4720 Kilomètres. C'est la distance qui sépare, à vol d'oiseau, le Maroc de l'Irak. Pourtant, les marocains affiliés à "Daech" (Etat Islamique en Irak et en Syrie), qui sont allés y combattre, font que le bruit des affrontements inter-musulmans dans ce pays arabe semble plutôt proche. L'Irak, déjà mis en lambeaux par les trois guerres qu'il a menées au cours des trente dernières années, une contre l'Iran et deux contre des coalitions menées par les États-Unis, la dernière suivie de huit ans d'occupation de son territoire, est sur le point de se disloquer. Et personne ne semble se rendre compte de la gravité d'un tel séisme géopolitique et ses conséquences sur l'ensemble du Monde arabe. Pas même les pays qui soutiennent Daech en sous main. Malgré les cris de vierges effarouchées poussées par les médias occidentaux suite aux succès militaires exceptionnels de Daech dans le nord de l'Irak, avant de marcher sur Bagdad, il est clair qu'une opération d'une telle envergure ne pouvait passer inaperçue pour les satellites et les drones qui scrutent cette partie du Proche Orient 24/24, 7/7. Il est tout aussi évident que la logistique nécessaire à un tel déploiement de force et à la rapidité constatée des manœuvres des troupes de Daech ne peut être le fait d'une organisation terroriste aussi structurée soit-elle. Il n'y a pas encore longtemps, les combattants de Daech se faisaient buter de nombre de leurs positions en Syrie par ceux du Front Nosra et de l'Armée de l'Islam, après avoir été renié par Ayman al-Zaouahiri, le successeur de Ben Laden à la tête de la maison mère, Al Qaïda. Et voilà que Daech est devenu l'organisation terroriste la plus riche du monde, après avoir pillé 429 millions de Dollars en liquide des banques de Mossoul. Mais Daech était déjà suffisamment riche pour acheter la loyauté d'officiers de l'armée régulière irakienne, qui ont convaincu 150.000 soldats de laisser tomber les armes et s'enfuir devant l'avance des milices jihadistes avant même la prise de Mossoul. Grâce à son exploitation des champs pétrolifères de l'est syrien, du côté de Deir Ezzor et de Raqqa, Daech se serait assuré de recettes mensuelles estimées à 8 millions de Dollars, selon les estimations du journal anglais, «The Times». Par ailleurs, la coalition des jihadistes de Daech avec les baasistes laïcs, qui seraient dirigés par Izzat Ibrahim ad Doury, ancien vice-président irakien appartenant à la confrérie soufie des Nachkabandistes, que les salafistes haïssent autant que les chiites, a laissé perplexes nombre d'observateurs. Car le Moyen Orient semble compliqué à comprendre même pour les dirigeants des pays qui le composent. Qu'elle n'a été la surprise des Turcs quand quinze de leurs diplomates et leurs familles, ainsi que 20 éléments de leurs forces spéciales, ont été emprisonnés par Daech dans leur consulat. Après la prise de contrôle du champ pétrolier de Kirkouk par les Peshmergas, miliciens kurdes irakiens, Ankara a dû commencer à se rendre compte que son château d'eau qu'est le Kurdistan turc risquait fort de lui échapper. Le tonitruant Erdogan, qui a joué l'avenir politique de son parti islamiste, l'AKP, dans le soutien aux opposants armés au régime syrien, en misant tout sur la chute de Bachar, doit se sentir dupé d'avoir participé lui-même à mettre en péril l'intégrité territoriale du pays d'Atatürk. Lors de la récente attaque de l'armée régulière syrienne contre les jihadistes qui tenaient la ville côtière de Kassar, ces derniers n'ont pas pu se replier en Turquie, comme ils avaient l'habitude de le faire. Ce qui est une première depuis le déclenchement des hostilités en Syrie. Mais peut être est-ce déjà trop tard pour Ankara de revenir en arrière. Elle est déjà bien loin l'époque où le chef de la diplomatie turque, Davutoglu, affichait fièrement sa politique «zéro problème» avec les pays voisins, qui avait d'ailleurs permis au commerce extérieur de la Turquie et sa croissance économique de connaître un essor fulgurant. Cela