Les populations limitrophes de la frontière maroco-algérienne, attendent depuis 1994, la réouverture des frontières. Depuis le énième refus de notre voision de l'Est, c'est en Algérie que plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer la position des officiels, qui demeure en déphasage avec les attentes de la population de ce pays. Quelques jours après la demande par le Maroc de la réouverture de la frontière terrestre avec l'Algérie et la normalisation des relations, la réponse officielle de l'Algérie ne s'est pas fait attendre. Le ministre algérien de l'Intérieur, Noureddine Yazid Zerhouni, a déclaré que l'éventualité de la réouverture des frontières n'est pas d'actualité. Pour lui, les conditions ne sont pas requises. «Elles resteront fermées tant que les obstacles persistent. Le problème de la circulation (des biens et des personnes) aux frontières, ne peut être dissocié d'une approche globale de ce que nous voulons faire de notre Maghreb». En effet, quelques jours après la tenue du 4ème round de Manhasset, le ministère marocain des Affaires étrangères et de la Coopération avait appelé à une normalisation des rapports bilatéraux et à une ouverture de la frontière entre les deux pays. Pour rappel, la frontière terrestre entre les deux pays a été fermée en 1994 à la suite d'un attentat survenu à l'hôtel «Atlas Asni» à Marrakech. Le Maroc avait à l'époque, par mesure de sécurité, décidé d'imposer des visas d'entrée aux ressortissants algériens. Après cette décision, l'Algérie avait décidé de fermer la frontière avec le Maroc. En 2005, le Maroc a annulé le visa pour les Algériens, mais la frontière est toujours restée fermée. Le plus surprenant, est que les deux pays avaient maintenu des relations diplomatiques. La nomination du général Larbi Belkhir, ancien ministre de l'Intérieur, au poste d'ambassadeur d'Algérie à Rabat avait même été interprétée comme un signe d'apaisement pour une éventuelle ouverture des frontières. Si au Maroc la population de l'Oriental est la plus concernée par le problème de la fermeture des frontières, en Algérie, toutes les catégories de la population ont réagi favorablement à la demande du Maroc. Une vraie polémique. Des partis politiques et des ONG ont critiqué ouvertement la position des officiels algériens, qui ne reflète pas l'opinion de la population. Des partis de l'opposition comme le FFS (Front des Forces Socialistes) avaient soutenu la réouverture des frontières entre l'Algérie et le Maroc pour le bien des deux peuples frères. Le Premier secrétaire du FFS, Karim Tabou, a plaidé en faveur d'une véritable intégration socio-économique maghrébine, qui met en avant les valeurs démocratiques et la bonne gouvernance. Cette intégration devrait avoir également pour finalité, la lutte contre les inégalités sociales et la mise en place d'une société civile active. Pour sa part, le parti des travailleurs algériens ( PT ) s'est dit favorable à la réouverture des frontières entre l'Algérie et le Maroc, car «les peuples algérien et marocain, ont besoin de cette ouverture». Djelloul Djoudi, membre de la Direction centrale du Parti, a exprimé le souhait de son parti, que les frontières terrestres entre les deux pays soient ouvertes, pour l'intérêt de l'Union du Maghreb Arabe (UMA). La presse algérienne a fait l'écho de ce débat. L'hebdomadaire algérien Al Khabar hebdo, a écrit que la réaction de l'Algérie suite à la demande du Maroc, de rouvrir les frontières terrestres a été empreinte de «cacophonie» et d'«incohérence». Une diplomatie en salle de réanimation Deux jours après la demande marocaine, la réponse algérienne est venue du ministère de l'Intérieur, et non des Affaires Etrangères, relève l'hebdomadaire dans un article intitulé: «la diplomatie algérienne en salle de réanimation». Selon l'hebdomadaire, «les positions contradictoires» de Zerhouni et du ministre délégué algérien aux Affaires étrangères chargé des Affaires maghrébines et africaines, Abdelkader Messahel, sont une parfaite illustration de la «cacophonie» de la diplomatie algérienne. Le premier, explique la publication, a affirmé que l'Algérie «n'est pas pressée de rouvrir les frontières» bien que le dossier mérite un «examen approfondi», alors que le second a qualifié la demande marocaine de «non-évènement», en reprochant à la presse algérienne «d'avoir fait grand cas d'une question ordinaire qui ne méritait pas tant d'amplification et qui ne pouvait servir que le Maroc». Mais le plus surprenant, est la réaction d'un lecteur du Soir d'Algérie, qui a mis au défi, dans une lettre adressée au journal, les autorités algériennes d'ouvrir les frontières pour réaliser l'importance du mouvement massif qui va s'enclencher en direction du Maroc. «Ouvrez les postes frontaliers à l'Ouest ! En car, en voiture, en moto, à bicyclette et à pied, le peuple souverain vous dira alors ce qu'il pense des «ambitions politiques» que vous lui prêtez !», écrit l'auteur de ce courrier. Ce dernier accuse les autorités algériennes de prêter au peuple algérien, dans le cas de la fermeture des frontières algéro-marocaines, des «ambitions politiques», en les mettant au défi d'ouvrir les frontières, pour assister au flux massif des algériens vers l'Ouest. Le calvaire des familles séparées des deux cotés Au Maroc, dans