Jean Genet, l'un des plus grands écrivains français du XXème siècle, n'a certainement pas livré tous ses secrets. La densité de son œuvre, sa complexité parfois, les mystères de sa poésie, les multiples dimensions de ses référents, la réputation sulfureuse - et souvent voulue en tant que telle – de l'auteur… Jean Genet, l'un des plus grands écrivains français du XXème siècle, n'a certainement pas livré tous ses secrets. La densité de son œuvre, sa complexité parfois, les mystères de sa poésie, les multiples dimensions de ses référents, la réputation sulfureuse - et souvent voulue en tant que telle – de l'auteur ; tout cela se traduit pour la plupart du temps par une admiration béate de l'écrivain par tous ceux qui s'identifient à son parcours canaille et provocateur, à son homosexualité, assumée, voire sublimée. Mais, cela ne reflète que très peu la lecture raisonnée et intelligente d'une œuvre variée et riche et une véritable exploration des mystères de la création littéraire chez un écrivain qui a doté la littérature française de certaines des pages les plus lumineuses et les plus belles de son histoire. Mais, le personnage de l'auteur dérange. Dans le dernier numéro de la prestigieuse revue «Les temps modernes », fondée par Jean-Paul Sartre, un grand connaisseur des premiers écrits de Genet, vient de paraître un long article, savant et parfois pédant, signé Éric Marty, et dont la thèse principale est que l'auteur du « Miracle de la rose » fut antisémite. L'argumentaire se fonde sur une technique qui plonge dans les profondeurs de la psychanalyse et, à petites touches qui empruntent beaucoup à l'art de la suggestion, il se veut la démonstration d'une évidence jusque-là cachée et sournoisement dissimulée aux regards les plus acérés par la mystification et les artifices de l'écriture genetienne, trompeuse et tendancieuse ! Il est vrai que la description des massacres de Sabra et Chatila, perpétrés par les sbires de Sharon, ce grand esthète, telle qu'elle fut écrite par ce témoin très gênant qui se trouvait dans la région par hasard, est un implacable procès de la barbarie sioniste. Mais, faut-il en conclure que Genet, ce faisant, est antisémite ? Ne sommes-nous pas en train de vivre une période où toute sympathie avec le martyre du peuple palestinien, toute dénonciation du génocide que les soldats de Sharon sont en train de perpétrer au quotidien à l'encontre d'un peuple spolié de tous ses droits, est susceptible de tomber sous le couperet radical et sans appel de l'accusation d'antisémitisme ? C'est là une dérive dont font les frais des hommes de bonne volonté, animés par ce minimum de valeurs humaines et universelles qui appellent au rejet de l'iniquité et de l'injustice d'où qu'elles viennent, même et surtout de la part des descendants des victimes de l'holocauste, de triste mémoire qui ont souvent pris pour emblème la devise : « plus jamais ça ». Pour revenir à Genet dont le souvenir et l'œuvre sont célébrés depuis quelques mois à travers les villes du Maroc, grâce à une initiative culturelle franco-marocaine, il est indispensable de distinguer entre l'homme et son œuvre. Genet n'a pas écrit de livres militants. Même si, à travers son œuvre, il a dénoncé diverses injustices, à commencer par celle du système judiciaire de son pays, la France, en passant par le déni de justice de l'Amérique envers sa population noire, en finissant par l'épreuve du peuple palestinien. Mais, à propos de ce qui est présenté comme un engagement de Genet aux côtés des Palestiniens, notamment à travers son dernier livre « un captif amoureux », qui n'est pas encore suffisamment lu, soit dit en passant, l'affaire est loin d'avoir ce simple et réducteur aspect d'engagement politique ou de plaidoyer. La Palestine et les Palestiniens, pour Genet, furent traités comme le propre destin du narrateur du récit. Et, sous cet angle, même les dirigeants palestiniens, tous courants confondus, ont été très bousculés par l'auteur. Est-ce une raison suffisante de ranger Genet parmi les ennemis de la Palestine ?