Dans sa volonté de réconciliation avec le Maroc, la France est censée prendre une position plus audacieuse sur le Sahara et, par ricochet, changer sa position vis-à-vis de l'Algérie. Emmanuel Macron en est-il capable ? Décryptage. Paris semble de plus en plus déterminée à ouvrir une nouvelle page avec Rabat après des mois de crise inédite. La diplomatie française multiplie les belles paroles à l'endroit du Royaume. Les propos tenus par l'ambassadeur Christophe Lecourtier ne sont pas passés inaperçus tellement ils contrastent avec les phrases insipides des officiels français. "Il serait illusoire et irrespectueux de penser pouvoir construire un avenir ensemble avec le Maroc sans clarifier la position de la France sur la question du Sahara marocain", a-t-il déclaré lors d'une conférence-débat sur les relations franco-marocaines, tenue vendredi, à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Aïn Chock. L'ambassadeur français n'aurait certainement pas tenu des propos aussi sensibles sans l'aval du Quai d'Orsay, dont le nouveau patron, Stéphane Séjourné, se dit investi personnellement par le président Macron d'écrire un nouveau chapitre pour les relations franco-marocaines. C'est ce qu'il a fait savoir dans un entretien accordé à "Ouest France". Il est frappant de voir qu'une telle mission est confiée à celui qui s'est investi corps et âme à saborder l'axe Paris-Rabat quand il était eurodéputé, en étant l'un des artisans de la Résolution du Parlement européen qui a condamné le Maroc sur la liberté de la presse, ce qui a été perçu comme un acte d'acharnement contre le Royaume, plusieurs y ont vu la main de l'Elysée. Maintenant que Séjourné tente de reprendre contact avec les autorités marocaines, Paris, par la voix de son ambassadeur, laisse entendre qu'il serait enfin résolu à sortir de sa zone de confort dans l'affaire du Sahara. Jusqu'à présent, le nouveau patron du Quai d'Orsay s'est contenté de dire que la France « a toujours été au rendez-vous ». Une position qui ne satisfait plus le Maroc qui exige de ses supposés alliés une position claire et sans équivoque. Selon Mustapha Tossa, éditorialiste et fin connaisseur des subtilités des relations franco-marocaines, les dirigeants français savent bien que la normalisation des relations avec le Maroc ne peut se faire qu'au prix d'une évolution majeure de la position de Paris sur le Sahara. Si l'on se projette dans ce scénario, Paris est en face de deux options : reconnaissance officielle de la souveraineté marocaine ou soutien exclusif au plan d'autonomie, à l'instar de ce qu'a fait l'Espagne. "Actuellement, la politique de la France vis-à-vis du Maroc a dévié de ses fondamentaux géopolitiques", juge Aymeric Chauprade, géopoli-tologue et ancien eurodéputé, qui rappelle que la France aurait dû être la première nation occidentale à reconnaître la marocanité du Sahara, eu égard à sa relation d'exception avec le Maroc, son principal allié en Afrique.
La France face au dilemme algérien Aller dans ce sens est une décision si sensible pour Paris qu'il pourrait, dans ce cas, s'attirer les foudres de l'Algérie qui ne lui pardonnerait pas de se ranger complètement du côté marocain. Emmanuel Macron, très critiqué en France pour son tropisme algérien qui ne lui a rien apporté d'ailleurs, se voit acculé à abandonner le vieux rêve d'apaiser les relations avec le régime algérien qui fait de la perpétuation du conflit du Sahara une assurance-vie. "Le président Macron a cru pouvoir gagner les faveurs d'Alger en refusant de reconnaître la marocanité du Sahara", nous explique M. Chauprade, qui reproche au président français de s'empêcher de comprendre l'idéologie du régime qui consiste à taper systématiquement sur la France et le Maroc à chaque fois qu'il est en difficulté. Aux yeux de notre interlocuteur, « l'Algérie traverse une crise économique et politique sans précédent », ce qui explique, selon lui, la quête perpétuelle de bouc-émissaires pour survivre. Maintenant qu'il semble réfléchir sérieusement à "mettre à jour" sa position sur le Sahara, Paris a suffisamment de recul pour comprendre que la capacité de riposte de l'Algérie demeure limitée au cas où il se décide à soutenir la marocanité du Sahara. Les diplomates français devaient tirer les leçons de la crise hispano-algérienne.
