Le gouvernement n'a pas encore une semaine que déjà, les canonnières ont dirigé leurs bouches vers ses membres, ses concepteurs, et surtout son chef Saadeddine El Otmani. Nous entrons donc dans la seconde phase de l'après 7 octobre, la première ayant été celle d'Abdelilah Benkirane et de son échec à rassembler une majorité et à former un gouvernement. Mais en perspective, c'est une autre bataille qui se profile à l'horizon, celle du PJD vs PJD… avec certains médias à la manœuvre, et par procuration. L'après-formation du gouvernement. Ce n'est pas la première fois qu'un parti tangue après être entré au gouvernement. Il est ébranlé par les ambitions contrariées de celles et ceux qui s'y voyaient mais qui n'en sont pas. L'Istiqlal avait connu cela en 1998, et après lui, l'USFP, le RNI, le MP… aujourd'hui, c'est au tour du PJD, sauf que c'est plus curieux car ce parti a su vendre, entre autres idées, celle que la désignation de ses ministres s'effectue de la manière la plus démocratique qui soit. Mais il n'en demeure pas moins que l'Homme est homme, et qu'il lui est difficile de maîtriser ses émotions négatives, l'éviction d'un gouvernement par exemple. L'animosité Benkirane/El Otmani. Pour tenter d'expliquer cette situation, il faut remonter loin – pas si loin, mais loin quand même –, à la genèse du PJD. Et on retrouvera cette lutte sourde qui anime le duo Benkirane et El Otmani, que tout oppose dans le cursus, la formation, l'origine, la culture, et même la culture générale, avec un net avantage pour le second. Dans cette affaire de révocation de Benkirane et son remplacement par El Otmani, l'ancien chef du gouvernement a subi une double défaite : Etre limogé, puis être remplacé par son adversaire principal. A en croire un membre du secrétariat général du PJD (non ministre), qui tient à son anonymat pour des raisons évidentes : « Si le roi avait choisi Ramid ou Rabbah, Benkirane aurait mieux pris la chose, mais avec El Otmani il en va autrement. Le chef du gouvernement gêne et a toujours gêné le secrétaire général, qui a développé à son égard une surprenante animosité. Tout le monde le sait chez nous, mais personne ne vous le dira, au nom de l'esprit de corps ». Tout est dit. Alors les hostilités sont ouvertes, et si les dirigeants du PJD n'y prennent pas garde, la cohésion de leur parti sera vraiment menacée. L'ancien secrétaire général du PJD est un animal politique, et rien n'est plus dangereux qu'un animal blessé (dans le respect de la métaphore et du personnage, bien évidemment). L'intrigue avortée de Benkirane et les attaques contre El Otmani. Rapide retour sur les événements de ces trois dernières semaines… Le 15 mars, le roi publie son communiqué de lecture constitutionnelle. Il évoque l'article 42 pour revenir au 47 et annoncer sa décision de nommer un autre dirigeant du PJD. Le lendemain 16 mars, Benkirane et ses pairs dirigeants accusent le coup, et décident de convoquer un Conseil national extraordinaire ; l'idée est d'adouber un candidat pour la succession de leur chef, et de laisser ce dernier avoir « sa revanche » en liant les mains du chef de l'Etat. Le 17, comme cela était prévisible, le roi les prend de vitesse et nomme Saadeddine El Otmani. Le 18, Conseil national de 11 heures, lors duquel une tentative de guérilla est avortée. Trop dangereux. On félicite El Otmani. Mais depuis la confirmation de la souplesse d'El Otmani et de sa volonté de maintenir son parti à flot, un feu nourri le cible, par réseaux sociaux et médias interposés, Akhbar Alyoum en tête. Les mots sont rudes et les charges sont dures : « Concessions » d'El Otmani, « absence de personnalité », « Ben Arafa » (dans une attaque indirecte contre celui qui a nommé le chef du gouvernement, comparé de facto aux colons), « renoncement à l'esprit du 7 octobre »… Les choses sont restées plus ou moins