doit être une malédiction qui frappe tous les partis islamistes. Ils ne peuvent s'empêcher de scier la branche sur laquelle ils sont assis. Mais il n'y a pas que les Sunnites du Moyen Orient qui ont perdu la boussole. La «marjiya» chiite d'Irak, l'Ayatollah Ali Sistani, qui avait interdit aux Chiites irakiens de prendre les armes contre les troupes d'invasion anglo-saxonnes, a appelé à la guerre sainte contre Daech et ses alliés. Et le président iranien Rohani s'est dit prêt à «coopérer» avec les États-Unis en Irak ! Qu'est-ce qu'il ne faut pas faire pour desserrer l'étau de l'embargo qui frappe l'Iran, alors qu'il n'est même pas certain que les Occidentaux vont se montrer plus souples à propos du dossier nucléaire... Toujours est-il que pour les Marocains, aussi sunnites soient-ils, ce casse-tête moyen-oriental est aux antipodes de la feuille de route qu'ils se sont tracés. Fortement influencé par la culture soufie, ils savent que l'amour de Dieu passe par l'amour de son prochain, avec qui il vaut mieux échanger que s'affronter. Ce n'est pas pour rien que les musulmans de l'Afrique de l'ouest se tournent vers le Royaume pour s'inspirer des valeurs de l'Islam. Mais cette perspective pacifique et mutuellement enrichissante est menacée par le retour des jihadistes maghrébins après la fin de leur formation dans les universités du terrorisme moyen-orientales. Avec un programme d'action de conception différente de celui, connu, d'Al Qaïda. Al Qaïda et ses franchises régionales, dont la tristement célèbre AQMI, poursuivaient un but précis et impossible à atteindre. Réussir une révolution islamique partout dans le monde arabo-musulman pour réinstaurer le Califat. Daech, fusion de plusieurs groupes jihadistes irakiens, en 2006, a développé une approche entièrement différente. Plutôt qu'attendre le «grand soir» du Califat, Daech a plutôt opté pour l'instauration d'un État islamique en Irak et au Levant (Syrie), puis de faire calquer ce modèle partout ailleurs dans le monde arabo-musulman. Daech est actuellement dirigée par Abou Bakr Al Baghdadi, dont personne n'a jamais compris la relax par les Étasuniens, en 2009, après l'avoir détenu pendant quatre ans. A en croire des repentis du mouvement tunisien «Ansar Al Charia» revenus de Syrie, c'est la démarche plus pragmatique de Daech qui sera désormais adoptée par les jihadistes maghrébins. Surtout depuis qu'AQMI a montré ses limites à semer le chaos dans la sous-région du Sahara et du Sahel. Déjà, la région du Fezzan, dans le sud libyen, est devenue une zone de non-droit où les jihadistes se sentent chez eux. Après les jihadistes marocains de Syrie qui veulent rentrer au pays, regrettant non pas d'avoir combattu d'autres musulmans, mais les luttes intestines sanglantes qui déchirent l'opposition armée syrienne, voici les jihadistes marocains d'Irak, qui demandent le soutien de l'État marocain pour échapper aux peines prononcées contre eux, suite aux crimes qu'ils ont perpétrés dans ce pays sous la bannière de Daech. Il va sans dire que ces concitoyens endoctrinés et manipulés constituent désormais une menace pour la sécurité des Marocains et la stabilité du pays. Nul n'a envie de voir déambuler en toute liberté des gens convaincus que leurs compatriotes ne sont pas de bons musulmans, ou pas du tout croyants, qu'ils seraient prêts à égorger, avant de violer leurs femmes et piller leurs maisons, au nom d'une conception rétrograde de la religion. Comment ne pas s'inquiéter de la présence de jihadistes qui ont appris à trafiquer une bonbonne de gaz pour en faire une bombe, lestée de ferrailles pour produire un maximum de dégâts et projetée à distance par des mortiers fabriqués de manière artisanale ? Un vieux proverbe marocain dit qu'un festin à Bagdad est tout proche s'il est tenu. Là, ce sont les bruits d'une fiesta macabre en Irak qui parviennent désormais jusqu'aux oreilles des Marocains, comme si elle se tenait juste à côté. C'est Bagdad café mais en version film d'horreur.