«La fitna est plus dure que la mise à mort». C'est la mise en garde adressée par le Créateur unique aux croyants, dans le verset 191 de la sourate de la «Génisse» (Al Baqara). C'est également, en substance, le contenu de la lettre, daté du 6 août dernier, adressée par le Cheikh salafiste récemment libéré de prison, Mohamed Fizazi, à l'association non autorisée d'Al Adl Wal Ihssan. Sans pour autant partager les mêmes conceptions idéologiques que Cheikh Fizazi, la lecture de sa lettre destinée aux partisans du Cheikh Yassine n'en est pas moins intéressante à plus d'un titre. Il est d'abord intéressant de souligner que cette lettre n'adopte pas le ton de la Fatwa. Nulle référence coranique ou du Hadith, mais tout simplement l'expression d'un avis personnel s'appuyant sur le bon sens et la sagesse. Pour Cheikh Fizazi, sa lettre adressée au courant islamiste d'Al Adl Wal Ihssan est plutôt une mise en garde et une invitation au dialogue. Et si ses propos sont rejetés par ceux auxquels ils sont adressés, il aurait alors accomplit son devoir «en tant qu'acteur religieux et politique». A l'instar de la majorité des Marocains, Cheikh Fizazi pose une question on ne peut plus claire aux partisans du Cheikh Yassine. «Je fais appel à Dieu pour que vous nous disiez, à nous, l'opinion publique, que voulez-vous ?». On peut ne pas être souvent d'accord avec les idées du Cheikh Fizazi, mais à tout seigneur, tout honneur, son propos dans sa lettre à Al Adl Wal Ihssan ne manque pas de pertinence. «Venons en à la (révolution) au Maroc, notre pays commun et notre chère patrie. J'ai mis le mot révolution entre parenthèses, parce que je n'ai toujours pas compris, en toute clarté, révolution contre qui ?». J'ignore toujours quelle est la finalité de cette (révolution) chez tous les révoltés, ni trouvé un programme détaillé et transparent, ni une feuille de route pour cette mouvance… Tout ce que j'ai trouvé, après examen, c'est un amas de contradictions et d'incohérences dans les slogans et de contraste dans les desseins… Plutôt des enchevêtrements de mains et de coup de poings comme cela s'est produit dans certaines régions». Lui qui était prêt à rejoindre les rangs de ceux qui scandent leur rejet de la corruption et la prévarication, a fini par se rendre compte que le mouvement du 20 février amalgamait le bon et le mauvais et a appelé à l'assainissement des rangs. Difficile, en effet, d'imaginer le Cheikh salafiste, réputé pour son fondamentalisme religieux, entrain de manifester aux côtés de ceux qu'il a lui-même appelé «les athées et les hérétiques», des gens qui «ne cachent pas leur athéisme et leur héréticité et appellent à blesser les sentiments de notre nation, une fois en louant l'homosexualité, d'autres fois en invitant à une rupture du jeûne diurne et publique pendant le Ramadan, d'autres encore en affichant clairement l'athéisme et l'irréligiosité…» Pour le Cheikh Fizazi, le tournant a été le discours du 9 mars de SM le Roi Mohammed VI, quand il a entendu des propos qui «dépassent le plafond des revendications du mouvement lui-même», jugeant, par ailleurs, que le Maroc avait changé. «Ne jouez pas avec le feu» Ces gens qui scandent «le peuple veut…», ont-ils reçu mandat de ce peuple pour ce faire, s'est-il interrogé. «Vous n'êtes pas seuls ! », leur fait-il remarquer. Avant de mettre en garde les fauteurs de trouble d'une manière on ne peut plus ferme et légitime. «Puisse Dieu débarrasser notre société de ces démons avant que nos rues ne se transforment en une arène de lapidation. (…) Le peuple marocain, musulman et jaloux de sa religion, ne permettra jamais à une bande de sodomites et de fous d'imposer leur incrédulité dans notre propre maison». Après avoir rappelé les constantes et valeurs sacrées de l'Etat marocain, à savoir l'Islam, la monarchie et l'intégrité territoriale de la nation, c'est de manière abrupte que Cheih Fizazi met à nue de sombres desseins. «Cheikh Abd al-Salam Yassine, est à la recherche d'un califat islamique, selon la méthode de la Prophétie. Mais il ne nous dit pas qui est le Calife prévu, ni quels sont les mécanismes pour le désigner, et encore moins le degré de cristallisation de ce projet de Califat au sein du peuple marocain ...». Il relève alors les contradictions: «La fille de Cheikh Yassine a déclaré plusieurs fois qu'elle est pour une république islamique au Maroc. Elle, non plus, ne donne de cette aspiration aucun détail fonctionnel pour transformer le Maroc en république. Ce n'est pas un secret que la demande de la fille est très différente de la demande de son paternel cheikh, outre que cette aspiration est fermement rejetée par la plupart des Marocains, à mon avis. Il y a des leaders dans le groupe (d'Al Adl Wal Ihssan) qui ont exprimé leur préférence pour une monarchie parlementaire, où le Roi règne sans gouverner… (...) C'est une aspiration qui diffère de la volonté du père comme de la fille». Le Cheikh salafiste met, en quelques mots, les choses au clair. «Vous voulez renverser le régime, la monarchie et le Roi ? Je ne crois pas que vous oserez. Si vous le faîtes, ce sera la rupture totale entre vous et la majorité de ce peuple. Vous serez la mèche de la sédition, maudite par Dieu (…) C'est pourquoi je vous dis, Craignez Dieu et ne jouez pas avec le feu». Suivant la tradition islamique, Cheikh Fizazi tend la main aux égarés et les invite au dialogue. Mieux encore, il les incite à prendre le train du changement mis en branle par SM le Roi, pour réussir effectivement la révolte contre la corruption et la prévarication. «Mettons tous nos mains dans les mains de ce Roi, qui n'a pas esquivé ses responsabilités, n'a pas mené de fuite en avant comme l'ont fait les tyrans arabes, n'a pas déclaré une guerre ouverte contre les manifestants avec le fer et le feu». L'Islam ou le déluge ? Les Marocains dans leur majorité, toutes tendances confondues, des libéraux modernistes aux islamistes conservateurs, salafistes et soufis confondus, ont choisi l'Islam et le progrès, leur Roi et Commandeur des Croyants ainsi que la Monarchie constitutionnelle, les réformes dans la stabilité plutôt que la sédition, l'hérésie et le déluge qui s'ensuit.