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Une étude du HCP
Jours sombres devant le système de retraites marocain Le nombre des bénéficiaires augmente plus rapidement que celui des cotisants
Publié dans L'opinion le 11 - 08 - 2012


Le ratio entre le nombre total de retraités
et les travailleurs passerait de 24,1% à 74% en 2050
Le système de retraite marocain s'achemine vers des horizons sombres qui remettraient en cause sa viabilité en 2050. C'est essentiellement la transition démographique qui serait à l'origine des déficits considérables qu'accuseraient les caisses de retraite et qui iront en s'amoncelant à partir de la décennie présente. C'est ce que conclut la récente étude réalisée par le Haut Commissariat au Plan et dont les résultats viennent de faire l'objet d'une conférence-débat.
Avec les appréciations de cette étude concernant la situation financière des caisses de retraite, il faudrait également retenir les impacts de ces déficits sur l'économie. L'étude du HCP retient plusieurs scénarios dans perspective de réduction des déficits, dont les résultats sont, dans notre dossier ci-après, présentés succinctement. Cette étude constitue une base de réflexion susceptibles d'orienter les réformes à entreprendre nécessairement au niveau de ce secteur, laquelle doit aussi prendre en considération les solutions mises en œuvre dans le cadre de la solvabilité et du management des risques certains que présentent ces caisses de retraites dont le nombre de cotisants est faible.
Le système de retraite marocain se caractérise par la coexistence de plusieurs régimes de retraites, différents les uns des autres quant à leur statut juridique, leur mode de gestion, leurs ressources, et leurs modalités de prestations. Il se compose principalement de trois régimes publics obligatoires (CMR, la CNSS, le RCAR) et un régime facultatif (CIMR) géré par le secteur privé.
La population cotisante à ces régimes de retraite a enregistré, au cours de la période 2000-2009, un accroissement annuel moyen de 3,9%. Elle s'élève à près de 3,2 millions de travailleurs, ce qui représente 30% de la population active occupée en 2009, niveau jugé relativement faible comparativement à d'autre pays (60% dans les économies de transition, 80% dans les pays de l'OCDE).
Le niveau faible du taux de couverture s'explique par les facteurs structurels du marché de l'emploi, notamment un taux d'emploi de l'ordre de 45% et un taux de sous emploi d'environ 11%. Ceci est dû au niveau faible des taux d'activité, notamment des femmes, et aux rigidités entravant le développement du tissu productif (coût de production élevé, faible progrès technologique, etc.) se traduisant en conséquence par une faible capacité d'absorption de l'offre d'emploi particulièrement des qualifications (taux de chômage national de 9%). A cela s'ajoute, le poids du secteur agricole dans l'emploi, avec plus de 40% des actifs occupés, mais avec une grande fréquence des emplois saisonniers.
En outre, le nombre de bénéficiaires augmente depuis quelques années plus rapidement que celui de l'effectif des cotisants. Il s'est accru en moyenne de 6,3% au cours de la période 2000-2009 conduisant ainsi à une détérioration continue du rapport démographique des caisses de retraite.
Ce rapport est passé de 15 actifs en moyenne pour un seul retraité en 1980 à 5,8 actifs en 1993 et à 4,6 actifs en 2009.
L'analyse de l'évolution de chaque caisse cache des tendances contrastées. Le rapport démographique pour la CNSS reste relativement élevé, aux alentours de 8,3 actifs pour un bénéficiaire, au lieu de 2,7 actifs pour la CMR et de 2,1 actifs pour la RCAR.
La dégradation du rapport démographique à entrainé un déséquilibre entre les dépenses et les ressources des différents régimes. En effet, alors que le niveau des cotisations des différentes caisses est en baisse continue, passant de 3,43% du PIB en 2005 à 3,2% en 2009, celui des dépenses s'est accru progressivement, de 2,51% du PIB à 2,97% respectivement. En conséquence, l'excédent financier de l'ensemble des caisses a tendance à diminuer, passant de 0,93% du PIB en 2005 à 0,23% en 2009.
La tendance à la dégradation de la situation financière s'explique, en outre, par le niveau élevé de prestations de certaines composantes du système de retraites. En effet, bien que le taux de remplacement (rapport entre la première pension et le dernier salaire), pour un individu qui travaille de 25 à 59 ans, se situe à près de 45% pour la CNSS, à 54,4% pour le RACR et à 60% pour la CIMR., il reste plus élevé, de l'ordre de 85% pour la CMR où la retraite dépend du dernier salaire perçu.
