Quand le mur du silence se brise, par-delà les “ hchouma ” et les tabous, les enfants victimes d'abus sexuels (pédophilie ou inceste) doivent faire face à l'absence de structures d'accueil agissant en aval pour leur protection contre le proxénétisme et leur réintégration dans la vie sociale. Elle était âgée de huit mois quand sa mère découvrit son père dans une malencontreuse posture, jouant du corps nu du bébé en le glissant sur ses organes génitaux. Elle a actuellement 13 ans et subit à la fois l'autorité sexuelle du père, et la connivence de la grand-mère qui la renvoie d'un “ patience, nous allons le marier, et il te laissera tranquille ”. En l'absence de la mère, divorcée, le père entretient ses goûts juvéniles avec la complicité de toute la famille, réduite au silence par des pressions “ économiques et sociales ”. Mère, oncles, grands-parents sont devenus, dès lors, des sourds, des muets et des aveugles, face à la souffrance quotidienne de la jeune fille. Aînée de deux frères, Yasmina assouvit les désirs du père depuis plus de 6 ans, en devenant sa femme et en perdant tout pouvoir sur son corps et son esprit, puisqu'en étant sa fille, elle lui doit soumission et allégeance. Les autres membres de la famille ne dénonceront pas cette maltraitance, où l'exploitation sexuelle atteint les pires degrés, la pédophilie et l'inceste, leurs arguments étant que les enfants sont préservés puisque le père leur assure un foyer décent. Aussi, l'ultime refuge fut-il pour Yasmina le commissariat de police, où elle dénonça les abus paternels qui furent, par la suite, confirmés par le père. Saisie de l'affaire par le biais d'une voisine, l'association Fama a pris le dossier en charge et en a assuré le suivi judiciaire. Mais les aveux du père furent aussitôt démentis, ainsi que la dénonciation de Yasmina, découragée par la pression de son entourage. La petite fille a modifié son témoignage lors du procès. L'aurait-elle fait si elle avait été mise en sécurité et si elle avait été prise en charge par un psychologue ? Face à l'inertie des complices et à la lâcheté de la mère, qui s'est abritée sous le prétexte qu'elle n'était pas en mesure de prendre sa fille en charge, Yasmina est abandonnée à son sort. La complicité ou la peur contraignent certaines personnes à se taire et à protéger les pédophiles et incestueux, telle cette femme qui préservait son foyer en permettant au père d'abuser de sa petite fille. Sous le regard complice de la mère, la fille était devenue une maîtresse dévouée, initiée au sexe par un père exigeant qui la contraignait aux pires obscénités. L'abus sexuel s'accompagnait de maltraitance physique. Lorsqu'il se soûlait, le père programmait des orgies sexuelles alliant mère et fille. Devenus insupportables, les fantasmes du père sont finalement dénoncés auprès de la Sûreté nationale, qui porte l'affaire en justice. Elle est actuellement en appel au tribunal de première instance de Rabat. Les non-dits restent tenaces Au nord du Maroc, précisément à Ceuta, le rêve des mineurs d'atteindre la terre promise, de l'autre côté de la Méditerranée, se fracasse au contact de la réalité. Ils devront subir le calvaire de l'exploitation sexuelle extravagante des pédophiles de la zone. À l'image de ces gaminsd'autres vivent le pire. L'évasion de cette fillette d'une maison hermétiquement close d'El Hajeb, largement médiatisée, a levé un coin du voile. Il est bien évident que les non-dits sont plus importants que ces cas révélés. Les petites bonnes sujettes à la maltraitance sont corvéables à merci, en butte, dans certains cas, aux supplices des pédophiles. Peut-on parler de carences dans la législation marocaine ? Le législateur ne définit pas la pédophilie, mais traite dans les articles 484 à 488 du code pénal, des cas de viols et d'attentats à la pudeur, et prévoit des peines allant de 5 à 10 ans, nous assure l'avocate Fatiha Hssein. Par ailleurs, il considère le consentement de l'enfant âgé de 16 ans et plus comme étant une complicité et donc une incitation à la débauche. Quant aux enfants de moins de 16 ans, ils sont jugés pour prostitution, si