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Entretien avec Willy Didié Foga Konefon « La volonté des sociétés africaines d'assumer leurs destins politiques par elles-mêmes »
Publié dans L'opinion le 25 - 09 - 2023

De l'Afrique de l'Ouest à l'Afrique Centrale, l'irruption des militaires sur la scène politique interpelle pour un profond changement de paradigme en matière de bonne gouvernance au sommet de l'Etat, sans pour autant remettre en cause les partenariats stratégiques dont certains sont devenus obsolètes car ne reflétant plus l'aspiration légitime des populations. Explications avec Willy Didié Foga Konefon, Directeur Afrique du Centre International de Recherches de Dakhla sur la Prévention des Enfants Soldats.
Vous êtes Directeur Afrique du Centre International de Recherches sur la Prévention de Dakhla des Enfants Soldats. Parlez-nous de cette structure depuis sa mise en place ?
Nous sommes passés à l'action depuis l'inauguration du Centre, le 31 mars 2022. Conscients du fait qu'il existait peu de centres de recherches spécialisés et des études empiriques récentes sur cette problématique, la politique de notre centre a été orientée dans deux directions précises. Dans un premier temps, nous sommes entrés en dialogue avec une centaine de chercheurs seniors, juniors et cadets à travers la planète, avec pour objet l'étude analytique cette catégorie.
De nouveaux chantiers de réflexion ont été engagés en vue de contribuer à un renouveau empirique et théorique sur cette question. Nous avions également cartographié toutes les zones de conflictualité où les enfants sont en danger et où ils sont enrôlés de force dans les marchés de la guerre et de la violence. A cet effet, quelques descentes de terrain ont déjà été effectuées pour la collecte de données qualitatives et quantitatives inédites. Elles se poursuivront jusqu'à la fin de l'année. En outre, de nouveaux partenariats stratégiques ont été noués avec certaines institutions de recherche et des Universités dans des pays d'Europe, d'Amérique, d'Afrique, d'Asie et du Moyen-Orient. Notre Centre est actif et visible dans plusieurs conférences et foras internationaux concernant la question du bien-être et de la justice du monde vis-à-vis des enfants. Nous nous apprêtons à organiser dans les prochains mois une série de conférences dans notre centre.
Parlant des enfants-soldats, quelle est leur situation aujourd'hui sur le contient ?
Avec la montée en puissance de l'extrémisme violent, du terrorisme, du marché de la guerre et de la criminalité, la question des enfants-soldats reste d'une actualité brûlante dans le continent africain et qui mérite une attention particulière de la part de la « communauté des existants » que nous sommes.
Souvenons-nous de l'enlèvement des 276 lycéennes de Chibok en avril 2014 dans les camps de Boko Haram au Nigéria. Ces jeunes ont été enrôlées dans les camps de sécessionnistes dans les régions anglophones du Cameroun. Tous ces enfants-soldats aux côtés des formations militaro-politiques et des extrémistes ethnico–religieux sont venus alimenter le marché de la guerre en Afrique.
Dans le même sillage que pouvez-vous dire à propos de la dynamique migratoire et ses défis en Afrique ?
Une forte idée est répandue selon laquelle les migrations africaines sont plus portées vers l'extérieur du continent, il est important de décentrer cette perception et ce regard. En réalité, les migrations internationales intra-africaines sont plus intenses et majoritaires.
Les Africains bougent plus à l'intérieur de leur continent que partout ailleurs. En plus, l'Afrique est un foyer réceptacle de toutes catégories de migrations et de profils migratoires. Ces migrants viennent des différents pays d'Afrique, d'Europe, d'Asie, d'Amérique et d'Océanie. D'énormes défis se posent s'agissant de la question de la mobilité internationale dans le continent africain.
Pour ma part, je pense qu'il revient aux autorités politiques d'intégrer la migration comme un enjeu majeur pour la gouvernance et le développement durable. Elles peuvent faire intervenir de meilleurs instruments d'intégration et de développement pour l'Afrique.
En tant qu'Enseignant-chercheur au département d'Histoire (Spécialisation Relations Internationales) de l'Université de Douala, quelle analyse faites-vous de la situation politique actuelle au Gabon après le coup de force des militaires qui ont évincé Ali Bongo ?