Par ailleurs, la situation financière des systèmes de retraite sera encore plus affectée dans l'avenir en raison de la transition démographique avancée au Maroc et du changement profond qu'il produit dans la pyramide des âges. L'effectif des personnes âgées de 60 ans et plus passerait de 2,7 millions en 2010 à 10,1 millions en 2050, année où elle représenterait 24,5% de la population totale alors qu'elle ne constituait que 7,2% et 8,1%, respectivement en 1960 et 2004. Le rapport de dépendance défini comme le rapport entre le nombre de personnes en âge d'activité par personne âgées de 60 ans et plus, se situerait à 2,4 individus en 2050 au lieu de 7,7 en 2010.
Dans le but d'évaluer l'impact du choc démographique sur la viabilité financière du système de retraite, sur l'épargne, sur l'investissement et partant sur la croissance économique, le Haut commissariat au Plan (HCP), en collaboration avec le CEPII en France, a développé un modèle d'équilibre général à générations imbriquées pour projeter la tendance de la situation actuelle et simuler des scénarios alternatifs sur la base d'une ensemble d'hypothèses concernant le système de retraite au Maroc. Ce modèle, qui prend en considération l'interaction entre la sphère économique et les régimes de retraite, fournit un cadre cohérent qui permet d'analyser les impacts du choc démographique sur l'évolution de l'offre du travail et du capital toute en différenciant les comportements des générations en termes de participation au marché du travail et en termes de consommation et d'épargne.
Ainsi, un premier scénario a été étudié (scenario de base S1) et traite de l'impact, à législation inchangée, de l'évolution démographique sur la situation financière du système de retraite marocain et sur la situation macroéconomique.
Dans ce premier scenario, la transition démographique se traduirait, par une détérioration de la situation financière des régimes de retraite. Sous l'hypothèse que les régimes de retraite continueraient de couvrir près de 30% seulement des actifs occupés, le ratio entre le nombre total de retraités et travailleurs (y compris ceux non couverts) augmenterait de 7% en 2010 à près de 22,1% en 2050. En se limitant aux travailleurs couverts, ce ratio passerait de 24,1% à 74% respectivement.
La dégradation des rapports de dépendance serait plus accentuée pour la CNSS. Ainsi, si le nombre des actifs affiliés à la CNSS devrait augmenter de 50% d'ici 2050, celui des retraités serait multiplié par 6,6 fois à cet horizon, et ces indicateurs seraient respectivement de 7% et 2,6 fois pour la CMR et de 15,6% et 3,2 fois pour le RCAR.
Dans ce contexte, la dépense totale des retraites devrait représenter 10% du PIB à l'horizon 2050, alors qu'elle ne représente que 3% du PIB en 2010. En revanche, les recettes seraient en baisse, passant respectivement de 3,2% du PIB à 2,6%. Cet écart, croissant au court du temps, va générer des déficits considérables, de l'ordre de 7,4% du PIB en 2050 au lieu d'un léger excédent de 0,23% du PIB en 2009.
Par caisse, le déficit devrait atteindre 4,5% du PIB en 2050 pour la CNSS, alors que pour la CMR et la CIMR, il se situerait entre 1,5 et 2% du PIB. Ces déficits pourraient être comblés par les réserves importantes accumulées par les caisses de retraite. Toutefois, cette situation entraînerait progressivement un épuisement des réserves, qui deviendraient négatives en 2026 pour l'ensemble des caisses. Par régime, les réserves deviennent négatives en 2023 pour la CNSS, en 2022 pour la CIMR et en 2025 pour la CMR. Pour la RCAR, par contre, les réserves deviennent négatives seulement à partir de 2052.
Ces déficits considérables du système de retraite, implique une réduction de l'épargne publique et donc de l'épargne agrégée. L'effet du vieillissement sur l'épargne agrégée se reflète directement sur l'investissement, le ratio entre les investissements et le PIB baisserait de 10 points à l'horizon 2050.
L'effet négatif sur l'investissement se reflète sur l'accumulation du stock de capital disponible dans l'économie. L'effet combiné sur le stock de capital et sur l'offre de travail comporterait une évolution à la hausse du capital par unité de travail efficace, ce qui implique une augmentation au cours du temps de la productivité marginale du travail et donc du salaire par unité de travail efficace, et une baisse au cours du temps de la productivité marginale du capital et donc du taux de rémunération du capital.
L'effet de l'accroissement de la population active occupée sur la croissance économique
potentielle serait néanmoins atténué par l'évolution défavorable du stock de capital disponible. La croissance économique devrait ainsi fléchir significativement pour se situer à près de 2% à l'horizon 2050.
