Plus de 1 100 mineurs marocains ont fui leur pays en mai pour rejoindre l'enclave espagnole Ceuta. Tous cherchaient un avenir meilleur, pour certain motivé par des raisons économiques. Ils fuyaient la pauvreté ou voulaient laisser derrière eux maltraitance, violence et abus sexuels. L'organisation d'aide humanitaire Save the Children, qui œuvre pour les droits des enfants à travers le monde, a confié au journal El País que 25% des enfants marocains migrants interrogés en Espagne fuyaient des violences physiques ou sexuelles chez eux. «Ma mère m'a dit que si je rentrais à la maison, mon beau-père me tuerait. Il me déteste et me bat toujours et cette fois, si j'y retourne, il me tuera. J'ai tellement peur.» Amin, 14 ans (le prénom a été changé) Parmi les dizaines d'enfants interrogés par l'organisation, plusieurs cas de maltraitances familiales ont été rapportés, ainsi que des cas de mendicité, de travail des enfants, d'abus et d'exploitation sexuelles. Pas moins de 1 100 mineurs, âgés de 12 à 17 ans, avaient séjourné dans l'enclave espagnole de Ceuta après le passage de plus de 12 000 migrants marocains en à peine trois jours. Si le roi Mohammed VI avait donné ses instructions pour le retour des mineurs non accompagnés, plusieurs enfants on dû être placés en famille d'accueil ou dans des centres spécialisés. En effet, 92,5% des familles ne se sont pas manifestées. Les premières raisons avancées étaient d'ordre socio-économique : la pauvreté, le manque d'argent, une volonté de savoir que son enfant grandit dans un pays où on l'imagine avoir un meilleur avenir. Mais comme la réalité rattrape souvent la fiction, les enfants donnent un récit parfois bien différent de ce que les familles auraient pu raconter. En effet, 260 entretiens ont été réalisés par des membres de l'organisation Save the Children, où le quart d'entre eux ont confié avoir subi des violences physiques, morales, des abus et des mauvais traitements, principalement au Maroc. Certains enfants étaient maltraités par leurs familles, leurs propres parents et pour ceux qui devaient vivre à la rue, ils étaient maltraités par d'autres enfants et par des adultes. Parmi les interrogés, un sur six a subit des formes de tortures et de traitement dégradants avant d'arriver en Espagne. Beaucoup d'histoires, autant de drames Amin a été retiré de l'école par son beau-père depuis l'âge de 10 ans, rapporte le journal, pour qu'il puisse mendier, cirer des chaussures. Lorsque son beau-père estimait qu'il ne ramenait pas assez d'argent à la maison, il était battu avec sa mère. Un autre garçon, âgé lui de 13 ans, a été chassé de son foyer par sa famille qui ne pouvait pas subvenir à ses besoins et la seule femme qui «acceptait» de l'aider refusait de le faire gratuitement. Il a été contraint de mendier, de travailler dans la rue, avant de fuir à Ceuta. Les filles, bien que moins nombreuses, présentent des situations tout aussi inquiétantes. Sur les 85 interrogées, certaines ont subi des violences et des exploitations sexuelles, allant jusqu'à la prostitution forcée. Les années de maltraitance de ces enfants, à une période-clé de leur développement, a généré pour beaucoup des problèmes psychologiques et cognitifs. Les enfants présentent des crises d'angoisse, des cauchemars, des tremblements, ils fuient les relations sociales ou ont du mal à s'exprimer. Save the Children, qui étudie chaque situation avec attention, pense que certains enfants ont développé ces troubles bien avant leur fuite. «La nuit, je fais des cauchemars où je vois ce que j'ai subi dans ma vie dans la rue. Je me réveille en criant et mes colocataires ont peur, ils pensent que je suis fou.» Mohammed, 13 ans (le prénom a été changé) Accueillir les enfants, un défi majeur Les autorités locales de Ceuta connaissait déjà la situation des mineurs isolés. Parfois, certains enfants ont été abandonnés malades à la frontière et les familles espéraient qu'ils puissent être recueilli, soignés. Mais aujourd'hui, leur nombre important rend leur encadrement «insoutenable», selon le gouvernement local. Les autorités doivent s'occuper de 800 enfants dans des entrepôts, un camp de baraquement et un centre sportif. Dépassés, ils ont déjà perdu de vue 200 enfants qui sont à la rue ou ayant trouvé refuge dans des maisons. Elles ont pu replacer 200 autres mineurs. Pour l'instant, la scolarisation n'est pas envisagée, faute «d'outils dans la ville pour les aider ou pour leur insertion scolaire ou professionnelle», a déclaré la déléguée du gouvernement à Ceuta, Salvadora Mateos. Save the Children demande maintenant à l'Europe de venir en aide à ces enfants.Rodrigo Hernandez, responsable de l'association en Espagne, a d'ailleurs rappelé que «ces enfants ont des droits et nous nous engageons, en tant que société, à les garantir». D'autres associations prennent le relai pour essayer de s'occuper des mineurs isolés, comme Mensajeros de la Paz qui souhaite héberger cinquante enfants dans ses installations, ou encore l'Unicef Genève qui cartographie les abris et aide à coordonner les actions avec les autres organisations. Qui sont les enfants de rue au Maroc ? Contacté par Yabiladi, Abderrahman Bounaim, responsable communication et plaidoyer de l'Association Bayti a tenu à rappeler que contrairement à ce que bon nombre de gens pensent, les enfants dans la rue ne sont pas toujours sans parents. Beaucoup se retrouvent dans cette situation pour des raisons économiques ou de violences familiales, la rue étant le seul endroit qui les accueille. Une «crise de valeur» a lieu, précise-t-il, parce que plus personne ne s'occupe d'eux dans leur entourage, ni la famille ni les voisins. L'association qui s'occupe des enfants regrette que depuis tant d'années, les violences faites aux enfants n'aient pas diminué. Elles ont même augmenté avec le confinement, précise le responsable. L'association qui œuvre depuis 25 ans pour la prise en charge des enfants en situation difficile, notamment ceux qui vivent à la rue, se félicite des efforts mis en œuvre par le Maroc, «on a les meilleures lois du monde», dit le représentant, avant de rajouter que «leur exécution bloque», soulignant le manque de continuité dans les démarches de protection des enfants. Pour conclure, Bounaim a tenu à souligner l'engagement de son association au quotidien et la nécessité impérieuse de mettre fin à la marginalisation et la stigmatisation des enfants qui vivent dans la rue, ainsi que le besoin d'une meilleure application des lois et des programmes de protection des enfants, dont les lacunes ont été révélées notamment par cet exode d'un millier de mineurs marocains vers l'Espagne.