«Il n'y a pas de crise avec le Maroc», a affirmé la porte-parole du ministère français des Affaires étrangères. Anne-Claire Legendre a assuré que le Maroc et la France sont dans un «partenariat d'exception» et que la visite au Maroc de la ministre des affaires étrangères, Catherine Colonna a été «très positive». Ignorées, les doléances marocaines que Le Figaro qualifie de «virulente campagne de presse anti-française des médias [marocains]». Le gouvernement français se complait dans une attitude de déni teintée de désinvolture, voire d'arrogance. Réaction européenne et occidentale habituelle face à un mouvement d'humeur d'un partenaire du sud qu'on ne prend pas trop au sérieux et qu'on cherche à rabaisser. Rappelons le précédent de l'épisode récent avec l'Allemagne. Pendant plus d'une année, le gouvernement allemand s'est obstiné à exprimer l'incompréhension la plus totale à l'égard de l'attitude du Maroc, avant de se raviser et de composer. On peut multiplier les exemples et remonter loin dans le passé. Au sujet de la résolution du Parlement européen et du vote de certains députés français, les critiques et les accusations marocaines ont été également poussées sous le tapis. «Le parlement exerce ses prérogatives de manière indépendante», a déclaré Anne-Claire Legendre. «La résolution du Parlement européen n'engage aucunement la France», affirme pour sa part l'ambassadeur français au Maroc, Christophe Lecourtier. Vraiment ? Ce n'est pas tout à fait ce que dit la porte-parole. «Le gouvernement français ne peut être responsable des députés européens », ajoute l'ambassadeur. Le gouvernement français n'est-il pas non plus responsable des eurodéputés français de la majorité présidentielle et de l'action de leur chef Stéphane Séjourné ? Alors, crise ou pas crise ? Les autorités marocaines, pour leur part, ne disent mot. Seuls s'expriment quelques parlementaires et quelques médias. Les reproches qui sont adressés à la France peuvent être résumés ainsi : – Le gouvernement français se montre frileux au sujet du Sahara marocain, contrairement aux Etats-Unis, à l'Espagne et à d'autres Etats qui ont exprimé clairement leur appui à la proposition marocaine d'autonomie ; – La France veut brider le dynamisme du Maroc en Afrique subsaharienne et y contrecarrer l'influence marocaine qui, dit-on, nuirait aux intérêts français ; – La France ne tolère pas de perdre sa position privilégiée traditionnelle au Maroc et n'a pas accepté de perdre de gros contrats commerciaux qui ont été attribués à des concurrents ; – Dans la même veine, la France ne verrait pas d'un bon œil les nouvelles alliances du Maroc, y compris et surtout sur le plan militaire. « Il conviendrait de ne pas inciter le Maroc à divorcer d'avec ses fournisseurs français habituels » peut-on lire dans une note interne du ministère français des affaires étrangères datant de 1966 (Documents diplomatiques français, 1966, p. 364). De fait, le Maroc n'a pas divorcé, il a simplement diversifié ses fournitures. À ce niveau des informations disponibles, seul le premier reproche est avéré. Catherine Colonna l'a dit, la France n'est pas prête à aller plus loin au sujet du Sahara marocain. «Pour en avoir discuté avec des personnes proches [du président] Macron, il est clair que la France ne voudra pas reconnaître la marocanité du Sahara» a pu confier à un hebdomadaire Tahar Ben Jelloun. À propos des restrictions sur les visas, Ben Jelloun livre une confidence intéressante. «J'ai essayé de mon côté, dit-il, d'alerter le président Macron. Il n'a rien voulu savoir». Un président qui «ne veut rien savoir»... Voilà une attitude qui laisse perplexe. Un chef d'Etat doit-il être à ce point vindicatif et buté? S'il l'était, il appartient à ses collaborateurs et à son entourage de le faire revenir à de meilleurs sentiments. L'écrivain estime que «contrairement à Chirac, à Sarkozy et même à Hollande, le président Macron ne comprend pas le monde arabe en général et le Maghreb en particulier». Affirmation péremptoire, qui n'empêche pourtant pas Ben Jelloun