Algérie, colosse au pied d'argile ! L'Algérie a donné raison à ceux qui pensent qu'elle n'est pas aussi re-doutable qu'elle le prétend. Après avoir essayé de punir Madrid d'avoir soutenu le plan d'autonomie, Alger s'est finalement résigné à abandonner sa croisade en nommant un nouvel ambassadeur et en lâchant son blocus commercial inutilement imposé aux sociétés espagnoles. Même scénario quant à l'Allemagne avec laquelle l'Algérie continue de parler en dépit de son changement de position en faveur du plan d'autonomie. Mise à part la question mémorielle dont se prévaut le régime algérien, Alger ne semble pas avoir assez de cartes à jouer pour dissuader Paris, sachant que la coopération migratoire, si importante aux Français, est de toute façon bloquée. En dépit des accolades chaleureuses, Macron n'a pas pu convaincre Abdelmadjid Tebboune de reprendre ses concitoyens expulsés de France bien qu'ils aient tous les deux allègrement signé l'accord sur le partenariat renouvelé. Ceci a poussé plusieurs personnalités françaises à appeler à renégocier l'accord migratoire de 1968. Au contraire, le Maroc a montré combien il est fidèle dans sa coopération migratoire avec les pays qui soutiennent sa cause nationale. L'exemple de l'Allemagne et de l'Espagne est plein d'enseignements.
Tropisme algérien, fin d'un mythe Par ailleurs, toutes les tentatives d'Emmanuel Macron de gagner les faveurs d'Alger n'ont bizarrement donné que l'effet inverse. Alger s'est rapproché ostensiblement de la Russie, ennemi juré de l'UE, tout en essayant, sans succès, de rejoindre les BRICS, un autre signe d'un régime éperdu et dépourvu de crédibilité. C'est dire à quel point le pari de Macron sur l'Algérie s'avère perdant. Le régime algérien ne semble avoir nulle intention de se départir de sa rente mémorielle qui lui est un refuge. Emmanuel Macron s'en est lui-même rendu compte et l'a dit clairement, le 30 septembre 2021 lors d'une réunion avec des Franco-Algériens à l'Elysée. Maintenant, l'échec du tropisme algérien ne fait plus l'ombre d'un doute. En témoigne le constat sans appel de l'ex-ambassadeur français en Algérie, Xavier Driencourt, qui a clairement reconnu, dans une interview accordée à Nice Matin, que le tropisme algérien s'est transformé en piège. Trois questions à Aymeric Chauprade : "Si la France veut rester prisonnière d'une relation malsaine avec le régime algérien, ses efforts resteront vains" * Est-ce que la réconciliation entre Rabat et Paris est possible dans le contexte actuel ? Je suis un historien et un géopolitologue du temps long. Ce qui me pousse à appréhender les choses avec beaucoup de recul par rapport aux événements de temps court. Sous la présidence Hollande et celle de Macron, les relations entre Paris et Rabat se sont dégradées à cause d'une série d'incompréhensions. On peut comprendre qu'il y ait une sorte d'agacement du côté marocain parce que la position de la France sur plusieurs dossiers, au premier rang desquels le dossier du Sahara, manque de clarté. La France aurait dû, sans tergiverser, apporter un appui clair et ferme au plan d'autonomie de 2007, et aurait dû être la première nation occidentale à reconnaître la souveraineté du Maroc sur son Sahara, et ce, avant les Etats-Unis et l'Espagne. Je ne comprends pas pourquoi Paris n'est pas à l'avant-garde des pays occidentaux dans le soutien à la marocanité du Sahara. C'est une anomalie historique. Cependant, rien n'est irrémédiable entre le Maroc et la France. Il ne tient qu'à Paris de restaurer sa relation historique avec Rabat. En définitive, le Maroc et la France sont comme un vieux couple qui s'engueule de temps en temps mais qui ne divorce jamais.
