En initiant la toute première Conférence-débat sur l'«Etat des lieux de l'édition au Maroc », l'écrivaine Fedwa Misk a apporté une touche engagée à cet événement, en compagnie du ministre de la Culture, Mehdi Bensaïd. Au cours de cette interview, elle dévoile avec ingéniosité les arcanes des défis auxquels font face les auteurs, laissés sans rétribution pour leurs droits d'auteur. * Pour commencer, pouvez-vous nous faire part de votre expérience en tant qu'écrivaine ayant lancé le premier débat sur l'édition au Maroc ?
- Tout a commencé avec un dossier que j'ai écrit et publié, mettant en lumière le sort des écrivains qui ne percevaient jamais leurs droits d'auteur. C'était un sujet tacite parmi les écrivains, une sorte de discussion de couloir où chacun avait une vague connaissance du fait que les auteurs ne touchaient rien sur les reventes de leurs œuvres. Cependant, pour diverses raisons, ce débat n'avait jamais été approfondi. Cet article a agi comme un catalyseur, suscitant l'intérêt au-delà des murmures discrets. On m'a ensuite proposé de donner une suite à cette discussion, et pour moi, la suite logique était d'explorer plus en profondeur le monde de l'édition au Maroc. Cette démarche a abouti à la tenue d'un débat en présence du ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, Mohamed Mehdi Bensaïd, ainsi qu'un avocat spécialisé en droits d'auteur. Ce débat a offert une tribune aux écrivains et aux éditeurs pour partager leurs perspectives et leurs préoccupations, ouvrant ainsi la voie à une discussion approfondie et bien nécessaire dans le domaine littéraire au Maroc.
* Quelles ont été les motivations derrière votre engagement dans cette discussion cruciale sur la justice en matière de droits d'auteur ? - Mon engagement dans ce débat découle de ma double identité en tant qu'autrice et journaliste culture depuis une quinzaine d'années. En tant qu'écrivaine, je suis directement concernée par les enjeux des droits d'auteur, mais ma perspective va au-delà de mon rôle d'autrice. En tant que journaliste culture, j'ai été témoin au quotidien d'une injustice indicible qui demeure souvent dans l'ombre, une question cruciale dont on parle trop peu. J'ai toujours trouvé aberrant que tant de discussions évitent ce sujet essentiel. Avec la dynamique actuelle du ministère de la Culture en faveur de la préservation des droits d'auteur, j'ai ressenti la responsabilité de donner une voix à cette cause. En tant qu'auteurs, nous sommes les premiers touchés par ces manquements, et il me semblait, à la fois naturel et nécessaire, de m'engager sur ce terrain pour défendre les droits qui nous sont dus.
* Le débat porte sur les manquements aux droits d'auteur et l'absence de reddition des comptes dans le domaine de l'édition au Maroc. Pouvez-vous nous expliquer comment cette problématique a pu affecter les auteurs, en particulier votre propre expérience en tant qu'écrivaine ?
- Le fait de ne pas bénéficier de droits d'auteur signifie une perte totale de contrôle et de lien avec son œuvre. Non seulement l'auteur cesse de percevoir des revenus, mais son livre continue d'être vendu et distribué. Parfois, même des écoles peuvent commander le livre, représentant un nombre plus ou moins important d'exemplaires, mais l'auteur demeure dans l'ignorance et n'en retire aucun bénéfice. Cette situation, même si l'auteur n'a pas nécessairement besoin d'argent, est intrinsèquement injuste. Les auteurs se retrouvent dans l'obscurité, incapables de mesurer l'impact de leur travail. Cela peut être décourageant sur le plan créatif. Il est crucial de connaître l'ampleur de son audience, car beaucoup écrivent sans savoir s'ils ont réussi ou touché leur cible. D'un autre côté, il semble anormal qu'un éditeur hérite entièrement de l'œuvre d'un auteur simplement parce qu'il a investi de l'argent, parfois issu de subventions de l'Etat. De plus, le fait qu'un éditeur puisse transmettre les revenus d'une œuvre à son successeur, même après la mort de l'auteur, est une réalité déconcertante. Par ailleurs, en ce qui concerne la transparence financière, il n'est pas rare que les éditeurs manipulent simplement les chiffres. Je suis au courant de plusieurs auteurs détenant des preuves concrètes de cette pratique, une réalité qui peut profondément démoraliser un écrivain ayant investi de nombreuses années d'efforts et de travail acharné.
