemment annoncée risque de porter un coup au leadership culturel de l'Hexagone. Cette hausse «frappera durement les étudiants africains. Il y a là une contradiction. On ne peut pas, d'un côté, prétendre développer la francophonie et, de l'autre, empêcher les francophones de venir en France», analyse le sociologue. Des propos qui s'inscrivent notamment dans le sillage de l'avis de la Cour des comptes, qui y voit là une stratégie hasardeuse. D'autant que selon Campus France, six pays africains figurent sur la liste des dix pays qui envoient le plus d'étudiants en France, dont le Maroc. Rien que l'année dernière, la France a accueilli 39 855 étudiants marocains pour l'année universitaire 2017-2018, occupant ainsi la première place. «Plus globalement, 45% des étudiants étrangers présents en France sont originaires du continent», ajoute Campus France. Or, ce chiffre risque de baisser en cas d'augmentation des frais d'inscription annoncée dès la rentrée prochaine. De plus, Le Monde rappelle que le président Emmanuel Macron, dans sa lettre aux Français publiée dimanche, propose de «fixer des objectifs annuels» en matière d'immigration. «Un serpent de mer», répond François Héran, qui rappelle qu'en 2008, le rapport de la commission sur le cadre constitutionnel de la politique d'immigration «avait conclu qu'il était impossible de plafonner les titres de séjour sans miner le droit d'asile et le regroupement familial». Et d'ajouter : «Comment imaginer que la France puisse se retirer des conventions internationales qui les garantissent ? On ne fixe pas le niveau des droits de l'homme au gré des circonstances : on les respecte ou on les résilie.» Une position qui n'est pas sans rappeler les débats houleux sur le projet de loi asile et immigration, adopté le 1er août 2018 par l'Assemblée nationale, pour lequel un millier d'amendements avait été déposé. Jugé déjà très sévère par les associations de défense des migrants et des députés de la majorité, le texte avait été durci par les sénateurs, qui avaient adopté plusieurs mesures en commission des lois, notamment l'article 1er qui donne la possibilité au Parlement de tenir un débat annuel sur la politique migratoire de la France. Ainsi, sur la base d'un rapport rédigé par le gouvernement qui fait un bilan migratoire sur les dix années passées, le Parlement détermine pour les trois années à venir le nombre d'étrangers admis à s'installer durablement en France. A l'image des «objectifs annuels» suggérés par Emmanuel Macron.