Du 5 au 8 mars, le Maroc a été dignement représenté par sa littérature et ses intellectuels au sein de la prestigieuse Foire du livre de Bruxelles. Retour sur une participation à succès évident, mais à la gestion désolante. Après Livre Paris en 2017, c'est la deuxième fois que le Maroc est mis à l'honneur au sein d'un événement culturel d'envergure. La Foire du livre de Bruxelles a ouvert grand ses portes à la littérature marocaine pour lui permettre de siéger au milieu des tenants de la tradition littéraire de par le monde. Outre le privilège d'être le premier pays africain, maghrébin et arabophone à se faire honorer successivement par des institutions internationales de qualité, cette mise à l'honneur exprime une forme de respect à l'égard de la création littéraire et intellectuelle du pays et la volonté, ou du moins la possibilité, d'ouvrir des canaux d'échanges culturels avec les pays hôtes. Du 5 au 8 mars, le Maroc était donc représenté par une partie de ses plus belles plumes et par une diversité remarquable dans les idées, les genres et les langues d'expression. Un stand ouvert sur les plus grandes maisons d'édition offrait un passage entre les étals de livres marocains, ce qui ne manquait jamais de piéger le passant nonchalant, piqué au vif par les échanges de qualité qui s'y déroulaient. Hors les murs de la foire, écrivains et écrivaines étaient invités à performer lors de débats, lectures et cours universitaires, dans différents lieux de la ville. Un éclat marocain Il est souvent difficile de quantifier la réussite d'une participation à une manifestation culturelle. Bien que l'on puisse évaluer l'engouement pour un auteur ou un livre en particulier, notamment via les ventes qui suivent une présentation ou un débat, l'impact de la représentation d'une délégation entière d'un pays donné n'est pas mesurable, ni dans l'immédiat ni à long terme, par le moyen de données chiffrées. Mais plusieurs indicateurs peuvent plaider pour le succès de cette participation marocaine à la Foire du livre de Bruxelles. Tout d'abord, malgré son programme chargé, le pavillon marocain ne désemplissait jamais et se trouvait très vite cerné par un liseré de curieux interpellés par les propos des invités et ce, tout au long de la foire, au point où les haut-parleurs se sont égosillés pour mettre fin à la table ronde de clôture et pour chasser les derniers spectateurs du salon, toujours présents au dit stand. A plusieurs reprises, les débats ont suscité l'exclamation, l'engouement, la surprise et le plus souvent l'admiration des publics présents. Et pour cause. Faisant honneur à un programme riche et foisonnant, établi par le commissaire Paul Dahan et le dramaturge et poète Taha Adnan, les intellectuels présents se sont exprimés, clairement, sur ce qui fait la force et la faiblesse du Royaume, en soulignant avec optimisme le large choix des possibles, sans se défaire du réalisme de mise. Un intérêt particulier a été porté à l'histoire qui a été débattue librement, ainsi qu'à la spiritualité prise en otage des radicalismes de tous bords, dans un débat toutes griffes dehors avec une représentante des Frères musulmans de Belgique. La littérature est son «rôle» de raconter le Maroc, ou alors la femme et son omniprésence en tant qu'auteure et personnage dans le roman contemporain, la sexualité, la diversité culturelle et musicale, la culture comme levier de développement socio-économique, le patrimoine matériel ou l'amazighité, sont autant de sujets qui ont été abordés de manière dynamique et accessible, loin de tout académisme grandiloquent ou de langue de bois. Plusieurs fois, des Belges d'origine marocaine, présents dans le public, se sont montrés émus, en exprimant leur fierté de la qualité des échanges et du coup porté aux préjugés européens à l'égard de l'immigration en général et du Maroc en particulier. C'est là que l'on constate le rôle incontournable de la culture comme passerelle et sa portée pour renforcer la diplomatie d'un pays. Et au-delà des ventes et des données chiffrées, l'on ne peut que prédire un impact positif pérenne qui gagnerait à induire davantage d'activités du genre. Une si belle présence à la