* Pouvez-vous nous faire part des commentaires du ministre de la Culture, Mehdi Bensaïd, concernant la nouvelle orientation visant la protection des droits d'auteur, notamment sa déclaration selon laquelle «il n'y a pas de littérature ou d'édition sans écrivains» ? - C'était vraiment une déclaration percutante. Honnêtement, j'ai été surprise par la franchise du ministre, il l'a exprimée sans ambages, sans chercher à utiliser des euphémismes. Il a clairement indiqué que la part du gâteau est tellement minime et que le marché du livre est si faible que la plupart des éditeurs finissent par grappiller sur la part de l'auteur. Cette sincérité m'a frappée. Maintenant, le ministre nous encourage à porter nos différends devant la justice. Il estime que l'énergie qu'il mettrait dans l'arbitrage entre éditeurs et écrivains devrait plutôt être consacrée à la création et à l'expansion du marché du livre. C'est une vision politique que je respecte. Cependant, il n'est pas facile pour un auteur de se tourner vers la justice, surtout pour des montants souvent minimes. De plus, ce sont des artistes, souvent hypersensibles, qui n'ont pas forcément envie de se retrouver au tribunal pour réclamer un droit qui devrait être automatique. La violence symbolique de la situation est incroyable pour l'artiste. À mon avis, recourir à la justice ne résoudra pas entièrement la situation. Il faut une implication continue du ministère de la Culture, et je pense qu'il existe d'autres moyens pour exiger une certaine reddition des comptes, comme une surveillance accrue. C'est un processus à mettre en place pour que la volonté politique soit réellement effective. * En abordant l'ensevelissement des droits d'auteur, quel rôle pensez-vous que les institutions gouvernementales et les acteurs de l'industrie de l'édition devraient jouer pour assurer une protection adéquate des droits d'auteur et garantir une rémunération équitable pour les créateurs ?
- Concernant les institutions, leur rôle peut être repensé de manière créative en instaurant des cycles de rencontres rémunérées. On pourrait considérer qu'inviter un auteur dans une institution culturelle devrait s'accompagner d'une rétribution pour sa participation, qu'elle soit symbolique ou plus substantielle, garantissant ainsi qu'il touche un revenu pour son engagement. Bien que certaines institutions adoptent déjà cette approche, d'autres estiment que l'invitation elle-même sert de publicité à l'auteur et lui offre l'opportunité de vendre ses œuvres. Cependant, si l'auteur ne perçoit aucune rémunération sur ses ventes, tous les frais liés à son déplacement engendrent des dépenses secondaires, ce qui apparaît profondément injuste. Ainsi, les institutions pourraient contribuer de manière significative en reconnaissant la valeur du temps de parole de l'auteur indépendamment des ventes de livres. De plus, elles pourraient soutenir la chaîne du livre en général en achetant les livres chez des libraires plutôt que directement auprès des éditeurs. Enfin, les institutions peuvent jouer un rôle essentiel dans la sensibilisation aux droits d'auteur, éduquant ainsi le public et les acteurs du secteur sur cette question cruciale.
* Pour les écrivains qui débutent dans l'industrie de l'édition, quel conseil donneriez-vous sur la meilleure façon de protéger leurs droits d'auteur et de faire entendre leur voix dans ce contexte spécifique au Maroc ? - Je souhaite conseiller aux écrivains débutants d'éviter de signer un contrat hâtivement simplement pour garantir leur acceptation par une maison d'édition. Souvent, dans une position de vulnérabilité, ils sont tellement heureux d'être publiés qu'ils acceptent toutes les conditions. Il est primordial de lire attentivement le contrat, de ne pas faire de concessions déraisonnables, et, par la suite, d'avoir le courage de recourir à la justice si vos droits d'auteur ne sont pas respectés. Dans le pire des cas, résilier le contrat peut être la meilleure solution. Il est nécessaire que quelqu'un prenne l'initiative pour que d'autres puissent suivre.
* Quelle a été la finalité de ce débat et quels sont les objectifs ou les changements concrets que l'on espère voir émerger de cette discussion afin d'améliorer la situation des écrivains et la protection de leurs droits ?
- Nous sommes à un tournant crucial dans l'industrie de l'édition, et ce qui compte le plus, c'est que tous les acteurs de la chaîne du livre comprennent que les auteurs ne veulent plus rester silencieux. Les réactions ont été mitigées, mais cette dynamique est porteuse de nombreux autres débats à venir. À la suite de cette discussion, d'autres aspirations ont émergé, notamment la volonté affirmée d'augmenter le nombre de librairies, d'accroître les tirages, de collaborer avec les imprimeurs pour obtenir des prix de livres imbattables, soit 20 à 30 dh, rendant la lecture accessible à tous. L'objectif est de multiplier les points de vente et les bibliothèques pour généraliser davantage l'accès aux livres. Dans l'ensemble, cette expérience nous a laissé une impression positive. Nous envisageons de nous réunir plus fréquemment et d'adopter une approche plus proactive dans notre engagement pour la préservation des droits des auteurs.