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Potiers et céramistes de Safi
La traversée du siècle: Des tourneurs aux designers
Publié dans L'opinion le 31 - 05 - 2012

Il fut un temps où aller à Safi voulait dire visiter la colline des potiers inscrite monument historique en 1923 et déambuler dans la vallée Chaaba, deux sites qui exerçaient un attrait tout particulier, un univers de magie ou les artisans tourneurs donnent vie à la glaise et créent des objets qui nous parlent par les couleurs et les formes. Aujourd'hui encore il semble que le charme prenant se maintienne bien et l'on peut toujours faire des rencontres inoubliables au détour d'un des nombreux ateliers dont la colline est riche. Mais il arrive que des artisans tiennent un discours désenchanté :
« Ce n'est plus comme avant, il y a peu de touristes nationaux, peu de touristes tout court, pas d'acheteurs pour nos produits »
D'après ce discours il semble qu'il y a eu un âge d'or. Peut-être au temps où Safi était la capitale de la sardine et semblait à des moments être le centre du Maroc tant elle attirait les foules de voyageurs.
Il arrive qu'on se prenne à penser : Mais d'où vient donc cette tradition qu'on dirait immémoriale de la poterie et céramique de Safi ? Souvent on dit que cela avait toujours fait partie dans le passé de la vie populaire faite d'humilité, pauvreté et satiété, vie d'artisans se contentant de peu, vivotant tantôt de l'activité de pêche du littoral à proximité de la ville tantôt de la poterie grâce l'argile charrié par Oued Chaaba torrent redoutable qui inondait les abords de la ville à l'époque de pluie. Oued qui a valu à la ville son nom fameux qui provient de mot amazigh Assif qui veut dire cours d'eau selon une explication très répandue. Entre poisson et argile toutes les activités s'ordonnaient au rythme des saisons, hivers/étés et des grandes fêtes religieuses, Ramadan et Aid Lkbir, Achoura au cours desquelles le marché de la poterie usuelle s'animait dans une société très attachée à ses traditions.
L'un des rares ouvrages écrits sur la Colline des potiers et qui essaie de décrire et d'expliquer la présence et l'évolution de l'activité de poterie et céramique à Safi est le livre « La Colline des potiers, histoire d'une ville et de sa poterie » de Hamid Triki et Thami Ouazzani publié grâce à l'Association Hawd Assafi (Editions LAK International 1993, Casablanca). Dans ce livre il est expliqué que l'existence de la poterie vernissée est attestée à Safi au moins dès le XIIème siècle date de la présence du saint patron de la ville Cheikh Abou Mohammed Saleh :
« Il s'agissait spécialement de gourdes utilisées par les pèlerins partant de Safi pour la Mecque organisés en confrérie, la fameuse Taïfa des Houjjaj, fondée par le saint patron de la ville de Safi Cheikh Abou Mohammed Saleh à la fin du XIIème. Cette Taïfa semblait attirer particulièrement les artisans locaux et à leur tête les potiers, la gourde verte était l'un de leurs signes distinctifs à côté du chapelets ainsi que le relève al-Mihaj al-Wadih »
Cheikh Abou Mohammed Saleh originaire de la tribu amazigh des Beni Maguer qui était établie à l'époque (XIIème siècle) près de la ville, avait pérégriné en l'Orient à la recherche du savoir et de cheikhs. A Alexandrie il est resté vingt ans. A son retour à Safi il a fondé deux ordres : une Tariqa voie spirituelle de la première zaouia au Maroc d'après Hamid Triki et la fameuse confrérie des pèlerin Taïfa des Houjjaj. Celle-ci a été créée par le Cheikh Abou Mohammed Saleh en réaction aux fatwas qui essayaient de dissuader les musulmans du Maroc à partir en pèlerinage à la Mecque du fait de l'insécurité des routes. La taïfa des Houjjaj est devenue institution pour sécuriser la route du pèlerinage avec des étapes. Tous ceux qui souhaitaient aller à la Macque venaient à Safi. La Taifa s'est maintenue comme organisation du pèlerinage pendant deux siècles après la mort du Cheikh en 1233. Les pèlerins partant de Safi emportaient avec eux des gourdes en poterie pour l'eau comme décrit plus haut.
