Les allures d'une guerre civile commencent réellement à prendre forme en Libye, au 20e jour de l'insurrection du peuple libyen contre Mouammar Kadhafi. Ce dernier vient de lancer ses troupes pour une reconquête de Benghazi, fief de l'insurrection à l'est. Le sort de plusieurs villes, dont la ville pétrolière de Ras-Lanouf et Tobrouk, demeure inconnu. Tantôt annoncées sous contrôle des rebelles une autre fois sous la coupe des forces pro-Kadhafi. Près de 200.000 personnes auraient fui les violences dans la Jamahiriya. Les forces libyennes ont lancé dimanche un nouvel assaut contre Misrata, ville tenue par les rebelles à 200 km à l'est de Tripoli, en utilisant des chars et l'artillerie, a déclaré un habitant à Reuters. "Des combats très, très intenses ont lieu en ce moment à l'entrée ouest de la ville. Les combats ont débuté il y a environ une heure après une attaque lancée par les brigades de Khamis", a dit cet habitant, Mohamed, interrogé au téléphone. Khamis est un fils du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. "Ils détruisent tout sur leur passage. Ils utilisent l'artillerie et des chars. Les révolutionnaires font tout ce qu'ils peuvent pour les empêcher d'atteindre le centre de la ville", a ajouté Mohamed. Les insurgés libyens se sont repliés dimanche sur Ras Lanouf après avoir quitté leurs positions à l'ouest de ce port pétrolier en Libye, a constaté un journaliste de Reuters. Durant leur retraite, ces rebelles ont tiré sur un hélicoptère. Plusieurs dizaines de véhicules de rebelles équipés de mitrailleuses sont arrivés à Ras Lanouf en provenance de l'ouest, où se trouve Bin Djaouad. Des rebelles ont signalé un assaut des forces de Mouammar Kadhafi contre cette ville. Les forces libyennes ont attaqué dimanche les insurgés à Bin Djaouad, une localité entre Syrte et Ras Lanouf tombée la veille aux mains de l'insurrection, ont déclaré des rebelles. Un combattant, revenant blessé de la ligne de front, a déclaré que les forces de Mouammar Kadhafi tiraient à la mitrailleuse et lançaient des grenades (RPG). D'autres rebelles présents à Ras Lanouf ont dit avoir été informés de cette attaque par des appels téléphoniques en provenance du front. "Les gens à Bin Djaouad nous disent que les forces de Kadhafi sont présentes. Des rebelles ont été touchés par des tireurs embusqués", a dit un combattant rebelle. Les avions de Kadhafi bombardent les insurgés Des avions de guerre libyens ont bombardé dimanche une colonne rebelle qui progressait le long de la côte méditerranéenne vers Syrte, bastion du colonel Moammar Kadhafi, a constaté une équipe de télévision de l'Associated Press. Les insurgés avancent vers l'ouest, et plus précisément la capitale, Tripoli, qui reste aux mains des forces gouvernementales. Ils ont gagné du terrain ces derniers jours, capturant notamment samedi le port pétrolier de Ras Lanouf, un site stratégique. Cependant, les forces gouvernementales menaient dimanche une violente contre-offensive, faite de bombardements aériens et d'intenses combats terrestre. Elles ont procédé de la sorte à Ben Jawad, à 160km à l'est de Syrte, ont constaté des reporters d'AP. Après des frappes aériennes et de violents combats au sol, les troupes pro-Kadhafi ont repris le contrôle de Ben Jawad. Lorsqu'ils ont essuyé ce revers, les insurgés avançaient vers Syrte, qui pourrait être un terrain de bataille décisif. Les rebelles libyens ont déclaré dimanche qu'ils poursuivaient leur progression vers l'ouest de la Libye, qu'ils contrôlaient désormais la ville de Nofilia et qu'ils se rapprochaient de Syrte, le fief de Mouammar Kadhafi. Cette annonce a été faite par Bachir Abdoul Gadir, l'un des commandants des insurgés dans l'Est du pays, au cours d'une conférence de presse à Ras Lanouf. Nofilia se trouve à l'ouest de Bin Djaouad, que les rebelles disent avoir fait tomber samedi. Les forces libyennes ont toutefois lancé dimanche une offensive sur Bin Djaouad, selon plusieurs témoignages de rebelles. Bachir Abdoul Gadir a estimé qu'environ 8.000 combattants rebelles se trouvaient entre Ras Lanouf et Nofilia. Ce colonel a ajouté que Mouammar Kadhafi envoyait des renforts en provenance du Sud à Syrte, plus à l'est le long de la côte méditerranéenne. Selon lui, les troupes rebelles se trouvent désormais à 120 km de Syrte. "Nous avons abattu un avion de chasse à Ras Lanouf et un hélicoptère à Nofilia", a-t-il précisé. A l'Ouest, la bataille de Zaouïah A Zaouïah, les insurgés avaient repoussé dimanche un nouvel assaut des forces fidèles à Mouammar Kadhafi sur le centre de Zaouïah, ville située à une cinquantaine de kilomètres à l'ouest de Tripoli, a dit un porte-parole rebelle. "Ce matin, il y a eu une nouvelle attaque, plus importante que celles de la veille. Les combats ont duré une heure et demie (...) Deux personnes sont mortes de notre côté et de nombreuses autres ont été blessées", a déclaré