Le ministre d'Etat chargé des droits de l'homme a convoqué jeudi les associatifs et les militants des droits de l'homme à une rencontre consacrée au «partage des informations et des données» et à la «présentation de propositions» pour résoudre la crise du Rif. Ce vendredi, place à l'évaluation de la démarche de Mustapha Ramid avec Ahmed El Hayej, Boubker Largo et Mohamed Nech-Nach. Le Hirak, son contexte général et les programmes de développement lancés par le gouvernement dans la province d'Al Hoceima ont fait l'objet d'une rencontre, jeudi à Rabat, organisée par le ministère d'Etat chargé des droits de l'homme. Un tête-à-tête avec les associations et les instances de la société civile pour discuter des derniers développements, indique l'agence officielle MAP. Que pensent les associatifs de ce pas entrepris par Mustapha Ramid et des grandes lignes de cette rencontre qui a duré plus de cinq heures ? Nous avons posé la question ce vendredi au président de l'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH), présent à ce rendez-vous. Ahmed El Hayej plaide pour la libération des détenus avant tout Pour Ahmed El Hayej, la convocation des activistes des droits de l'homme est une démarche à saluer. «Nous considérons que l'initiative est positive. La société civile est unanime sur le fait que l'approche de l'Etat n'a pas été très bonne», confie-t-il. Ahmed El Hayej rapporte aussi que les ONG ont «insisté sur le fait que le premier pas doit être en faveur de la libération de l'ensemble des détenus». «Nous avons obtenu l'engagement de Monsieur Ramid d'intervenir auprès du ministre de la Justice pour que Silya Ziani soit libérée s'il s'avère que son état est critique, comme le rapportent ses avocats. Il y a des signes positifs, mais il faut d'abord commencer par la situation des détenus afin de résoudre la crise, mettre fin à la grogne sociale et ouvrir les canaux du dialogue. On a frappé à toutes les portes des élus, des partis politiques et des syndicats. Pourquoi refuse-t-on toujours de s'adresser aux personnes qui encadrent le Hirak et sont écoutées par la population? Il faut être réaliste et aborder les choses comme elles sont.» Le président de l'AMDH revient également sur le contenu de l'exposé présenté par Mustapha Ramid : «Il y avait aussi un exposé consacré à la version du gouvernement sur la situation à Al Hoceima, mais l'exécutif a insisté sur le rapport de la Coalition marocaine des instances des droits de l'homme.» La rencontre s'est en effet étalée sur deux points essentiels : l'incendie du bâtiment abritant les forces de l'ordre à Al Hoceima et les événements survenus en marge d'un match de football entre le Chabab Rif d'Al Hoceima et le Wydad de Casablanca. Le ministère a présenté le rapport de la coalition comme un document «impartial qui s'est basé sur des impressions et des faits sans preuves», estime Ahmed El Hayej. Or, «le rapport, [qui] évoque plusieurs points comme la torture, l'intervention des forces de l'ordre, les étapes du Hirak et les tentatives des policiers de réprimer les manifestations pacifiques (…), pointe aussi du doigt l'absence de coopération de la part des autorités locales». «Ces dernières ont refusé les sollicitations de la commission d'enquête formée par les associatifs», déplore-t-il. Ce dernier de conclure : «Le Maroc a beaucoup perdu dans ce dossier et perdra encore s'il continue avec l'approche qu'il a entreprise lors du Hirak.» Boubker Largo : il faut prendre en considération l'avis de la société civile Pour sa part, Boubker Largo, président de l'Organisation marocaine des droits de l'homme (OMDH), qualifie de «très positif» le fait que le gouvernement ait choisi de «dialoguer», même après plusieurs mois. «Depuis le décès de Mohcine Fikri, nous avons demandé à ce qu'il y ait un dialogue sérieux entre les différents intervenants. Toutefois, cela a pris du retard puisque nous avions déjà organisé une conférence en décembre 2016 au sujet de la relation entre les autorités et les citoyens, et émis une série de recommandations. Si le gouvernement en avait pris note, on aurait évité ce qui s'est passé dans le Rif», déclare-t-il. A l'instar du président de l'AMDH, Boubker Largo souligne le caractère unanime des associatifs sur la nécessité de libérer les détenus du Hirak. «Lors de la rencontre, l'ensemble des associations et des organisations des droits de l'homme ont été unanimes sur le fait que le retour au calme dans la province d'Al Hoceima dépend de la libération des détenus. Elles avaient déjà mentionné cette condition dans des communiqués et lors de sorties médiatiques, mais ça a été de nouveau mis en exergue lors de cette rencontre. Nous espérons que la voix de la société civile à travers ces recommandations sera prise en considération : généralement sur la gestion de la chose publique et particulièrement sur la gestion du dossier du Hirak d'Al Hoceima.» Le président de l'OMDH ajoute que les ONG sont toutefois «conscientes que la libération [des détenus] et l'abandon des poursuites est une décision politique». «On ne demande pas à ce que l'exécutif s'ingère dans les décisions du pouvoir judiciaire», précise-t-il. Mustapha Ramid enfin dans son rôle, selon Mohamed Nech-Nach Même son de cloche auprès de Mohamed Nech-Nach, porte-parole de l'Initiative civile pour le Rif, selon qui «tout le monde s'est mis d'accord sur le fait qu'aucune solution ne peut être envisagée sans la libération des détenus, surtout ceux qui n'ont commis aucun crime - et ils sont nombreux». «Il faut les libérer pour calmer les esprits, d'autant que nous sommes à la veille de plusieurs fêtes nationales et religieuses comme la fête du Trône ou encore Aïd Al Adha», enchaîne-t-il. Pour Mohamed Nech-Nach, Mustapha Ramid a enfin rempli son rôle de ministre d'Etat et de numéro 2 du gouvernement. «Son opinion est claire, il ne peut qu'exprimer ce point de vue. Il a fait part d'une compréhension totale lorsqu'il s'est assis avec la société civile pendant cinq heures pour discuter», précise-t-il, ajoutant qu'«il y a des initiatives de la société civile qui se sont multipliées et qu'il faut prendre en considération ses remarques». «Chacun a échangé ses points de vue pendant plus de cinq heures sur le Hirak, ses derniers développements, les nombreuses arrestations, les bilans des affrontements entre manifestants et forces de l'ordre et leurs répercussions. A cet égard, certains ont pointé du doigt le drame vécu par les familles des détenus qui se sont déplacées d'Al Hoceima à Casablanca pour rendre visite à leurs proches. D'autres questions ont été abordées, comme la torture et le débat CNDH-DGSN, mais c'est avant tout au pouvoir judiciaire de trancher», conclut-il.