On ne saurait décrypter la situation politique contemporaine du Gabon sans jeter un clin d'œil sur la succession des coups d'Etats qui secouent l'Afrique noire francophone depuis quelques années (août 2020 et mai 2021 au Mali ; 5 septembre 2021 en Guinée-Conakry ; janvier et septembre 2022 au Burkina Faso et juillet 2023 au Niger).
Tout laisse croire que le continent africain renoue avec les régimes militaires et principalement avec le retour des « néo-souverains » en treillis (Général, colonels et capitaines) sur la scène politique. Même si ces putschs militaires et « révolution de palais » au Gabon ne peuvent être décryptés de la même manière à cause de leurs différents contextes, il demeure vrai qu'ils ont un dénominateur commun : ces irruptions des militaires sur la scène politique traduisent un malaise social générationnel profond... les symptômes d'une véritable « pathologie politique » et un nouveau tournant historique de l'émancipation des peuples noirs.
Pour mieux déchiffrer ce qui s'est passé avec l'éviction d'Ali Bongo, le 30 août 2023 par la junte militaire portée par le Général Brice Oligui Nguema, on peut évoquer plusieurs registres d'analyses à la fois historiques, sociaux, psychanalytiques. En fait, le Gabon était un magma social latent qui attendait juste une étincelle pour faire jaillir un feu dévorant.
Les manifestations dans la rue de Libreville et de Port-Gentil, ponctuées par la révolte des populations relativement aux évènements post-électoraux de 2016 après la « victoire du parti PDG » sur celui de son rival politique, Jean Ping, qui consacrait Ali Bongo comme vainqueur de l'élection présidentielle, étaient déjà fort révélatrices du complexe psychique des Gabonais dans ce temps social et politique agité.
En outre, l'incapacité physique d'Ali Bongo, suite à son accident vasculaire cérébral survenu en octobre 2018, a constitué un handicap sérieux à sa puissance pour gouverner le Gabon ces dernières années. Donc, l'idée de briguer un troisième mandat était, peut-on l'affirmer, sur le plan analytique, la preuve d'une cécité politique et de tout son « brain-trust ».
Dans les milieux politiques et dans la sphère sociale, les Gabonais en avaient assez de voir à la tête de leur pays un homme physiquement malade et incapable de répondre aux besoins sociaux urgents de son peuple. On ne saurait passer sous silence l'accentuation des inégalités sociales, le taux de chômage grandissant et le favoritisme qui étaient des traits caractéristiques de la gouvernance ces dernières années et, par conséquent, constituaient un cocktail social explosif latent.
Sinon comment comprendre qu'un Etat pétrolier riche et aux ressources naturelles très variées avec une population pas si importante puisse croupir dans la pauvreté, être en manque d'hôpitaux sérieux, d'infrastructures de pointe, d'Universités arrimées aux normes de la mondialisation ? Le renversement d'Ali Bongo et de ses proches a été accueilli avec enthousiasme par le peuple gabonais qui se sentait frustré et victime de l'ancien ordre.
Les liesses populaires dans les villes de Port-Gentil, Libreville, Lambaréné, Bitam, Oyem, qui ont circulé en boucle dans les médias sociaux le jour du renversement et les journées suivantes, ont témoigné des régimes pulsionnels des Gabonais. Elles ont permis de déchiffrer l'inconscient collectif, les refoulés, la colère et les frustrations qui ont longtemps été occultés et qui étaient enchâssés dans la psyché des populations gabonaises. Le désir de liberté, l'envie d'une nouvelle respiration politique et d'un changement social étaient profonds chez ce peuple du Bassin du Congo.
D'où cette « révolution du palais », faite par le Général Brice Oligui Nguema et ses compagnons, a été acclamée majoritairement par toutes les forces sociales de la nation gabonaise. Elle marque une césure historique importante dans la marche politique de ce pays. Il revient donc au Président de la transition d'avoir la sagesse politique et un calcul stratégique pour faire entrer, de façon célèbre, son pays dans l'Histoire.
Naturellement, on ne peut pas parler du pays d'Ali Bongo sans se pencher sur le bras de fer qui oppose la France aux autorités actuelles du Niger. Que faut-il conclure de cet imbroglio politico-militaire ?
La situation configurationnelle et situationnelle actuelle du Niger est très complexe. Je dirais que plusieurs phénomènes sont superposés, enchevêtrés et mettent en lumière une multiplicité des acteurs et leurs représentations géopolitiques sont contradictoires. Ce qui entortille davantage les relations diplomatiques entre Paris et Niamey en ce moment.