Il est indiqué que des influences multiples ont pu avoir lieu à travers les époques grâce à des échanges. Thami Ouazzani cite le cas au XVIIIè siècle de Haj Mohamed el Ghammaz l'Amine de la corporation des potiers qui avait fait venir à Safi un céramiste fassi un certain Abdeslam Lengassi. Celui-ci découvre que les artisans safiots fabriquaient exclusivement des poteries brutes. Il se met à réaliser des œuvres plus savantes mais à la fin il décide de « quitter Safi pour une raison de rentabilité ». En fait on peut se demander que si cet abandon n'est pas semblable à l'amnésie des artisans safiots qui avaient connu auparavant une poterie céramique fine oubliée avec le temps du fait de la demande du marché en poterie exclusivement fonctionnelle souaki c'est-à-dire à la portée des petites bourses.
Au XIXè d'autres maallemnine fassis vinrent s'établir à Safi. Ils furent rejoints par d'autres et se regroupèrent dans un atelier sur la colline appelé « l'atelier des gens de Fès ».
Thami Ouazzani explique l'emploi du bleu de Safi :
« On abandonne le polychrome pour ne produire que la poterie bleue tradition encouragée par la facilité de se procurer le bleu anglais, il arrivait par mer plus rapidement alors que les colorants, oxyde de fer, chrome manganèse provenaient de Tafilalet et du marché de Fès »
A l'époque moderne début du XXème siècle les choses bougent rapidement. L'un des moments forts de l'histoire de la poterie et de la céramique de Safi est l'arrivée de Boujamaa Lamali, Français d'origine algérienne, artisan potier issu de la Haute Kabylie, lauréat de l'Ecole des Beaux Arts d'Alger né en 1890. C'est l'exemple du potier qui a eu de l'instruction. Grâce à lui la céramique polychrome va prendre de l'essor à Safi. Après un passage par Paris, ensuite Rabat, il est envoyé par les autorités du Protectorat à Safi en 1918. Il s'attache aussitôt à cette ville qui l'adopte. Il ne la quittera plus. Il y fonde la première école de poterie et céramique en 1921. Ses élèves constitueront une nouvelle génération de potiers et céramistes qui participeront à la grande aventure de l'artisanat safiot avec la naissance de maallemine inoubliables qui marqueront toute une époque et feront que la céramique safiote rayonnera au-delà des frontières nationales. L'intérêt de cette école dans la ville s'explique par l'importance des artisans safiots, leur savoir-faire, le fait qu'ils étaient les dépositaires d'un héritage ancestral pour la poterie fonctionnelle accompagnant les besoins simples quotidiens de la population. Car les artisans potiers figurant une sorte de lumpenprolétariat vivaient presque toujours dans la grande pauvreté en se tuant au travail et les commerçants de poteries avaient toujours su tirer les meilleurs bénéfices du résultat de leur travail.
Boujamaa Lamali était donc un déclic pour valoriser le geste de l'artisan au sublime labeur en favorisant le déploiement du génie des potiers safiots qui optimiseront leur méthode de travail, technique de l'émail lustré ou craquelé avec innovation dans les motifs, la finesse du dessin, représentation anthropomorphe ou zoomorphe sans rompre avec le legs ancestral de motifs floraux feuilles trilobées (addarj), ailes de papillons (jnah boufartoutou), scorpion (l'arqrab) et ruche (‘arche annahl). De même au niveau des couleurs, la polychromie virera vers le bleu safiot par un concours de circonstance pour constituer une marque d'identité.
Cette créativité finira par rayonner au niveau national et international.
