Bien que prometteuses et avant-gardistes, les start-ups de Deep Tech se heurtent à une série de défis spécifiques qui peuvent entraver leur développement et leur succès. Tour d'horizon. Les travaux de la première édition du "Deep Tech Summit" de l'Université Mohammed VI Polytechnique ont été clôturés, vendredi dernier, sur des perspectives prometteuses pour les start-ups de la Deep Tech, dites de technologie de rupture. En combinant recherche approfondie et applications pratiques, ces start-ups sont capables de transformer des idées scientifiques en produits commercialisables leur permettant de créer des marchés entièrement nouveaux et de redéfinir les limites de ce qui est possible. Ces start-ups ne se contentent pas d'améliorer l'existant mais réinventent des paradigmes établis, révolutionnant ainsi divers secteurs clés de l'économie nationale. Toutefois, bien que prometteuses et avant-gardistes, les start-ups de Deep Tech se heurtent à une série de défis uniques qui peuvent entraver leur développement et leur succès. A commencer par l'absence de cadre juridique clair et de normes de sécurité encadrant leur activité, menant les entrepreneurs à naviguer dans les méandres des réglementations.
Incertitude VS rentabilité
A la différence des autres start-ups, ces entreprises, fondées sur des avancées scientifiques et technologiques complexes, évoluent dans un environnement où l'incertitude est omniprésente, tant sur le plan technique que commercial. La question du financement revient naturellement quand il s'agit du démarrage d'une nouvelle activité dont le produit final est basé sur une technologie de pointe, souvent très coûteuse en termes de liquidité.
Que ce soit pour développer la hard-tech ou pour en protéger la propriété intellectuelle, une start-up Deep Tech requiert un capital en cash assez conséquent. Cela crée deux difficultés majeures. "La nécessité de mobiliser au quotidien un volume très rationnel en liquidité tout en veillant à opter pour les bons choix en matière de recherche et de développement", explique Yassine Laghzioui, directeur de l'Entrepreneuriat &Venturing de l'UM6P. "Il faut donc être très pragmatique et très efficace lorsque l'on développe un produit ou l'on doit choisir entre plusieurs options de développement. Car, si l'entreprise choisit la mauvaise voie, cela signifie que tout l'argent investi ne servira à rien", ajoute-t-il.
Les start-ups de Deep Tech, en raison de la complexité et de la sophistication de leurs produits et services, se confrontent à des cycles de développement nettement plus longs que ceux des entreprises dites "Shadow Tech" ou de "Low Tech". En effet, alors qu'une application ou un logiciel peuvent être développés en quelques jours ou même en quelques heures grâce à des outils de développement rapide comme le Low-code, les innovations Deep Tech nécessitent souvent plusieurs années, voire des décennies, pour aboutir, témoignent des entrepreneurs ayant pris part au "Deep Tech Summit".
Attirer les bons investisseurs
Cette durée prolongée impose une patience et une vision à long terme aux bailleurs de fonds, qui doivent être prêts à soutenir financièrement ces start-ups sur une période étendue sans retour sur investissement immédiat. Or, la réalité est toute autre. "Les investisseurs en capital-risque (VC) recherchent généralement des retours sur investissement rapides, évalués entre 5 et 7 ans, ce qui n'est pas compatible avec les longs cycles de développement caractéristiques des innovations Deep Tech", précise Yassine Laghzioui. En témoigne dans ce sens l'expérience de la start-up DeepLeaf dont les solutions servent à près de 700 agriculteurs dans plusieurs pays, sans pour autant générer des revenus, selon son fondateur, El Mahdi Aboulmanadel.
En conséquence, les start-ups de Deep Tech doivent cibler des investisseurs spécifiques qui comprennent la nature et les exigences de ces technologies. Il s'agit souvent de VC stratégiques ou de ceux ayant une expérience particulière dans le domaine de la Deep Tech, capables de soutenir des projets sur de longues périodes sans retour immédiat.
