L'hebdomadaire «La Vérité» a publié dans son édition du 5 courant (n° 486) un intéressant article de Monsieur Michel Abitbol consacré au centenaire de la signature du traité du protectorat. Mohammed Bensaleh a demandé à préciser certains éléments -dont voici l'énoncé- que l'hebdomadaire a publié dans sa dernière édition. 1/ Concernant les terres agricoles distribuées aux colons ; l'auteur fait allusion à la volonté de la Résidence générale ne voulant manifestement pas brusquer le fellah en l'obligeant à vendre ses terres. Certes, mais les contrôleurs civils étaient sous l'influence du lobby des colons (ayant fait et défait, en Algérie et au Maroc, plus d'une carrière de résidents généraux). De ce fait, dans bon nombre d'endroits, le citoyen marocain, appelé alors indigène, devait venir chez le contrôleur civil afin de négocier la cession de ses terres, pieds nus et crâne rasé. Ce simple détail montre dans quelle condition humaine ladite cession devait être faite, au demeurant, demandée par l'acheteur colon mais nullement souhaitée par le vendeur marocain. 2/ Le système d'enseignement durant la phase coloniale : - Pratiquement jusqu'aux alentours de la fin de la deuxième guerre mondiale, outre bien sûr l'enseignement dispensé aux français, le marocain appelé «indigène» avait très peu accès à l'école. Après la Libération, les choses se sont un peu améliorées, mais en aucun cas un enseignement répandu n'était une idée phare émanant de la Résidence générale. 3/Concernant l'évasion d'Abdelkrim Khattabi, l'auteur en fait juste état. Mais il ya lieu de préciser comment. Et de situer le contexte historique du moment coïncidant juste après la visite du Roi Mohamed V à Tanger et son discours historique du 9 avril 1947. - Le jeudi 29 mai 1947, Abdelkrim Ghallab (1), alors membre fondateur du bureau du Maghreb Arabe au Caire, rencontre à la place Tahrir le palestinien Mohamed Ali Taher qui s'apprêtait à venir faire part au bureau que ses amis l'ont informé d'Aden que le Cotomba , battant pavillon australien , s'y était arrimé et que Abdelkrim Khattabi , son oncle Abdeslam , son frère Mohamed , sa famille ainsi que quelques compagnons étaient descendus du bateau pour faire la prière puis remonter à bord. L'itinéraire prévu était de partir de l'ile de la réunion pour rejoindre Marseille via les villes de Suez et de Port said. Le soir même de ce jeudi 29 mai 1947, Ahmed Ibn El Melih, Mohamed Benaboud, (Maroc) Habib Tamer (Tunisie) dépêchés par le bureau du Maghreb Arabe du Caire rencontrent, sans contrainte aucune, à Suez à bord du Cotomba Abdelkrim Khattabi. 21 ans d'exil lointain se sont écoulés et le leader ne connait aucun nom parmi les indépendantistes. - Le vendredi 30 mai 1947, le bureau du Maghreb arabe décide de saisir le roi Farouk pour lui demander d'accorder l'exil à Mohamed Abdelkrim El Khattabi, qui malgré l'heure de la sieste, fut averti d'urgence. Brahim Abdelhadi, chef du cabinet royal, près d'une heure après, les informe que le roi Farouk a donné ses instructions au chef du gouvernement Mahmoud Fahmi Al Nakrashi pour accueillir Abdelkrim Khattabi si celui-ci accepte de descendre du bateau et formule la demande d'exil. Aucune intervention sur le bateau de la part des autorités égyptiennes n'étant prévu a précisé, plus tard sur place, le gouverneur de Port said. - Le samedi 30 mai 1947, fort de la bénédiction du roi Farouk, six du bureau du maghreb au Caire (Allal El Fassi, Abdelkhalek Torres, Mohamed Banaboud, Abdelmajid Benjelloun (Maroc) Habib Bourguiba, Tayeb Slim (Tunisie) réussissent à accomplir sur place à Port Said une opération libératrice, digne d'une piraterie politique de Abdelkrim El Khattabi et 40 de ses compagnons (emprisonnés à l'ile de la Réunion depuis 1926). La délégation très impressionnée par le leader lui demande de descendre saluer le gouverneur de Port Said qui, aussitôt, lui souhaite la bienvenue au nom du roi Farouk et du peuple égyptien. Le tout sous le regard ébahi du capitaine grec du bateau et des gardes non armés. - Très vive protestation de la France auprès de l'Egypte déclarant cet acte comme attaque contre sa souveraineté et immixtion dans ses affaires intérieures. L'Espagne accuse la France de manquement grave à ses obligations, avec crainte de voir revenir Abdelkrim El Khattabi la combattre à nouveau eu égard aux très lourdes défaites - humaines et matérielles - qu'il lui a infligées dans le passé. - Cette opération libératrice rocambolesque, au demeurant, fait affluer au Caire des dizaines de journalistes et correspondants étrangers ce qui a permis aux indépendantistes maghrébins sur place plus de contacts afin de décrier la présence coloniale et de requinquer le moral des populations sur place notamment après le discours historique du Roi Mohamed V à Tanger le 9 avril 1947, précédé bien sûr d'un évènement phare et déterminant marquant un tournant décisif pour la présence du protectorat français au Maroc : la présentation du manifeste du 11 janvier 1944 par le parti de l'Istiqlal demandant tout simplement l'indépendance du Maroc. Une réflexion très importante mérite d'être soulignée par l'opération de la libération du leader rifain : la France, à la différence du Royaume-Uni, tout au long de sa présence coloniale au Maroc a toujours fait preuve d'un système de renseignement de faible ampleur. Après 21 ans d'exil, ses responsables ont pensé qu'Abdelkrim El Khattabi a été oublié. Ajouté à cela la liberté de mouvements - avec une défaillante surveillance - des indépendantistes au Maroc et même à l'intérieur des prisons où les directives continuaient à être données à l'extérieur en achetant le silence des gardes souvent d'origine corse. Du 11 au 28 janvier 1944 (car le 29 la répression s'abat), les autorités du protectorat pensaient toujours que les Etats-Unis d'Amérique avaient cautionné au préalable la présentation du manifeste du 11 janvier 1944. Il est à préciser qu'après la fin du protectorat, Mohamed V lors d'une visite au Caire rendit visite, à sa demeure, à Mohamed Abdelkrim El Khattabi. Mohammed Bensaleh (1)Historique du mouvement national paru en 1987 (P 393-402), paragraphe relatif à la libération de Abdelkrim El Khattabi. L'édition de 2000 comprend une préface de Jacques Berque, professeur au collège de France. Ancien fonctionnaire à l'administration du protectorat, il était ami des nationalistes et défendait leur cause. Ecarté de Fez, au Moyen-Atlas il récidiva.