contrôlées, jusqu'à l'annonce du gouvernement et là, nous avons eu droit à cette Une incendiaire et désespérée d'Akhbar Alyoum toujours, d'une violence inouïe contre le chef du gouvernement : « Le gouvernement Akhannouch, présidé par El Otmani ». Les données diffèrent d'un média à l'autre sur les budgets comparatifs confiés au PJD et au RNI, mais un gouvernement, au-delà des chiffres, c'est aussi et surtout son poids politique. Les équilibres gouvernementaux. Dans ce domaine, on ne peut que constater les éléments suivants : le PJD représente le premier bloc de ministres, tant en termes de ministres pleins que de secrétaires d'Etat, son allié stratégique le PPS, malgré ses 12 députés, dispose de plus de ministres pleins que l'USFP, le MP ou encore le MP, qui ont fait élire bien plus de députés, et, enfin, l'USFP, le malaimé du gouvernement, n'a aucun ministre plein. La logique du PJD a été maintenue, et ses exigences dans l'architecture du gouvernement aussi. Bien sûr, on pourra objecter que les technocrates sont entrés en force, et qu'El Otmani a fait plus de concessions qu'il n'en fallait, qu'il ne devait… Mais les ministres sont nommés par le roi, sur proposition du chef du gouvernement, et du temps de Benkirane, les concessions étaient aussi nombreuses que légitimes, le chef de l'Etat étant un personnage central de l'équation politique nationale et bénéficiant d'une unanimité nationale. On pourra également dire que le RNI a au gouvernement un poids budgétaire bien plus important que celui du PJD ; mais c'était déjà le cas dans le gouvernement de Benkirane, lequel voulait absolument avoir le RNI dans son second gouvernement. Alors pourquoi jeter la pierre à El Otmani ? Qui mène la fronde au sein du PJD ? Essentiellement deux personnes, montées au créneau, mais s'exprimant au nom de plusieurs autres… Ainsi, Abdelali Hamieddine, dont l'ambition est connue de tous, n'a pas été désigné au gouvernement. Assisté par Amina Maelainine, qui s'y voyait aussi, il attaque, avec ses amis des médias. C'est de bonne guerre, mais c'est inutile car à poursuivre sur cette voie de démolition du gouvernement El Otmani, c'est le parti lui-même qui sera menacé d'implosion ; en effet, le chef du gouvernement est un homme apprécié au sein de sa formation, et même du Mouvement Unicité et Réforme, dont il fut fondateur, avec Benkirane entre autres. La question qui se pose est de connaître le rôle de Benkirane, loué par Hamieddine et adulé par Maelainine. Qui pourrait sérieusement penser que ces deux personnages continueraient leurs attaques contre El Otmani, le palais et le gouvernement, si Benkirane ne les y autorisait pas ? Qui pourrait vraiment imaginer que Hamieddine et Maelainine maintiendrait leurs attaques, par Akhbar Alyoum interposé, si Benkirane leur intimait le silence, comme il l'a souvent fait dans un passé récent ? Un « tahakkoum » interne, en quelque sorte, où le marionnettiste est Benkirane et les marionnettes Hamieddine et Maelainine… Cela signifie une chose, et une seule : les attaques contre El Otmani sont téléguidées et suggérées par l'ancien chef du gouvernement, qui ne s'en remet pas d'avoir été révoqué, lui qui a si souvent évoqué les avantages matériels liés à sa fonction. Dans la balance interne du secrétaire général du PJD, l'ego démesuré l'emporte sur la loyauté. L'ancien chef du gouvernement, durant ses 5 ans à la tête du gouvernement, a acquis la stature d'un homme d'Etat. Il est en train de la détruire en montrant sa véritable nature d'homme d'éclat(s). Le PJD, durant ces mêmes 5 dernières années et avec Benkirane, a été un parti d'opposition aux affaires ; avec Saadeddine El Otmani, il est en train de basculer en parti de gouvernement. L'ambivalence complotiste de Benkirane ne l'en empêchera pas. Son combat personnel contre le chef du gouvernement sera perdu, dès le prochain congrès.