L'importance prise par la génération des potiers et céramistes safiots issus de l'école Lamali a poussé à la création de l'école de l'artisan en 1961 relevant du ministère de l'Artisanat. Dans les années quatre-vingt le besoin commençait à se faire sentir pour préserver des monuments de cette richesse. Ce besoin sera satisfait par la création du premier musée de céramique au niveau national installé à partir de 1992 dans l'un des plus importants monument historiques de la ville de Safi Dar Es-Soltane à l'origine une citadelles construite par les Almohades, où s'installèrent les Portugais (1508-1541) et où bien plus tard fut construit le palais Bahia pour Moulay Hicham fils du sultan Sidi Mohammed Ben Abdallah au XVIIIè siècle d'où le nom de Dar Essoltane. Ce musée dédié à la céramique de Safi renferme des pièces des meilleurs céramistes safiots qui ont marqué cet art au XXè siècle comme Boujemaa Lamali, Serghini, Laghrissi, Benbrahim…
Mais la poterie et céramique fut souvent affaire de famille héritage legs de père en fils. On observe ainsi plusieurs générations d'une même famille qui se relayent à ce jour. Il est intéressant de remarquer que les anciens potiers étaient parfois en même temps poètes, chanteurs du melhoun, maddahs déclamateurs de chant religieux etc. Ils se contentaient de peu, ils pratiquaient la vertu supérieure qui est la satiété.
Ces derniers temps avec l'ouverture brutale sur le monde des technologies de l'information, le web, le marché international fondé sur la concurrence sans merci du système du marché, les nouvelles générations des potiers et céramistes n'en finissent pas de chercher des voies pour améliorer leur production pour être compétitifs. Les Safiots encore plus surtout qu'ils ressentent un recul de la clientèle. Par exemple Ahmed Laghrissi fils de Abdelkader Laghrissi, un céramiste doublé d'artiste désigner, travaillant toujours dans son atelier à la colline des potiers soutient que le plus important pour les artisans c'est d'améliorer la qualité de ce qu'ils créent à tous les niveaux surtout le respect des normes de qualité.
« Aujourd'hui un jeune artisan céramiste doit obligatoirement passer par une école des Beaux Arts » dit-il.
On ne peut plus compter sur les dons innés. Les jeunes générations veulent apprendre, pensent à la compétitivité à la mise à niveau de leurs moyens, de leur savoir-faire pour le respect des normes internationales afin de pouvoir réanimer l'engouement local et accéder aux marchés internationaux très exigeants pour la qualité et la sécurité tout en présentant un produit spécifique à la terre d'origine bien ancré dans l'héritage ancestral.
Pour cela la mise à niveau des ateliers de poterie et céramique entre en jeu. Ainsi des artisans à la colline des potiers se sont organisés en coopératives avec l'aide de l'INDH et le concours de la délégation de l'Artisanat.
Pour Nabil Serghini un autre artiste céramiste de famille de potiers de père en fils, la qualité du travail c'est une créativité de modèles uniques.
« Mais qui ne peut se réaliser sans la qualité de la matière une argile travaillée et aussi la qualité de la cuisson à haute température qui ne peut s'obtenir avec les fours traditionnels. Des moyens sophistiqués aujourd'hui sont mis en place pour rassembler les éléments qui donnent au final une qualité d'un produit qui malheureusement revient cher »
Pour Hicham Tabia un autre jeune artisan issu d'une famille de potiers et qui est à la tête d'une jeune coopérative d'artisans, le potier céramiste est condamné à pénétrer le marché extérieur.
« Nous avons appris qu'aujourd'hui les artisans pour créer et avancer doivent se mettre ensemble, rien ne sera fait en restant chacun isolé dans son coin »
C'est en effet ensemble, en coopératives que des artisans sont en train de pénétrer un marché vierge, le marché américain à la suite d'une action d'initiation de l'USAID.
Parmi les anciens artisans, ce potier tourneur regrette qu'il y ait de moins en moins de mallemine tourneurs performants car selon lui les apprentis viennent trop tard, la nouvelle loi contre le travail des enfants et la scolarisation obligatoire font que les nouveaux apprentis ne viennent dans les ateliers qu'à l'approche de la vingtaine, « ils ne peuvent pas apprendre et puis le métier demande la satiété qana'a c'est rare par les temps qui courent, pour apprendre il faut du temps, or les jeunes sont impatients… »
La vision de cet artisan âgé de soixante ans c'est que son propre fils il ne lui souhaitera pas devenir tourneur aujourd'hui comme.
« Pour mon fils s'il doit choisir ce métier il faut qu'il soit désigner, le tourneur ne trouve plus grand monde à épater, quelle que soit sa virtuosité aujourd'hui il ne fait qu'exécuter les ordres du désigner » dit-il.


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