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Abdellah Naguib : Bousbir, «une greffe très mal perçue par les habitants de Derb Soltane», avait fait partie du circuit touristique exotique de Casablanca
Féru d'Histoire de Casablanca, Abdellah Naguib est né en 1937 à Derb As-Soltane. Depuis une quarantaine d'années, l'une de ses occupations favorites c'est de fouiner dans les archives écrites et orales en vue de reconstituer l'histoire de la ville de Dar el Beida. Pour ce faire il ne dédaigne pas de se lancer dans des recoupements d'enquêteurs patients et méticuleux. Au fil de ses recherches, il rassemble une très riche collection personnelle en documentation iconographique et autres sur l'ancienne médina, mais aussi et surtout la Nouvelle médina (Derb As-Soltane) où il avait vécu. C'est ce «centre historique» où naquit le club du Raja qui s'appelait à l'origine Al-Fath, et avait son siège face au marché Jmia', local actuellement occupé par un marchand de gâteaux. A quelque pas de là, il y a le mur d'enceinte de l'ancien Bousbir longeant rue Ghazi. Ce qu'il rassemble, il aime le partager en usant des technologies de l'information les plus usuelles grace à la toile où l'on peut visiter son site riche d'infos : http://www.histoiredecasablanca.ma Entretien. L'Opinion: Pourquoi Bousbir est transplanté à Derb Soltane d'après vous ? Abdellah Naguib: Je pense que la motivation première du Protectorat pour la construction du quartier réservé dit Bousbir à Derb Soltane c'est de l'éloigner du quartier européen. Au début, on avait pensé l'installer à Ain Sebaa et ensuite à Jonquière près de Derb Kabir. Après, le choix s'est porté sur le cœur de Derb Soltane. Ce n'est pas anodin loin s'en faut. En ancienne médina, la naissance du quartier réservé est intervenue à cause de la présence militaire qui fait de Casablanca la première garnison avec des militaires et des marins. A un moment donné, on se sentait à l'étroit, il fallait chercher plus d'espace. Et puis Bousbir devenait encombrant à proximité du centre de la ville européenne gênée aux entournures. Il fallait le mettre à l'écart. Après avoir eu pour origine la présence militaire, Bousbir à Derb Soltane devient une attraction touristique exotique évoquée en termes colorés par les guides touristiques, une sorte d'Orient de carte postale. La première ligne de trolley bus est justement celle qui desservait Bousbir en venant par la Route de Médiouna, actuelle avenue Mohammed VI, pour passer devant le fameux cinéma Chaouia avant de bifurquer par la rue d'Abyssinie et s'arrêter juste devant le portail d'entrée du quartier réservé. Il y a les attaches du réseau électrique des trolley bus visibles encore aujourd'hui sur le mur. Le trolley bus desservait bel et bien le quartier réservé dans les années trente, quarante et cinquante comme lieu faisant partie du circuit touristique de la ville. Enfants du quartier Derb Soltan, il nous arrivait de voir des taxis à la file qui venaient de la ville européenne transportant des touristes empressés de prendre des photos de ce qui était une des plus importantes curiosités exotiques de la ville coloniale qu'on ne pouvait voir qu'à Casablanca. L'Opinion: Quelles images gardez-vous de l'époque ? Abdellah Naguib: Parmi les images que les enfants espiègles de l'époque des années quarante et début cinquante à Derb Soltane ont gardé, c'est celle du redoutable portier Lahsen Laqraa. Il donnait la chasse aux enfants qui venaient espionner ce qui se passait à l'intérieur du quartier chaque fois que le grand portail s'ouvrait pour livrer passage à des charriots tirés par des chevaux et portant des marchandises dont des stocks de boissons alcoolisées. Il y avait aussi le policier Thomas dont le nom a été donné par la suite à une rue du côté du cinéma L'Arc au centre de la ville. Il officiait dans un commissariat à quelques encablures du hammam Chiqui. Enfant, je passais par les environs souvent allant de la rue où habitait ma famille, rue Monastir, vers Carrière Carloti en passant par la rue Smyrne. Un autre élément qui attirait l'attention d'observateurs avertis c'est une activité suspecte de transbordement par-dessus le mur d'enceinte de sacs de marchandises de contrebande, sans doute des stocks d'alcool et la vitesse avec laquelle on effectuait ces opérations pour ne pas être vus par-dessus un mur qui devait avoir deux mètres de hauteur. C'était comme un rituel tous les jours dans cette ruelle où il n'y avait pas beaucoup de passants. La rapidité acrobatique avec laquelle le manège est exécuté à chaque fois révélait la nature d'activité illégale. En ce temps-là, le cinéma Mauritania n'existait pas encore. A côté de la porte de Bousbir, il y avait une petite placette. Je me souviens avoir vu Houcine Slaoui chanter dans une halqa près d'un arbre qui existe toujours. Il y avait deux cafés sur la placette. J'ai vu son luth posé sur un tabouret. Cette image est devant mes yeux. Il allait se reposer dans un café de la placette en attendant que ses spectateurs prennent place. L'Opinion: Quelle perception des Marocains pour Bousbir? Abdellah Naguib: Une perception très négative. On était convaincu que c'est le colonialisme qui a décidé de créer ce lieu en plein milieu de la ville de la résistance, comme un défi. La population de Derb Soltan voyait cette institution comme une greffe contre-nature. Le mot Bousbir était tabou, on ne pouvait pas le prononcer en public chez soi. Il y avait certes des lieux de prostitution dans d'autres quartiers comme les bidonvilles de Ben Msik ou des maisons closes, notamment en ancienne médina comme le Cheval Blanc à el Arsat, ou encore rue la Croix Rouge ou encore à Ain Chok mais Bousbir avait un caractère particulier.