la région de l'Oriental, des liens familiaux et matrimoniaux ont été brisés par cette politique de fermeture des frontières entre les deux pays et qui est payée par les deux peuples. Des milliers de familles sont séparées de part et d'autre et ne peuvent se rendre visite par voie terrestre, même dans les circonstances les plus douloureuses, comme un enterrement. L'Association pour le développement humain et culturel de l'Oriental, avait appelé, au mois de janvier dernier, à l'ouverture des frontières. Une pétition a été lancée pour faire connaître le calvaire des populations séparées des deux cotés. Si rien n'est fait, l'association compte s'adresser au Conseil des droits de l'homme à Genève pour mettre fin à cette situation dramatique. En attendant, les passeurs et contrebandiers des deux rives maintiennent l'entente cordiale depuis belle lurette. La route de la libre circulation des biens et des personnes est bel et bien connue par eux. Il ont des points de passage qu'ils connaissent par cœur. Boukanoune pres de Saidia, Guebouz à Ahfir ou El Aleb près de Béni Drar. 3Bquestions à Fatiha Daoudi* «Nous insistons sur le fait que les solutions humanitaires sont possibles et par conséquent impératives» La Gazette du Maroc : Vous avez fait circuler, le mois de janvier dernier, une pétition pour l'ouverture des frontières entre le Maroc et l'Algérie et envoyé une lettre au ministre de l'Intérieur à ce sujet. Quel bilan faite-vous de cette initiative aujourd'hui ? Fatiha Daoudi : Notre première action a été de mettre la lumière sur le drame humain que vivent des milliers de familles, depuis la fermeture des frontières terrestres avec et par l'Algérie en 1994. Cet état de fait empêche la population riveraine ayant de fortes relations familiales de part et d'autre de se rencontrer. Nous avons rédigé une pétition en octobre 2007 pour interpeller aussi bien les autorités des deux pays que la société civile et tous les militants des droits humains afin qu'une solution humanitaire soit trouvée pour ces milliers de personnes. Nous insistons sur le fait que ce drame qui perdure est une violation stricto sensu des droits de l'Homme. Nous avons fait circuler la pétition sur Internet. Elle a été signée par des associations non seulement du Maroc mais aussi de l'Algérie. Nous avons, aussi, eu l'adhésion de personnalités et de maghrébins dans plusieurs pays européens. Après avoir fait circuler notre pétition, nous avons pu nous rendre compte avec surprise que le drame humain que vivent au quotidien des milliers de familles, était souvent inconnu des responsables marocains, à fortiori du reste de la population. En fait, les concernés souffrent en silence et ne savent pas à qui s'adresser. Ceci nous a mené à rédiger une lettre ouverte au ministre de l'Intérieur dans laquelle nous lui demandons d'être l'avocat de ces familles, afin de plaider auprès de toutes les instances possibles, pour leur trouver une solution humanitaire. Que proposez-vous en contrepartie face à cette situation de blocage ? Nous saisissons cette occasion, pour proposer quelques solutions, comme par exemple l'octroi de laissez-passer, leur permettant de se déplacer pour des visites familiales ou alors le choix d'un jour de semaine où il leur sera permis de traverser la frontière pour la même raison. Nous insistons sur le fait que les solutions humanitaires sont possibles, et par conséquent impératives. Même les deux Corées, ennemies mortelles, ont trouvé une solution humanitaire à leur population. Quel est l'impact social et économique sur les populations, suite à la fermeture des frontières depuis 1994 ? Notre association, en focalisant sur ce sujet, veut surtout insister sur le problème humain engendré par cette fermeture, car nous savons tous que la marchandise et la contrebande n'ont jamais eu de problème de circulation entre les deux frontières. Nous insistons sur le drame que vivent ces milliers de familles qui n'ont rien de naturel. Les relations de famille ne se limitent pas au cousinage. Nous voyons des mères et des pères séparés de leurs enfants. Le même sort est réservé à la fratrie. Pour pouvoir rendre visite aux leurs, ces familles n'ont pour solution que la voie aérienne, plus précisément à partir de Casablanca qui se trouve à plus de cinq cent kilomètres d'Oujda pour atterrir à Alger qui se trouve à peu près à la même distance de la frontière algéro-marocaine. Outre le fait que l'avion est un moyen de transport trop cher, la distance à parcourir dans la légalité est plus que décourageante. Reste pour ces familles la traversée clandestine des frontières terrestres appelées «Trik el ouahda». L'illégalité de cette voie les laisse tributaires du bon vouloir des passeurs, des autorités complices et surtout de leur situation pécuniaire. Les clandestins sont, aussi, régulièrement tributaires, de ce qui est appelé «un tour de vis» qui n'est, en fait, que l'application stricte de la fermeture des frontières terrestres. Il est, ainsi, facile d'imaginer la détresse devant l'impossibilité de visiter, une dernière fois, sa mère, son père mourant ou, pire, d'assister à leur enterrement ! Les cas de détresse sont aussi nombreux que différents… (*) Présidente de l'Association pour le développement humain et culturel de l'Oriental