Enseignant-Chercheur en Histoire des Relations Internationales à l'Université de Douala au Cameroun, Directeur Afrique du Centre International de Recherches sur la Prévention des Enfants Soldats de Dakhla, Willy Didié Foga Konefon sait de quoi il parle quand il s'agit de ces enfants enrôlés par des milices armées en Afrique. Explications. - Vous êtes le Directeur Afrique du Centre International de Recherches sur la Prévention des Enfants Soldats de Dakhla (Maroc). Que signifie pour vous cette promotion ?
- A tout seigneur tout honneur, je voudrais avant toutes choses exprimer ma profonde gratitude et ma reconnaissance au Président Fondateur de ce centre, le Professeur Abdel Kader Filali pour la marque d'estime de m'avoir débusqué dans cette galaxie d'intellectuels, de femmes et d'hommes, ma modeste personne pour apporter ma pierre à la marche de cet édifice. Je voudrais aussi remercier, le Royaume du Maroc, pays pourvoyeur de paix et de lutte contre le terrorisme international, pour l'accompagnement multiforme pour la mise sur pied de ce gigantesque projet. Cela prouve une fois de plus la volonté du Royaume Chérifien de faire humanité face aux problématiques planétaires et de contribuer remarquablement au renforcement des valeurs éthiques et universelles à savoir : le respect des droits de l' homme, à garantir la paix et la sécurité à l'échelle national, régional, continental et global. Revenant à votre question, je voudrais tout simplement dire que c'est avec beaucoup d'enthousiasme que j'ai accepté cette invitation, d'être associé aux réflexions philosophiques, humanitaires, politiques et sociales de notre contemporanéité et particulièrement sur cette problématique universelle des enfants soldats qui traduit la face hideuse et monstrueuse de notre humanité. À partir de ce carrefour de diffusion d'intelligence, qu'est le Centre International de Recherches sur la Prévention des Enfants Soldats, nous travaillons en collégialité avec un réseau d'experts provenant du Moyen-Orient, de l'Asie, l'Europe, l'Amérique, l'Afrique et l'Océanie. Nous travaillons également en coopération avec des universités, des thinks tanks et des centres de recherches homologues à l'échelle de toute la planète sur les enjeux, les défis transversaux et globaux qui impliquent la prévention des enfants dans les espaces de conflictualités. Par conséquent, c'est avec beaucoup de satisfaction que nous nous engageons dans cette tâche immense avec mes collègues dans l'optique d'accomplir notre mission, d'être dans le monde, de faire le monde et d'être « une humanité raisonnable » afin de rendre la justice du monde aux enfants et leur garantir la protection de leurs droits pour leur épanouissement total. - Comment se présente aujourd'hui la problématique des enfants soldats en Afrique Centrale ?
- D'entrée de jeu, je pense qu'il est important de préciser que le phénomène des enfants soldats n'est pas une tendance lourde confinée uniquement dans cet ensemble géographique et historique car c'est une problématique planétaire. La figure médiatisée des « Small Boys », des « Kadogo », des « enfants Rambo », des « enfants commandos », les petits « Cobras », tous des jeunes naïfs, drogués et insouciants tenant des kalachnikovs à l'épaule ou à la main dans la série des « guerres fauves » et des « guerres sales » qu'a connue le continent noir, au début des années 90 apparaît dans un contexte international caractérisé par la « Grande perturbation » liée au nouveau « temps mondial ». Aussi l'effondrement et les bouleversements géopolitiques, géostratégiques intervenus au niveau mondial, sans toutefois oublier l'émergence des nouveaux acteurs non–étatiques à savoir : les Seigneurs de la guerre, les « patriotes rebelles », les milices armées, les entrepreneurs politico- militaires, les bandes armées, les organisations criminelles, etc) sont devenus des marqueurs perturbateurs par excellence de la sécurité nationale et internationale. La planétarisation médiatique des « enfants commandos » en Afrique Centrale apparait, également dans des contextes nationaux, et sont marqués par la « faillite du contrat social ». C'est aussi la récession économique à la fin des années 80 et le début des années 90 ; l'affaiblissement de la puissance de l'Etat et des transitions démocratiques conflictuelles qu'une bonne partie de pays de cet ensemble géohistorique ont fait l'expérience dans une succession de guerres fratricides comme ce fut le cas au Tchad, en République Centrafricaine, au Congo- Brazzaville, au Rwanda, au Burundi, en République Démocratique du Congo. C'est dans cette perspective que des factions rebelles et les formations politico- militaires ont enrôlé, de gré ou de force, des enfants dans le marché de la guerre. Dans les conditions contemporaines marquées par le sceau du terrorisme islamiste, avec le groupe Boko- Haram qui opère dans le bassin du Lac Tchad et certaines bandes armées et mouvements sécessionnistes dans cet espace géopolitique, on signale également l'utilisation des jeunes garçons et filles dans leurs rangs. Si l'on s'en tient aux investigations sérieuses, menées par certaines organisations internationales, des think tanks et des résultats des recherches menées par des chercheurs dans cet espace géopolitique, on constate bien que l'Afrique Centrale figure parmi les espaces dans le monde depuis le début des années 90 jusqu'à nos jours où le plus grand nombre d'enfants sont recrutés et utilisés par les groupes armés hormis des graves violations comme les meurtres, les enlèvements, les violences sexuelles, les mutilations, les viols, les traitements inhumains contre les enfants. Pour le moment, il est hasardeux d'avancer les chiffres sur la situation actuelle de ces enfants soldats dans cet espace. D'où l'urgence des investigations ethnographiques dans cette zone géopolitique. - Dans la tectonique des guerres et conflits sur le continent, comment s'opère l'enrôlement des enfants-soldats dans le marché de la violence armée ?