d'attribuer la réticence française à la volonté de «ne pas envenimer les relations avec Alger». Le président français ne comprendrait pas le Maghreb mais il veille à ne pas contrarier le partenaire algérien ! Peut-être pour garder un moyen de pression sur Rabat ? C'est le rôle des ministres et des conseillers diplomatiques d'aider le président à se former une opinion, quelles que soient par ailleurs ses sentiments personnels ou son tropisme. Rien ne permet de croire que la France «joue l'Algérie contre le Maroc» ou qu'elle veuille sacrifier ses relations avec le Maroc pour améliorer celles avec l'Algérie. De telles pratiques ne sont pas d'usage entre Etats, qui raisonnent en termes d'intérêts nationaux. De bonnes relations entre la France et l'Algérie ne sont pas antinomiques de bonnes relations avec le Maroc. C'est mal poser le problème que de l'énoncer dans le cadre étroit d'une supposée «rivalité» entre les deux pays maghrébins dans leur relation avec la France – ou tout autre Etat. La France a le plus grand intérêt à maintenir un équilibre entre le Maroc et l'Algérie, et elle y a traditionnellement et scrupuleusement veillé. Que la France cherche l'apaisement avec l'Algérie ou qu'elle veuille lui acheter du gaz, ne regarde que les deux pays et ce n'est pas pour chagriner le Maroc. Parler, à ce sujet, d'un «axe Paris-Alger» me semble hors de propos. Les axes ont historiquement toujours eu une connotation négative (Puissances de l'Axe, axe du mal). Axe franco-algérien contre qui ? contre le Maroc ?! Un tel axe est impossible tant que le régime algérien fait de la rente mémorielle sa raison de vivre. La France refuse de céder aux pressions algériennes S'agissant du Sahara marocain, différend dans lequel, rappelons-le, l'Algérie se défend d'être partie, on n'imagine pas un instant que le gouvernement français puisse céder à d'éventuelles pressions algériennes. La décision du gouvernement espagnol de reconnaitre en toute souveraineté et en dépit du chantage algérien la primauté de la solution de l'autonomie constitue un précédent éloquent. Si l'on considère qu'il n'y a pas de problème insoluble, mais seulement des problèmes mal posés, on peut espérer qu'une solution de compromis soit imaginée qui permette de sortir de l'impasse. Faisons confiance au génie inventif des diplomates pour trouver la formule magique. Les amis du Maroc, français ou franco-marocains, gardent un étrange et prudent silence. Pas d'initiative, aucune déclaration conciliante, ils se sont mis aux abonnés absents au moment où ils devraient monter au créneau. Les ambassadeurs des deux pays sont seuls face à l'adversité. Quel fardeau pour l'ambassadeur lorsque le temps est à l'orage, mais en même temps quel défi exaltant à relever. C'est dans l'infortune que le diplomate doit faire montre de son savoir-faire. Que d'ambassadeurs, pourtant réputés chevronnés, confrontés à des situations de crise, ont piteusement échoué dans leur mission de déminage. L'ambassadeur Lecourtier a fait part de sa volonté de redonner du tonus à la relation bilatérale, en soulignant qu'il n'est pas le «directeur commercial de la France». C'est tant mieux. À Rabat, la France n'a pas besoin d'un VRP, mais d'un «poids lourd», un ambassadeur qui a ses entrées à Paris, au plus haut niveau possible. Il doit être en mesure de faire remonter l'information sans intermédiaire et pratiquer de la chirurgie chaude. Il doit, comme on dit, avoir une main sur le stylo – pour signer, et une main sur le téléphone – pour régler les problèmes. C'est à cette aune qu'il sera jugé à Rabat, c'est à ce prix que sa parole aura du crédit et à c'est cette condition que les portes s'ouvriront devant lui. A défaut, il sera inaudible et jouera les utilités. Des ambassadeurs de gros calibre à Rabat et à Paris, tel a été l'usage entre le Maroc et la France depuis Moulay Ismail et Louis XIV, à quelques rares et malheureuses exceptions près – et le système a toujours bien fonctionné. Les relations denses et exceptionnelles entre les deux pays le méritent. *Ancien ambassadeur