Parallèlement au scénario de base, d'autres scénarios ont également étudiés. Les premiers traitent de différentes hypothèses de réformes qui permettraient de maintenir, à chaque période, l'équilibre financier du système de retraite (ajustement des taux de cotisation et de la générosité du système de retraite), ou qui pourraient alléger les conséquences négatives du vieillissement (extension de la couverture pour tous les nouveaux travailleurs et augmentation de l'âge légal de départ à la retraite). Les autres étudient les effets d'une amélioration du taux d'emploi, encore faible au Maroc, sur la situation des caisses de retraite et l'opportunité d'une réorganisation institutionnelle des systèmes de retraite dans le sens d'une unification de certains d'entre eux.
Scénarios d'équilibrage des régimes de retraites (S2 et S3)
Les ajustements nécessaires à l'équilibre de chaque caisse sont colossaux
Deux simulations sont conduites pour déterminer les ajustements nécessaires pour équilibrer à chaque période tous les régimes de retraite, c'est-à-dire d'annuler le déficit technique. Dans le scénario S2, des modifications sont appliquées dans la même mesure aux taux de cotisations salariales et patronales, alors le scénario S3 traite de la réduction de la générosité de chaque régime de retraite.
Le scenario S2 montre que les ajustements nécessaires pour garantir l'équilibre de chaque caisse sont colossaux. Les taux de cotisation devraient passer de 11,89% à 65% entre 2010 et 2050 pour la CNSS, de 20% à 50,5% pour la CMR, de 18% à 72,7% pour le RACR et de 12,84% à 63,7% pour la CIMR.
Concernant le scénario S3, les efforts demandés aux retraités seraient excessivement importants.
La réduction de la valeur des retraites devraient représenter en 2015 près de 23% pour la CMR, 20% pour la CNSS, 49,4% pour la CIMR et près de 60% pour la RACR, et les réductions seraient encore importantes d'ici 2050.
L'élimination des déficits générés par le système de retraite permettrait d'augmenter l'épargne publique par rapport au scénario de base, mais de dégrader par ailleurs l'épargne privée.
Globalement, l'épargne agrégée serait en légère amélioration et par conséquent les investissements. Le taux d'investissement s'accroitrait de plus de deux points et demi dans les deux scénarios, et par conséquent, la croissance économique de 0,06 à 0,11 point.
Augmentation de l'âge légal de départ à la retraite (S4)
Une deuxième mesure qui pourrait être mise en place afin d'augmenter le nombre de cotisants consiste à augmenter l'âge légal de départ à la retraite. Dans ce scénario, il est supposé que l'âge légal est augmenté à 62 à partir de 2015 ans au lieu de 60 ans actuellement.
L'augmentation de l'âge légal de départ à la retraite aurait un effet légèrement positif sur le nombre de travailleurs. En fait, le taux d'emploi, c'est-à-dire le ratio entre le nombre total de travailleurs et la population en âge de travailler, augmenterait entre 0,3 et 0,5 pp par rapport au scénario de base. Par contre, la réforme aurait un effet très limité sur le nombre de cotisants. En fait, à cause du faible niveau du taux de couverture, le ratio entre le nombre des travailleurs couverts et la population en âge de travailler reste pratiquement inchangé par rapport au scénario de base.
L'effet macroéconomique de cette réforme est très modeste. Le déficit agrégé du système de retraite représenterait, en 2050, 7% du PIB au lieu de 7,4% du scénario de base et les effets sur l'investissement et la croissance économique sont aussi insignifiants.
La raison de l'inefficacité d'une réforme visant à augmenter l'âge légal de départ à la retraite est liée au fait que, parmi les individus âgés entre 60 et 62 ans, une fraction importante est inactive ou bien n'est pas couverte.
Rendre obligatoire l'affiliation pour tous les individus qui commencent à travailler
Une première mesure qui pourrait être adoptée afin d'augmenter le nombre de cotisants consiste à rendre obligatoire l'affiliation pour tous les individus qui commencent à travailler. Dans ce scénario, il est supposé que tous les individus qui commencent à travailler à partir de 2015 sont obligés de cotiser à la CNSS. Cette réforme, permettrait d'augmenter progressivement le taux de couverture, lequel pourrait atteindre presque 90% à l'horizon 2050 au lieu 30% retenu dans le scénario de base S1.
Cette réforme permettrait de réduire légèrement les dépenses totales rapportées au PIB, grâce à son effet positif sur l'évolution du PIB et du fait que les nouveaux cotisants ne vont toucher leur retraite qu'à partir de 2060. Ainsi, la masse des cotisations devrait représenter 4,1% du PIB en 2050, au lieu de 2,6% projeté dans le scénario de base et le déficit agrégé du système de retraite serait respectivement de 4,9% du PIB au lieu de 7,3%.