Que reproche Paris au Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie ? Et que reproche ce dernier à Paris ? Dans un premier temps, selon le discours officiel, Paris vise à rétablir l'ordre constitutionnel en rétablissant Mohammed Bazoum, Président démocratiquement élu en lieu et place.
Ce que les autorités actuelles du pays ne voient pas d'un bon œil car elles considèrent que ce dernier est un homme-lige à Paris. Dans un deuxième temps, le CNSP estime que Paris est responsable de toutes les dérives économiques et sécuritaires dont le Niger souffre. Il réfute son paternalisme, son omniprésence dans ce pays à travers une gamme d'outils politiques, militaires, économiques et culturels, comme l'ont fait ses Etats voisins, à savoir : le Mali et le Burkina Faso.
A cette tourmente diplomatique, s'ajoutent des blessures psychiques liées aux séquences mémorielles traumatiques durant l'épisode colonial et ceci accentue le sentiment anti-français qui est assez grandissant en Afrique francophone en ce moment. Dans ce tournant historique, il est important de lire ce signe africain comme une revanche des périphéries contre l'ordre hégémonique occidental en s'appuyant sur des registres pluriels à la fois matériels et symboliques mais aussi comme la volonté des sociétés africaines d'assumer leurs destins politiques par elles-mêmes.
Parallèlement, la CEDEAO continue de brandir la menace d'une intervention armée pour déloger le CNSP. A votre avis, quelle est la voie la plus indiquée pour sortir de cette impasse ?
La voie la plus indiquée reste le dialogue, la palabre au sens africain comme mode de résolution des mécanismes des conflits et consolidation de la paix. Une intervention armée de la CEDEAO risque de plonger cette sous-région qui fait déjà face aux problèmes d'insécurité dans une instabilité de longue durée. N'oublions pas cet adage dans les milieux militaires qui dit : « On sait quand une guerre commence mais jamais quand est-ce elle se termine ? ».
Tenant compte de ce qui se passe en Afrique de l'Ouest et de l'Afrique Centrale, n'est-il pas temps que la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale) et la CEDEAO révisent leur mode de fonctionnement pour se mettre au diapason des aspirations des populations ?
Dans ces deux entités géopolitiques, de nombreuses tendances lourdes continuent à peser sur les présents et les devenirs des sociétés humaines et indubitablement fragilisent le continuum sécurité-développement- prospérité et la pleine satisfaction des besoins d'une vie décente des populations. Dans cette perspective, ces deux institutions politiques doivent renforcer leurs capacités en matière de sécurité collective de manière anticipative en vue de minimiser les risques d'enlisement des conflits dans leurs différentes sous-régions.
Ce qui sous-entend qu'elles doivent créer de manière pragmatique et opérationnelle des conditions de paix en œuvrant pour une promotion de la justice sociale, une diplomatie du respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales de leurs citoyens, à œuvrer pour une véritable circulation des biens et des personnes, à l' égalité des chances, à la mise en place d'une sécurité pensée de manière globale en intégrant des perspectives locales, sous-régionales, internationales, etc.

Willy Didié Foga Konefon est titulaire d'un PhD en Histoire des Relations Internationales de l'Université de Yaoundé. Il est présentement enseignant- chercheur à l'Université de Douala (Cameroun). Ses activités de Recherche portent sur les problématiques globales qui pèsent sur le présent et le devenir de l'Afrique : les migrations internationales, les guerres, la paix, le cyberespace et la condition planétaire de la question africaine. Il est membre de plusieurs sociétés savantes. Willy Didié Foga Konefon occupe depuis mars 2022 les fonctions de Directeur régional pour l'Afrique du Centre International de Recherches sur la Prévention des Enfants-Soldats de Dakhla au Maroc. En outre, notre interviewé est spécialiste des questions de guerres, paix, cyberguerres, cyberespace, Histoire militaire, enfants-soldats et du processus de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (ddr), avec une expérience concrète de 9 années sur le terrain. Il est également consultant au niveau international pour le compte de Samuel Hall et des différentes organisations internationales comme l'UNICEF, PNUD, OIM, Union Africaine, OIT, Centre International pour les Politiques et le Développement des Migrations (ICPDM), HCR, Migration EU eXpertise Initiative (MIEUX).


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