Depuis hier et pour trois jours, le président de Tunisie, M. Moncef Marzouki, est en visite au Maroc, début de son périple maghrébin qui va ensuite le conduire en Mauritanie et en Algérie. Le but affiché de ces visites aux voisins maghrébins est de réanimer l'espoir et la structure unioniste du Maghreb. Mais ces propos trouveront-ils échos à l'est de l'Oued Isly ? Il y a à peine quatre jours, M. Mourad Medelci, chef de la diplomatie algérienne, a été on ne peut plus claire au sujet de la réouverture des frontières avec le Maroc. «Cette question n'est pas à l'ordre du jour», rapportait le journal algérien «El Watan». Mais comme rien n'est simple dans le pays voisin, le même journal a publié, lundi dernier, un reportage réalisé à Maghnia, située à 15 Km d'Oujda. Les propos des habitants de la ville frontalière rapportés par l'article sont aux antipodes des déclarations des officiels algériens. «Si les frontières étaient rouvertes, il y aurait plus de travail. Le tourisme à destination du Maroc boostera le commerce à Maghnia. Tout le monde sera content» a affirmé un chauffeur de taxi au journaliste d'El Watan. Les gens de Maghnia devront, selon toute vraisemblance, attendre encore avant de voir venir le jour de la réouverture des frontières. Car, même le geste purement symbolique de réouverture momentanée du poste frontière «Zouj Bghal», «Akid Lotfi» pour les Algériens, pour laisser passer les participants au Tour cycliste du Maroc, a été refusée par Alger. A l'est, rien donc de nouveau à signaler. Il y a une dizaine de jours, une mauvaise nouvelle, toutefois prévisible depuis quelques temps, est tombée. Les investissements directs étrangers (IDE) au Maroc ont reculé de 35% l'année dernière, ce qui n'est pas peu. Comme la situation économique des principaux partenaires du Maroc, à savoir les pays de l'UE, est loin d'être resplendissante et que le bout du tunnel n'est toujours pas visible, rien n'indique que les flux d'investissements directs étrangers seront meilleurs cette année. La Tunisie peine toujours à redresser sa situation économique et les IDE ont également reculé dans ce pays de 29% en 2011. Les responsables algériens se targuent que le flux des IDE a été plutôt stable l'année écoulée, mais de toute manière, mis à part le secteur gazier, l'économie du pays voisin n'attire pas beaucoup les opérateurs économiques étrangers, en raison d'une législation à ce sujet populiste et contraignante. La situation sécuritaire n'a toujours pas été correctement rétablie en Libye et la Mauritanie reste relativement en marge des flux d'IDE dans la région maghrébine. Dans un tel contexte, les 2% de PIB que perd chacun des pays du Maghreb du fait de l'inertie de l'union maghrébine semble être un gâchis impardonnable. Non seulement le commerce intermaghrébin pourrait beaucoup apporter aux peuples de la région, mais un marché maghrébin ne manquerait pas de susciter l'intérêt des investisseurs étrangers. Au lieu de ça, c'est une concurrence malsaine entre les pays de la région pour attirer les mêmes investissements, comme ce fût le cas pour l'usine «Renault» finalement installée à Tanger. Au grand dam des dirigeants algériens, qui ont bataillé pour attirer le constructeur automobile français sur leur territoire et font toujours pression, d'ailleurs, pour avoir «leur» usine «Renault». Il en est, d'ailleurs, de même pour le programme de production d'énergies renouvelables «Desertec», dont les dirigeants algériens veulent à tout prix avoir leur part. Ainsi donc, au lieu d'adopter une démarche maghrébine commune et concertée concernant l'accueil des investissements directs étrangers, pour pouvoir ratisser large, certains dirigeants maghrébins préfèrent plutôt se disputer le maigre existant. Personne ne doute que la réanimation de l'Union maghrébine aura indéniablement un impact positif sur tous les peuples de la région. Sauf que de petits calculs politiques stériles et mesquins de la part du voisin de l'Est empêchent cette évolution, quitte à desservir les intérêts de ses propres citoyens. Dans sa vision actuelle étriquée de la réouverture des frontières avec le Maroc, Alger ne comptabilise que les profits commerciaux et les recettes touristiques que ne va pas manquer d'engranger le Maroc, sans tenir compte de l'amélioration prévisible de la compétitivité du tissu productif algérien dans le cadre d'un marché unique maghrébin. Que peut craindre Alger pour sa balance commerciale, suite à une réouverture des frontières avec le Maroc, quand ses importations se chiffrent déjà à 50 milliards de dollars par an, comme le fait remarquer le journal algérien «El Watan». Les Algériens importent pour couvrir presque tous leurs besoins en biens de consommation et d'équipements, une situation qui a d'ailleurs permis à plusieurs hauts commis de l'Etat algériens d'instaurer un monopole mafieux sur les achats à l'étranger et un enrichissement délictueux de quelques privilégiés. C'est même un des thèmes préférés des chanteurs algériens de «rap» contestataire. Quel intérêt auraient alors certains hauts responsables algériens, qui prospèrent à travers leurs entreprises d'«import-import», à accepter une réouverture des frontières avec le Maroc, synonyme de manque à gagner ? Si l'intérêt de leur propre peuple les désintéresse autant, comment espérer qu'ils s'inscrivent dans la vision beaucoup plus large d'un marché unique dans le cadre d'un regroupement régional ? Pour les observateurs avertis de la scène maghrébine, la réactivation et la dynamisation du regroupement maghrébin demeure, pour l'instant, une utopie, tant que certains dirigeants algériens ne voient pas plus loin que leurs comptes en banque à l'étranger. Bienvenue à M. Marzouki, qui n'a pas besoin de prêcher le Maghreb en terrain conquis. Et on lui souhaite bien de la patience quand il s'agira de convaincre l'élite politique algérienne de la nécessité de donner consistance à leurs slogans pro-maghrébins. Il n'y a de pire sourd que celui qui ne veut entendre.