Outre les investisseurs, les politiques publiques semblent avoir, elles aussi, une part de responsabilité. Dans ce sens, El Mahdi Aboulmanadel a souligné la nécessité pour le gouvernement d'offrir des incitations aux start-ups Deep Tech, leur permettant de créer des solutions sans recourir aux investisseurs, surtout dans la phase de grow-up, arguant que les solutions développées par les start-ups spécialisées en Deep Tech bénéficient largement à notre pays.
Innovation VS attentes du marché et des collaborateurs Un autre défi des plus critiques pour les start-ups Deep Tech réside dans la nécessité de maintenir un équilibre précaire entre l'innovation continue et la satisfaction des exigences concrètes du marché. Ce défi devient particulièrement aigu lorsqu'une entreprise cherche à passer de la phase de développement initial à une production à grande échelle, selon Yassine Laghzioui, qui part de son expérience avec Phosphate Valley Technologie, une start-up hardtech industrielle, où son équipe est constamment engagée dans un processus d'innovation tout en veillant à ce que les produits développés répondent de manière fiable et précise aux attentes des clients.
"Cette dualité entre pousser les frontières de la technologie et répondre efficacement aux besoins du marché est souvent déterminante pour réussir le passage à l'échelle supérieure", témoigne-t-il. En outre, le recrutement et le maintien des talents spécialisés constituent un autre défi de taille pour la start-up Deep Tech. De par la nature complexe de leurs activités qui requiert des compétences hautement spécialisées en science et en ingénierie, ainsi que des compétences en gestion et en développement commercial pour piloter la croissance, ces structures font face à la rareté d'expertise, que ce soit au niveau des premiers employés qui joignent la start-up pour co-développer le produit en question, ou au niveau des experts, des mentors de nature à accompagner la start-up tout au long de son cycle de développement. Raison pour laquelle "il faut savoir développer un vaste réseau, d'un partenariat avec les meilleures Universités, les meilleurs centres de recherche et les meilleurs experts, mentors dans le domaine en vue de recruter les meilleurs talents mais également de les conserver", souligne Yassine Laghzioui. À ce stade, nos interlocuteurs sont convaincus du potentiel des start-ups de Deep Tech pour plusieurs secteurs au Maroc. Toutefois, pour concrétiser ce potentiel, il est essentiel d'adapter les politiques publiques aux spécificités de ces nouvelles technologies. Cela implique de développer une vision clairvoyante afin de réguler efficacement tout en évitant de freiner le progrès. Les politiques publiques doivent favoriser un environnement propice à l'innovation Deep Tech en prenant en compte sa particularité. Trois questions à Yassine Laghzioui : « Le Maroc a besoin d'une vision claire pour le développement des technologies de rupture » * Quel est actuellement le potentiel du Maroc quant au développement des start-ups de la Deep Tech ?
Tirant profit de son expérience pionnière dans des secteurs clés, de ses infrastructures de qualité et de sa stabilité politique, le Maroc a tout le potentiel pour se positionner en tant que hub de la Deep Tech en Afrique. Cette ambition exige une vision claire adaptée aux besoins du marché local, mais également aux spécificités de la technologie de rupture. En plus d'autres intervenants de l'écosystème, l'Université a un grand rôle à jouer dans cette perspective. En développant des laboratoires de recherche de pointe et en orientant la recherche vers les problématiques du marché, les Universités marocaines pourraient être le levier de développement de projets de rupture.
* Comment les start-ups peuvent-elles parvenir à maîtriser l'équilibre entre innovation et besoins du marché ? Les start-ups Deep Tech qui parviennent à maîtriser cette dualité continuent à innover de manière soutenue tout en capitalisant sur ces innovations pour se développer à l'échelle mondiale. Cependant, sans une gestion minutieuse, l'innovation peut stagner ou la start-up peut échouer à répondre aux exigences du marché, compromettant ainsi son expansion et sa durabilité. Les Deep Techs qui réussissent ce passage sont celles qui intègrent ces tensions dans leur ADN, un défi stratégique et opérationnel de taille. Réussir dans ce domaine exige une compréhension profonde des dynamiques de marché et une capacité à répondre également aux exigences commerciales. * Comment l'Université Mohammed VI Polytechnique participe-t-elle dans le développement de l'écosystème de la Deep Tech au niveau national ?