consentement il y a, et placés dans des centres de réforme. La ratification par le Maroc de la Convention Internationale de la Haye sur les droits de l'enfant, en 1993, impose avec acuité l'harmonisation de la législation nationale avec les déclarations internationales relatives à la pédophilie. A cet égard, l'adoption par la Chambre des Conseillers d'un projet de loi sur la réforme de la justice juvénile consolidera l'arsenal juridique. Cependant, l'impact des agressions sexuelles perpétrées sur les enfants, marque ces derniers à vie. “ Leur corps ne leur appartient plus, ils manifestent des signes d'hostilité ou de repli sur eux-mêmes. Quand un enfant dessine des corps, il s'auto-mutile, en dénuant le corps de tout organe génital. En dessinant séparément le corps et l'organe, l'enfant manifeste la perte de son identité corporelle. Il est en proie à des sentiments de culpabilité et de honte qui le rongent et recréent souvent le cycle fermé de la perversion. Un enfant violenté peut reproduire, une fois adulte, la même violence ou pire encore. Aussi une psychothérapie est-elle nécessaire pour aider l'enfant à surmonter son mal ”, nous confie Najat M'jid, présidente de l'Association Bayti et responsable de la coordination régionale de l'exploitation sexuelle des enfants dans le monde arabe. En effet, un abus sexuel entraîne, à long terme, des manifestations psychosomatiques, variant du mal de ventre et à la tête, aux troubles alimentaires. Ces manifestations physiques peuvent s'accompagner de troubles comportementaux : suivant leur âge, les enfants sont sujets à de grandes agitations ou à une extrême inhibition, font preuve d'agressivité, font des fugues, souffrent de dépression ou de désintérêt ou encore, ont un comportement autodestructeur (délinquance, tentatives de suicide, usage de drogue). Les enfants soumis à l'autorité sexuelle des adultes se confient rarement à ces derniers. Un faisceau d'indices peut révéler un éventuel abus sexuel sur l'enfant : une grande agitation ou une hostilité soudaine et inexplicable, l'utilisation de mots liés au sexe et habituellement inconnus d'un enfant de cet âge, un comportement autodestructeur, la violence envers les autres ou envers lui-même, la difficulté à se concentrer, un très grand isolement, un manque de confiance envers autrui ou un échec scolaire brutal. D'ordre essentiellement culturel et en l'absence d'éducation sexuelle et de conscience de soi, une sensibilisation et une prise de conscience de la gravité de la pédophilie sont nécessaires. Ces enfants traumatisés à vie représentent un facteur de déséquilibre pour la société dans sa totalité, d'où la nécessité de créer des centres d'accueil spécialisés pour le traitement psychologique et la réhabilitation des victimes. Le centres d'écoute de l'Observatoire national des droits de l'enfant, offre, via son numéro vert, un appui psychologique, médical, juridique et social aux victimes. Sur les 300 cas traités, 21 sont liés à la pédophilie. Les neuf assistantes sociales constituent des dossiers qui sont, ensuite, portés en justice. Les affaires de pédophilie sont généralement dénoncées par un voisin, un médecin ou un instituteur. L'entourage familial demeure réticent à toute divulgation portant atteinte à “ l'honneur ” de la famille et de l'enfant des deux sexes. Le travail des associations, l'éducation sexuelle et le respect de l'intégrité corporelle de l'enfant sont les meilleurs moyens de combattre ce crime commun à tous les pays (le forum mondial de l'UNESCO, en 1995, a fait état de 3 millions mineurs prostitués dans le monde). Le courage des enfants est, par ailleurs, un élément moteur pour mener à bien cette lutte. L'exemple nous est donné par les enfants de la rue accueillis par l'Association marocaine d'aide aux enfants en situation précaire (AMSIP), qui ont dénoncé les abus sexuels perpétrés par un superviseur français d'une école primaire. L'affaire, portée en justice s'est soldée par une peine de 10 ans de réclusion. Un cas exemplaire, que les pédophiles, protégés par les tabous de la société, devraient garder à l'esprit.