Malgré les énormes efforts de la Tunisie officielle qui tente de camoufler les atteintes fondamentales aux droits de la personne, avec les complicités de quelques pays occidentaux et arabes, il n'est plus un secret pour personne : la Tunisie s'apparente plus à une dictature qu'à une démocratie. Une fourmilière d'une entendue de 155 800 mètres carrés où y grouillent quelques 130 000 agents de l'ordre! Si bien que pour les militants de la liberté d'expression, de la justice sociale, des droits humains, la Tunisie ressemblerait plus à un champ d'orties qu'à un jardin de jasmin où il ferait bon à vivre. Et pourtant tous dans ce pays à de quoi faire rêver...ou presque. Un climat hospitalier, un littoral tourné vers la Méditerranée, une postérité économique, une histoire lointaine. N'était ce l'autoritarisme du président Ben Ali, la Tunisie aurait rendu jaloux plus d'un! Cependant, pour le moment il y manque un élément vital: la démocratie. Et pourtant face à ce régime tunisien qui respire l'autoritarisme à plein nez, une autre Tunisie existe. Elle est portée par les voix de Moncef Marzouki, Khémais Ksila, Sihem Bensedrine, Radhia Nasraoui, Taoufik Ben Brik et tant d'autres anonymes. C'est précisément ce dernier qui a mis à nu le régime de Carthage, en entamant une grève de la faim qui a duré près d'un mois. Qui est Taoufik Ben Brik et quel est le sens de sa grève de la faim? Taoufik Ben Brik est journaliste. Connu pour son franc parler et ses positions radicales à l'égard du régime tunisien, il est interdit de papier politique, pour cause d'impertinence. Pensant bien faire, on lui confie alors la rubrique animaux. Trouvant l'expérience fort intéressante, Taoufik Ben Brik fouine dans sa mémoire et se rappelle des fables de la Fontaine. Il s'attire encore une fois les foudres de son directeur qui décide cette fois-ci de le " rétrograder " en lui balisant bien son " périmètre de pensé " : les fruits et légumes...Loin de courber l'échine, renouant avec son ton corrosif, soucieux de semer la " bonne " parole que certains qualifieront de subversive, Taoufik Ben Brik met en garde sa société contre la prolifération de la mauvaise graine. Assez...assez, s'en assez pour le pouvoir tunisien qui perd patience. Faire taire Taoufik Ben Brik devient urgent, d'autant que cette incorrigible était le correspondant du journal français la Croix. Comme ce type de régime n'aime pas vraiment laver son linge sale en public, il redouble de férocité : passeport confisqué, ligne téléphonique surveillée, menaces quotidiennes, bref c'est cela le lot courant des contestataires tunisiens. Taoufik Ben Brik pouvait-il continuer à vivre dans l'arbitraire, sans en dénoncer les responsables ? Eh bien non, et c'est pour cette raison qu'il entame le 3 Avril, une grève de la faim durant laquelle il perd 27 kilos! Oui rien que cela, Taoufik Ben Brik est déterminé à risquer sa vie pour le lever le voile sur la " si douce dictature " titre du livre qu'il publie aux éditions La Découverte, la semaine dernière à Paris, dans lequel il fait une rétrospective des dix ans de règne du Président Ben Ali. Cette attitude sans complaisance aucune, il l'adoptera aussi à l'égard des habitués du plais de Carthage qui préfère ne voir de la Tunisie que ces plages, ses clémentines et son folklore, quitte à taire quelques réalités. Dans une lettre publiée par Le Courrier international, Taoufik Ben Brik accuse le président français Jacques Chirac de "couvrir" le régime de Ben Ali. "Depuis l'accession de Ben Ali au pouvoir, le président français n'a pas hésité à maquiller la face hideuse du régime tunisien". Désormais, le combat du journaliste est porté sur la scène internationale et les solidarités se multiplient. Au Canada, une coalition Québécoise se forme, un rassemblement d'une quinzaine d'associations et de syndicats québécois qui dans une lettre ouverte adressée au président Zine El Abidine Ben Ali, le 30 Mars dernier a semé le désarroi dans les milieux officiels