- En observant de très près la cartographie de ces espaces de conflictualités où sont enrôlés les « enfants-tueurs », les « enfants bourreaux et victimes » dans le marché de la guerre par des prédateurs politico-militaires et des entrepreneurs ethnico-religieux et militaires en Afrique Centrale et comme partout ailleurs dans le monde, il ressort clairement plusieurs constats. Dans un premier temps, on remarque que leur enrôlement militaire volontaire ou non volontaire se fait généralement dans des lieux reculés où « l'Etat a pénétré en brousse». Autrement dit, l'Etat est incapable d'assumer ses missions régaliennes de sécurité et d'administration. En conséquence, ces zones frontalières sont des lieux métastasés et caractérisés par des trafics illicites, de circulations des drogues et où règnent des chefs de guerres, les réseaux criminels, les voyous politiques qui contrôlent des grands « territoires de circulation de richesse » en semant de la terreur et la panique auprès des populations. Dans un deuxième temps, leur enrôlement militaire se fait sous forme des rapts dans les maisons, marchés, les rues, les écoles, les hôpitaux, les champs et également les espaces de rassemblement dans les villages comme les lieux d'approvisionnement en eau, les lieux de rituels, etc.
On ne saurait passer sous silence le fait que certains chefs de guerre imposent à chaque famille d'envoyer un enfant dans leurs rangs en contrepartie d'un tribut ou impôts versés pour le fonctionnement de leur armée. Dans un troisième temps, en observant les profils sociologiques et anthropologiques de ces enfants enrôlés dans le marché de la violence, on constate qu'ils sont issus en majorité des couches sociales très paupérisées. Le chômage, la misère, la famine, l'analphabétisme, l'absence des conditions décentes pour une vie meilleure à leur épanouissement leur rendent très vulnérables. Ainsi pour pallier à leurs difficultés de l'existence du quotidien, et surtout de subvenir aux besoins de leurs familles, ils sont facilement appâtés par les opportunités du brigandage, le pillage, les attaques kamikazes que leur offrent les mercenaires, ces bandes armées, organisations criminelles pour suppléer leurs rangs comme un truchement salutaire pour trouver le travail. C'est dans cette perspective qu'ils sont enrôlés comme des éclaireurs, cuisiniers, des espions, des pilleurs, des porteurs, des messagers, esclaves sexuelles (s'agissant des filles) et des combattants armés. Enfin, il faut indiquer également que certains enfants rejoignent les groupes armés ou encore des « patriotes rebelles » par mimétisme à cause d'un des membres de la famille qui combat aux côtés d'un de ces groupes cités ci-dessus. D'autres enfants délaissés par la perte des parents, qui leur sont si chers, adhèrent aux invitations et à l'incitation de certains groupes armés en riposte de vengeance. Ainsi, ils jouent le rôle de sentinelles armées et de guetteurs dans des comités d'auto- défenses et des patrouilles dans l'optique d'assurer la sécurité et la protection aux membres de leurs familles. - Au-delà de cette triste réalité, quelles sont les pistes de solutions selon vos constats que le Centre International de Recherches sur la Prévention des Enfants Soldats de Dakhla peut apporter ?