L'UM6P a pris le parti audacieux et stratégique de s'attaquer simultanément à plusieurs secteurs, car tout simplement le fait de se concentrer uniquement sur un ou deux domaines limiterait son impact. Consciente des moyens conséquents nécessaires pour mener à bien cette mission, l'UM6P a mis en place une structure organisationnelle robuste et diversifiée. En moins de 10 ans, elle a réussi à lancer des dizaines de centres de recherche spécialisés et des centaines de projets de recherche en parallèle. Cette approche multidimensionnelle permet à l'UM6P de développer une expertise étendue et de répondre de manière plus holistique aux défis complexes et interconnectés auxquels les start-ups de Deep Tech sont confrontées. La capacité de l'Université à soutenir une telle variété de projets témoigne de son modèle organisationnel innovant, qui favorise la collaboration interdisciplinaire et la synergie entre différents domaines de recherche.
UM6P - OST : Vers l'accompagnement des start-ups Deep Tech Le paysage marocain des start-ups et de l'innovation connaît une période de croissance sans précédent, grâce à une nouvelle génération d'entrepreneurs offrant des solutions dans des secteurs stratégiques. Toutefois, pour que cet écosystème soit vertueux et performant, il lui faut plus de visibilité, de formation, de mentorat, d'accès au marché et d'opportunités de financement... Des leviers qui joueront un rôle transformateur dans la croissance de l'écosystème d'innovation, selon l'UM6P.
C'est dans le cadre de cet élan que s'articule l'action de l'Université Mohammed VI Polytechnique et de l'Open Startup International (OST), une organisation non-gouvernementale pour l'innovation et le renforcement des capacités à travers l'entrepreneuriat, suite à la signature d'une convention de partenariat en marge du « Deep Tech Summit ».
En vertu de la convention, les deux partenaires entendent propulser le développement des start-ups Deep Tech à forte valeur ajoutée pour l'Afrique à travers la mise en place de programmes d'accélération et d'accompagnement aux entrepreneurs ayant soif pour le potentiel de l'innovation de rupture.
Deep Tech : Le potentiel du Maroc mis en lumière par l'UM6P Le campus de l'Université Mohammed VI Polytechnique de Benguerir a abrité les 9 et 10 mai la première édition du « Sommet de la Deep Tech » sous le thème « La Deep Tech : Prochain jalon de la transformation en Afrique ». La Deep Tech désigne l'ensemble des entreprises et projets développant des produits ou des services disruptifs basés fortement sur la R&D, les technologies avancées, et souvent issus de laboratoires de recherche.
Cet événement rassemblant plus de 70 intervenants, issus de 30 pays, se veut une plateforme internationale permettant à l'ensemble des acteurs du secteur d'unir leurs forces, partager une vision commune pour se projeter dans une Afrique qui fait de la Deep Tech un levier additionnel pour exploiter pleinement son potentiel d'innovation et de création de valeur.
La rencontre a mis en lumière le potentiel remarquable du Maroc dans le domaine à travers un espace d'exposition dédié à une trentaine de start-ups à fort potentiel de croissance. Ces expériences ont servi d'exemples pour les entrepreneurs ayant la volonté de transformer une technologie au laboratoire à un sujet de start-up qui a la capacité de lever des fonds et de développer des produits à forte valeur ajoutée pour le marché.
Lors de cet évènement, l'UM6P a exprimé son intérêt pour l'accompagnement des start-ups Deep Tech. "Notre écosystème est ouvert à tous ceux qui veulent innover et grandir, et grâce à nos infrastructures et nos living labs, nous sommes prêts à accueillir des talents du Maroc et de l'Afrique", insiste Yassine Laghzioui.