Youssef Chagane par téléphone. "Nous contrôlons toujours complètement la place. C'est calme maintenant", a-t-il ajouté. Les insurgés ont dit avoir repoussé la veille samedi deux attaques des forces de Kadhafi sur la ville de Zaouïah, à 50 km à l'ouest de Tripoli. La capitale est l'ultime objectif des rebellesA Zaouïah, les insurgés ont dit qu'une seconde offensive gouvernementale avait été repoussée. "Après l'attaque du matin, il ont de nouveau attaqué. Ils sont entrés par l'ouest et ont tiré des roquettes sur les immeubles de la place centrale", a déclaré un porte-parole des insurgés, Youssef Chagane. "Les combats se sont intensifiés et les chars pilonnent tout sur leur passage. Ils ont bombardé des maisons et maintenant une mosquée où sont réfugiés des centaines de gens", déclarait un peu plus tôt à Reuters un habitant, Abou Akil. Un autre habitant présent faisait état d'une vingtaine de chars. Des dizaines de morts à Zaouïah en deux jours Selon des témoins, les forces pro-Kadhafi auraient fait usage de puissants explosifs et enlevé des civils à leurs domiciles. Zaouïah est le théâtre de combats depuis plus d'une semaine. Selon un médecin de Zaouïah, 30 personnes au moins, des civils pour la plupart, ont été tuées durant les affrontements de samedi matin, ce qui porte à 60 morts le bilan de deux journées de combats pour le contrôle de la ville. Une journaliste de la chaîne britannique Sky a dit avoir vu huit soldats morts et cinq blindés en flammes sur la place centrale. Le médecin a dit que les chars de Kadhafi avaient ouvert le feu sur des immeubles d'habitation et des voitures de particuliers cherchant à s'enfuir : "Il y a beaucoup de destructions en ville. En regardant autour de moi, je ne vois que des destructions. Des immeubles bombardés et des voitures en flammes de tous les côtés - je ne peux même pas les compter." Un combattant de l'opposition a juré de poursuivre la lutte jusqu'au bout. "Kadhafi n'entrera jamais dans cette ville. Il ne mettra jamais le pied ici. Pour qu'il puisse entrer dans la ville, il faudra que nous soyons tous morts", a dit cet insurgé de Zaouïah en demandant à garder l'anonymat. Pour Kadhafi, c'est un combat contre Al Qaïda Le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi affirme dans un entretien accordé au Journal du dimanche qu'il "combat le terrorisme" d'Al Qaïda et appelle la France à prendre la tête d'une commission d'enquête sur la situation dans son pays. "Je m'étonne vraiment que l'on ne comprenne pas qu'il s'agit ici d'un combat contre le terrorisme (...) Pourquoi lorsque nous sommes dans un combat contre le terrorisme, ici en Libye, on ne vient pas nous aider en retour", déclare-t-il dans cette interview réalisée samedi à Tripoli par les envoyés spéciaux du JDD. Réaffirmant que les troubles sont fomentés par Oussama ben Laden et les djihadistes d'Al Qaïda, il met en garde contre le risque d'"un Djihad islamique en face de vous, en Méditerranée" et d'une émigration massive vers l'Europe. "Je veux bien me faire comprendre: si on menace, si on déstabilise, on ira à la confusion, à Ben Laden, à des groupuscules armés. Voilà ce qui va arriver. Vous aurez l'immigration, des milliers de gens qui iront envahir l'Europe depuis la Libye. Et il n'y aura plus personne pour les arrêter", prévient-il. Kadhafi, qui promet qu'"(il) n'(a) jamais tiré sur (son) peuple", compare la lutte engagée contre l'insurrection aux combats menés sur d'autres théâtres d'opération contre "l'extrémisme islamiste". Rappelant que "la France a de grands intérêts en Libye", le dirigeant libyen appelle les autorités françaises à changer d'"attitude à notre égard". "Que la France prenne vite la tête de la commission d'enquête, qu'elle bloque la résolution de l'Onu au Conseil de sécurité, et qu'elle fasse arrêter les interventions étrangères dans la région de Benghazi", demande-t-il. Paris "salue la création du Conseil national libyen" Seulement la France, par le biais du Quai d'Orsay vient de reconnaître le Conseil national libyen. Paris "salue la création du Conseil national libyen", instance dirigeante de l'insurrection contre le colonel Kadhafi, "et apporte son soutien aux principes qui l'animent et aux objectifs qu'il s'assigne", a annoncé dimanche le ministère français des Affaires étrangères. Dans un communiqué, le ministère français des Affaires étrangères condamne par ailleurs "l'usage inacceptable de la force contre les civils" et "adresse sa sympathie aux proches des victimes des affrontements en cours en Libye". En outre, "elle rend hommage au courage des populations soumises à la violence". Enfin, Paris appelle "au plein respect" de la résolution 1970 du Conseil de sécurité des Nations unies et "à une solution politique rapide qui permette la cessation des violences et l'établissement d'un gouvernement démocratique qui réponde aux aspirations du peuple libyen".