- Le Centre International de Recherches sur la Prévention des Enfants Soldats de Dakhla a un rôle très important à jouer dans les pistes de solutions à apporter pour barrer la voie à ces Chevaliers de l'Apocalypse qui enrôlent la pépinière de l'humanité et perturbent à plusieurs niveaux l' interdépendance sécurité, droits de l' homme et la paix internationale. De par son côté, d'être un carrefour de partage de connaissances, d'analyses des données entre les membres de la société civile, des organisations nationales et internationales impliquées sur ces questions avec les spécialistes chevronnés, les chercheurs juniors et cadets permettront des investigations sérieuses sur différents terrains sensibles de la planète. Les données qualitatives et quantitatives, issues de leurs recherches permettront également non seulement de démêler l'écheveau des différentes tendances lourdes à l'échelle local, régional, et global afin d'élaborer des politiques et stratégies nationales et internationales qui couvrent les aspects de la vie sociale, économique, culturelle, sécuritaire et politique qui visent les conditions d'une paix durable pour l'épanouissement et la jouissance totale des droits des enfants dans le monde. - Sur un autre plan, quelle analyse faites-vous actuellement de la cybersécurité, la souveraineté et la gouvernance démocratique en Afrique ? - Mon passage au Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences Sociales en Afrique (CODESRIA), à Dakar en 2015, comme Lauréat panafricain à l'Institut pour la Gouvernance Démocratique justement sur cette question, m'avait permis de saisir le côté fluorescent, chatoyant, le côté ombreux et inextricable du cyberespace en Afrique de par ses multiples enjeux stratégiques et géopolitiques dans le nouvel « temps mondial ».
D'ailleurs, il faut signaler qu'il est fort probable qu'on puisse établir une passerelle avec la question des enfants- soldats en Afrique et dans le monde et le cyberespace. A titre illustratif, l'interaction entre internet et le terrorisme n'est pas une vacuité d'argumentation en ce siècle présent. Depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux USA, le cyberespace est devenu un lieu de théâtralisation du terrorisme, un espace virtuel de communication et de recrutement mais également un espace d'allèchement des jeunes cybercitoyens aux valeurs contraires à la sécurité, la concorde nationale et la paix internationale. Conscients de l'immédiateté, l'ubiquité, l'accessibilité et de l'universalité d'internet, les Chevaliers de l'Apocalypse qui ne sont rien d'autres que des milices non- étatiques se servent des « Autoroutes de l'information » comme un véhicule de transmission, de propagande de leur idéologie et par conséquent procèdent à des cyber- recrutements des enfants dans leurs manœuvres paranoïaques et machiavéliques. Ce qui est une forme de cyberviolence et de cybercriminalité. Ainsi, un Etat qui n'a pas une politique de cybersécurité efficace est à proie à de nombreux risques numériques comme c''est le cas de plusieurs pays en Afrique.
Revenant au vif du sujet, une partie du présent et des devenirs africains se jouent désormais dans le cyberespace. En l'occurrence, l'utilisation des applications numériques comme Whatsapp, Facebook etc. sont devenus des nouveaux canaux de communication des Africains comme partout dans le monde. Rien ne se fait plus sans connexion internet dans la circulation des informations dans les administrations publiques et des entreprises privées. Ce qui constitue l'oxygène dans ces transactions, c'est bel et bien les données personnelles des cybercitoyens, de l'Etat, des entreprises et des organisations multiformes. Le véritable problème est que l'Etat africain dans sa majorité n'est pas encore capable d'assumer la sécurité des données personnelles et collectives des cybercitoyens, les entreprises, les organisations sociétales et privées et ceci l'expose à des menaces polyvalentes comme le cyberespionnage, le cybersabotage, le vol des données personnelles dans ses infrastructures vitales, la cybercriminalité, les cyberguerres, etc.
Dans cette perspective de vulnérabilité, le continent est encore fébrile en matière de souveraineté numérique, d'où sa dépendance vers certains pays développés. Au regard des attaques cybernétiques qu'ont subi certains pays sur la scène internationale en ce début du XXI siècle, j'estime qu'un véritable investissement stratégique et prospective doit être envisagée pour les politiques publiques de cybersécurité en Afrique. Repenser le rôle de l'Etat dans une société de la connaissance, créer une identité africaine dans le cyberespace sont les principales missions de l'intelligence collective africaine. Propos recueillis par Wolondouka SIDIBE
Bon à savoir Pour Willy Didié Foga Konefon le Centre International de Recherches sur la Prévention des Enfants Soldats de Dakhla a un rôle très important à jouer dans les pistes de solutions à apporter pour barrer la voie à ces Chevaliers de l'Apocalypse qui enrôlent de gré ou de force la pépinière de l'humanité et perturbent à plusieurs niveaux l'interdépendance sécurité, droits de l'Homme et la paix internationale. De par son côté d'être un carrefour de partage de connaissances, d'analyses des données entre les membres de la société civile, des organisations nationales et internationales impliquées sur ces questions avec les spécialistes chevronnés, les chercheurs juniors et cadets mèneront des investigations sérieuses sur des différents terrains sensibles de la planète. Aussi les données qualitatives et quantitatives issus de leurs recherches permettront non seulement de démêler l'écheveau des différentes tendances lourdes à l'échelle locale, régionale, et globale afin d'élaborer des politiques et stratégies nationales et internationales qui couvrent des aspects de la vie sociale, économique, culturelle, sécuritaire et politique qui visent les conditions d'une paix durable pour l'épanouissement et la jouissance totale des droits des enfants dans le monde.