* Emmanuel Macron est-il capable de se départir de son tropisme algérien ? La politique d'Emmanuel Macron au Maghreb est illisible. Le discours Royal du 20 août 2022 a clairement expliqué que le Sahara est le prisme à travers lequel le Royaume évalue ses alliances. J'y vois le signe d'un pays souverain ayant une politique multipolaire. Le Maroc a pris beaucoup de hauteur par rapport aux positions qui lui sont hostiles sur le Sahara. L'acharnement de l'Algérie n'empêche pas Rabat de continuer à poursuivre sa politique de développement dans les provinces du Sud. Donc, le Maroc a mieux à faire que de s'enfermer dans un duel agressif et fratricide avec l'Algérie. Le Maroc garde son cap ! Si la France veut rester prisonnière d'une relation malsaine avec le régime algérien, ses efforts n'aboutiront à rien et ne pénaliseront que davantage son partenariat avec le Maroc. Je le dis depuis des années : la France ne doit pas laisser passer le train de l'Histoire sur la question du Sahara. La plupart des derniers dirigeants français ont été en arrière de l'Histoire et ont manqué de vision. Mitterrand a cru jusqu'au bout à l'URSS et a été l'un des derniers dirigeants à visiter la RDA finissante. Je suis convaincu que, de la même façon qu'elles ne verront pas venir l'effondrement de l'Union Européenne dans sa forme actuelle, nos « élites françaises » formatées croient jusqu'au bout à l'idéologie algérienne !
* Quel est votre avis sur la nomination de Stéphane Séjourné à la tête du Quai d'Orsay ? Stéphane Séjourné a porté une Résolution anti-marocaine au Parlement européen. C'était un acte hostile et stupide, contraire aux intérêts français et européens. Pour autant, en choisissant Séjourné, le Président n'a pas nécessairement envoyé de manière intentionnelle un signal agressif au Maroc. Pour moi, il s'agit davantage d'incompétence et de négligence que d'intention de nuire. Personnellement, je regrette la nomination de Séjourné, parce qu'il n'a pas le niveau pour représenter un grand pays comme la France et je ne suis pas le seul à le dire. Sa culture générale est faible, sachant que le seul moment où il s'est fait remarquer sur le plan international tient justement à sa Résolution anti-marocaine portée au Parlement européen : c'est vraiment dommage ! Marocanité du Sahara : Macron face aux objurgations de ses opposants de droite Le discours Royal du 20 août 2022 a été on ne peut plus clair en faisant savoir que "le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international, et l'aune qui mesure la sincérité des amitiés et l'efficacité des partenariats que le Royaume établit". L'ambiguïté et le double-discours ne sont plus tolérés, d'autant que, par le passé, le conflit a été souvent exploité par certains pays, y compris par des pays censés être des partenaires, pour faire pression sur le Royaume. En France, nombreuses sont les personnalités politiques qui ont compris à quel point le Sahara est vital pour le Maroc. Cela a poussé plusieurs figures de premier plan, surtout de la droite, comme le leader des Républicains, Eric Ciotti, l'actuelle ministre de la Culture, Rachida Dati, qui ont appelé publiquement à reconnaître officiellement la marocanité du Sahara. Pour rappel, ces derniers se sont rendus, en mai 2023, au Maroc dans le cadre d'une visite formelle où ils ont rencontré les chefs des partis politiques de la majorité. Sahel : En perte d'influence, Paris envisage-t-il son come-back à travers le Maroc ? Pour la France, toute décision future sur le Sahara s'apparente à un pari stratégique sur le long terme, comme l'a laissé entendre Christophe Lecourtier qui, lors de son allocution à la Faculté d'Aïn Chock, a indiqué que le Maroc et la France ont "beaucoup de choses à faire ensemble en Afrique". Ceci dit, les stratèges français donnent l'impression d'avoir compris que le Maroc, deuxième investisseur africain en Afrique, est l'unique porte d'entrée au continent, alors que l'Algérie semble déboussolée et en retrait au Sahel après s'être embrouillée avec le Mali qui ne tolère plus ses méthodes d'ingérence brutale. Alger donne aussi l'impression d'errer dans son environnement géopolitique en mimant chaque pas du Maroc. Le président Tebboune, rappelons-le, a proposé l'initiative des zones franches avec les Etats du Sahel sitôt après que le Maroc ait annoncé l'initiative de la Façade atlantique. Actuellement, il serait malaisé d'imaginer que la France, dont l'influence au Sahel n'a eu de cesse de reculer, après avoir été chassée du Mali et du Niger, continue de parier sur l'Algérie au moment où le Maroc reste le seul pays au Maghreb capable d'entretenir de bonnes relations avec la quasi-totalité des pays de la région où il est bien enraciné économiquement et politiquement, à tel point que l'initiative de la Façade atlantique proposée par SM le Roi a suscité une forte adhésion. Un nouveau signe de la crédibilité du Royaume qui marche à pas assurés vers une intégration régionale tant espérée avec ses voisins subsahariens. Christophe Lecourtier a rappelé cette réalité en expliquant que le Royaume est "le pays le mieux perçu par les opinions publiques au Sahel".