tunisiens. La lettre dénonçait " la tragique réalité quotidienne des défenseurs des droits humains en Tunisie". Mais c'est incontestablement en Algérie et en France que Taoufik Ben Brik draine en sa faveur des appuis dans la société civile. Pendant ce temps, les choses loin de s'arranger, se gâtent en Tunisie. Le frère de Taoufik Ben Brik, Jallal est arrêté à son tour, alors que Sihem Bensedrine éditrice et militante des droits de la personne est battue par les barbouzes tunisiens lors d'une manifestation de soutien à Taoufik Ben Brik. Nul n'est épargné! Pas même les quelques journalistes algériens et français qui avaient fait le déplacement à Tunis pour se rendre au coté de leur collègue. Homme et femme subissent le même traitement. C'est à coup de matraque, de coups de pieds et de coups de poings qu'on restaure l'ordre en Tunisie! Affaiblie physiquement, avec un moral d'acier le journaliste décide d'aller chercher des appuis d'abord à Paris pour y faire des soins et ensuite à Alger. Attendu par ses confrères algériens, le jeudi 11 mai, Taoufik Ben Brick ne se rendra jamais en Algérie. Les autorités algériennes en ont décidé ainsi. Empêché d'embarquer dans l'avion d'air Algérie, le journaliste tunisien restera à Paris. Après bien des hésitations, le gouvernement algérien sort de son mutisme pour donner l'explication officielle. Dans une conférence de presse à Lisbonne, le ministre des Affaires étrangères Youcef Yousfi, affirme que " l'Algérie ne fera rien qui puisse perturber ses relations de bon voisinage avec la Tunisie et ne se mêlera pas de ses affaires intérieures ". Abondant dans le même sens, le ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni, a concédé, en milieu privé, que la venue de Ben Brik à Alger pouvait gêner "les tentatives" de rapprochement avec la Tunisie. Quant à Abdel-Aziz Bouteflika qui s'exprime sur le sujet pour la première au Canada, il reproche à Taoufik Ben Brik d'avoir qualifié Ali Lapointe, héros de la guerre de libération nationale, de proxénète. Comment est ce possible de porter de telles accusations à l'encontre de Taoufik Ben Brik, lui qui n'a cessé de répéter " J'irai me recueillir sur la tombe de Ali La Pointe" ou encore "mon fils aîné, qui a trois ans et demi, s'appelle Ali La Pointe". Peut-on reprocher à Taoufik Ben Brik cette fascination pour le personnage de " Ali La Pointe proxénète devenu héros de la révolution algérienne " comme il le qualifie? A en croire le président Bouteflika, oui! Energiquement dénoncé, le cynisme du pouvoir algérien a soulevé un tolet de protestation. Dans les milieux de la presse indépendante et de quelques mouvements politiques les communiqués abondent. De plus, le frère de Ali La pointe, dans une lettre publiée dans la presse algérienne, exprime son indignation face au refus des autorités algériennes à recevoir Taoufik Ben Brik en Algérie et dénonce l'utilisation de la mémoire de son frère pour justifier l'injustifiable. Un véritable bras de fer s'engage avec le pouvoir et tous les jours en Algérie quelques journaux indépendants offrent un espace pour une pétition invitant le journaliste à se rendre en Algérie. Cette orchestration du pouvoir algérien et tunisien révèle une chose : la peur des dirigeants de la parole libre. Et pourtant n'était ce la liberté de la presse en Algérie, jamais des tabous n'auraient été levés! De la corruption, à la justice, au système éducatif, au traitement de la question sécuritaire, au statut des femmes, à la reconnaissance de langue tamazight, au retour des juifs d'Algérie, ...que de sujets débattus dans les colonnes de la presse indépendante! D'ailleurs, pour le progrès de la société, les dirigeants auraient tout à gagner d'ouvrir le débat. Alors pourquoi nourrissent-ils des craintes s'ils n'ont rien à se reprocher? Encore une fois, la saga du journaliste tunisien Taoufik Ben Brik réaffirme la nécessité de se battre pour informer, dans une région du monde qui a soif de liberté d'expression. Jusqu'à quand?