Foire du livre aurait dû être voulue, acclamée, traitée à sa juste valeur. Mais la réalité est autre. Alors que les invités du salon recevaient honneurs et applaudissements, signaient des dédicaces et se prêtaient aux incontournables selfies, la plupart d'entre eux maquillaient leur dépit de sourires forcés pour mener à bien cet hommage rendu au Maroc. Derrière ce malaise général s'accumulaient plusieurs facteurs criant à l'incompétence. Pire : une incompétence totalement décomplexée des responsables du ministère de tutelle. Si l'on devait commencer par le commencement, l'on évoquera le retard considérable qu'a pris la validation du programme établi par le commissaire Paul Dahan, avec l'aide de l'auteur Taha Adnan, surtout lorsqu'on sait que dans de pareilles manifestations, les programmes sont souqués plusieurs mois, voire années, à l'avance. Les coups lisses Malgré l'insistance des éditeurs marocains, le ministère de la culture a refusé de faire appel à un libraire marocain, préférant de le faire à un professionnel sur place, qui bien que mû par les meilleures intentions, étaient dans l'incapacité de trouver tous les livres censés être présents sur le stand marocain. Par conséquent, plusieurs écrivains venus sans leurs éditeurs se sont retrouvés face à une table de dédicace vide à la fin de leur intervention. Le comble de la bêtise s'est incarné par la disparition soudaine de plusieurs ouvrages, sous prétexte qu'ils portent atteinte à l'image du Maroc. Il s'agissait, entre autres, de «Sexualité et célibat au Maroc» de Sanaa Elaji et «Le Maroc noir» de Choukri Elhamel : ouvrages qui sont en vente depuis des mois, voire des années, au Maroc et qui ont subi une censure lâche, puisque non assumée. Les livres se sont matérialisés comme par hasard après la dénonciation de l'éditeur et de l'auteure. Pour l'anecdote, l'écrivaine et éditrice Ghizlane Chraïbi s'est ri de l'écartement de «Sexualité et célibat» et de l'omission de «Queer Maroc» de Jean Zaganiaris... Côté gestion de la logistique, en plus de l'absence totale d'interlocuteur du ministère de tutelle, durant tout le séjour, plusieurs auteurs ont rapporté le décalage entre le nombre de nuitées réservées et les activités prévues au salon et en extramuros, en sachant qu'il s'agit d'un seul et même programme. L'on n'a pas hésité à «laisser» certains écrivains payer de leur poche. Inutile de préciser que les auteurs n'avaient pas le temps de profiter du salon, de faire des rencontres ou de réseauter, puisqu'ils devaient si vite repartir. Si les invités ont souvent du mal à évoquer l'aspect matériel, il est toujours à rappeler que tout travail mérite rémunération. Et côté argent, l'on a prévu une rémunération fixe dérisoire à la fin des activités, qui pouvaient arriver à quatre ou cinq tables rondes. Mais la surprise est de découvrir qu'elle inclut les per diem de l'invitation, à savoir les frais de déplacement et de nourriture également, ce qui est une insulte lorsqu'on sait que le budget alloué à la manifestation était de 350000 euros, selon une source proche de l'organisation. Mais alors, si seulement les invités avaient reçu leurs indemnités à l'arrivée. Certains auteurs ont dû emprunter des sous auprès de leurs confrères, pour payer leurs repas et taxis, avant qu'une caisse sortie de nulle part ne vienne calmer quelques mécontents. Pour la modération, c'est un tout autre registre. L'on découvre avec stupéfaction que ce n'est pas considéré, par le ministère, comme un travail méritant rémunération, puisque aucune rétribution ne lui est accordée, en dehors des mêmes per diem, sauf pour les modérateurs belges qui sont, eux, payés pour leurs services. A souligner, cependant, l'implication du commissaire Paul Dahan et de son bras droit Taha Adnan pour calmer quelques tensions, indépendantes de leurs fonctions, ainsi que la présence efficace de la représentation du ministère des affaires étrangères et de l'ambassade du Maroc, en absence de tout partenariat effectif. Encore une fois, l'on a l'amère conviction que l'on fourre un potentiel considérable, à même de constituer un vrai levier de la diplomatie, dans un gant d'incompétence, isolant et étanche.