Au plan macroéconomique, la réduction du déficit total généré par le système de retraite produit une augmentation de l'épargne publique, mais l'obligation de cotisation pour les nouveaux travailleurs se traduirait par une baisse de l'épargne privée. Avant 2040, l'amélioration de l'épargne publique par rapport au scénario de base l'emporterait sur la dégradation de l'épargne privée, induisant ainsi une amélioration de l'épargne agrégée et par conséquent de l'investissement et de la croissance économique. Au-delà de cette date, l'épargne agrégée, et partant l'investissement, se détériorerait par rapport au scénario de base.
Le sentier de croissance économique suivrait cette trajectoire d'évolution de l'investissement, autrement dit une amélioration de la croissance pendant la moitié la période et le début d'un recul du rythme de croissance à l'horizon 2050.
En cas d'augmentation des taux d'activité, le déficit du système de retraite serait de 5,5% du PIB au lieu de 7,4%
Alors que dans le scénario de base, les taux d'activité sont supposés rester constants sur la base des niveaux récemment observés, le présent scénario évalue les effets d'une évolution à la hausse des taux d'activité au Maroc. Ainsi, pour les nouvelles générations qui entrent sur le marché du travail à partir de 2015, il est supposé que les taux d'activité des femmes se situeraient au même niveau de ceux des hommes du même âge, induisant en conséquence une augmentation progressive du taux d'emploi au niveau national de plus de 21,5 points en 2050 et du ratio entre le nombre de travailleurs couverts et la population en âge de travailler de plus de 9,8%.
Dans ces conditions, l'effet sur la situation financière du système de retraite marocain serait significatif. Le déficit total du système de retraite représenterait 5,5% du PIB contre 7,4% prévu dans le scénario de base. En outre, grâce à l'augmentation de l'offre de travail et à l'effet positif sur les investissements, le taux de croissance du PIB serait nettement supérieur par rapport à celui du scénario de base, soit 0,95 point de plus. Toutefois, l'augmentation de la population active, notamment féminine, n'est pas parfaitement absorbée sur le marché du travail et le taux de chômage augmenterait de presque 2 pp en 2050.Scénarios de réorganisation du système de retraites (S7 et S8).
Les effets d'une réorganisation du système de retraite marocain sont étudiés à travers deux scénarios. Le scénario S7suppose, qu'à partir de 2015, les caisses de retraites, à l'exception de la CIMR(1), fusionnent en constituant un seul régime. Dans le scénario S8, il est supposé qu'à partir de 2015 la CMR et la RCAR fusionnent en constituant un seul régime qui donc regrouperait tous les affiliés du secteur public.
Dans les deux scénarios, tous les individus appartenant au nouveau régime fusionné sont soumis aux mêmes règles concernant les cotisations versées et les retraites perçues. En particulier, à partir de 2015, il est supposé que pour tous les travailleurs couverts, la cotisation patronale est de 15% et la cotisation salariale est de 10%. Alors que pour tous les retraités, la pension représente 60% du dernier salaire perçu.
La situation financière du nouveau régime fusionnant la CNSS, la CMR et la RCAR est nettement améliorée par rapport à celle des trois caisses de retraites considérées séparément. En 2050, le déficit de ce nouveau régime représenterait 3,5% du PIB et, en ajoutant le déficit de la CIMR, le déficit global représenterait 5,3% du PIB contre 7,4% prévu dans le scénario de base.
Le nouveau régime fusionnant les deux régimes publics (CMR et RCAR) présenterait un déficit de 0,9% du PIB à l'horizon 2050. Au niveau agrégé, le déficit total des caisses serait, à l'horizon 2050 de 6,3% et, par conséquent, 1 point de moins que le scénario de base.
Par ailleurs, la fusion des caisses de retraite comporte une perte pour les retraités appartenant à des caisses qui garantissent un taux de remplacement supérieur à 60% (CMR et RCAR). Elle comporte également une perte de pouvoir d'achat pour les travailleurs cotisants au niveau de l'ensemble des caisses.
Au plan macroéconomique, la réduction des déficits générés par la fusion de la CNSS, CMR et RCAR (scénario S7) permet d'augmenter l'épargne agrégée, ce qui garantit une accumulation de capital plus importante et donc une croissance économique plus élevée. Cette fusion permet, de plus, de réduire légèrement le taux de chômage. Dans le cas d'une fusion de la CMR et la RCAR, l'effet positif au niveau macro, par rapport au scénario de base, est très limité.
(1) Il est important de souligner que nous jugeons que le régime de la CIMR, qui est un régime complémentaire, ne peut pas être fusionné aux autres régimes. En fait, il serait excessif de demander aux affiliés de la CIMR, qui actuellement cotisent aussi à la CNSS, de payer des cotisations supplémentaires de 25% du salaire, pour ensuite recevoir une retraite supplémentaire de 60% du dernier salaire. Par conséquent, la CIMR est considérée dans nos simulations comme un régime complémentaire à part.


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