Alors que le temps presse, le ministère de tutelle, malgré son optimisme, peine à parvenir à un compromis avec les partenaires sociaux sur les sujets qui fâchent, tant les divergences sont nombreuses. Explications. Après la signature de l'accord social du 30 avril 2023, même les plus pessimistes n'avaient pas imaginé à l'époque que son implémentation fera l'objet d'autant de débats aujourd'hui. Jusqu'à présent, le gouvernement et les partenaires sociaux se sont retrouvés au cœur d'un débat acharné où le flou plane sur la deuxième tranche de la hausse du salaire minimum. Le SMIG, rappelons-le, devrait augmenter de 10% en deux tranches. La première de 5% a été actée en 2022 tandis que la deuxième est censée l'être en septembre 2023. L'Exécutif est encore heureux que l'accord ne fixe pas un jour précis, lui donnant ainsi près d'un mois pour clore ce dossier. À voir l'agitation qui entoure le débat et les déclarations par médias interposés, on a l'impression qu'on est revenu à la case départ, au moment où les uns et les autres semblent se renvoyer la balle. Pour les syndicats, la hausse du SMIG est un engagement qu'a pris la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) dans l'accord social. Raison pour laquelle les centrales syndicales exigent qu'il soit tenu le plus rapidement possible, sans condition préalable. À ce sujet, les nombreuses déclarations donnent libre cours aux interprétations médiatiques. D'aucuns sont allés jusqu'à accuser le Patronat de chantage en lui reprochant de retarder la mise en œuvre de la hausse du SMIG jusqu'à l'arrivée de la loi relative à l'exercice du droit de grève. Une façon de conditionner le passage au nouveau SMIG à la sortie de la loi. Il n'en est rien, assure le Patronat qui a rejeté toutes ces accusations lors d'une conférence de presse tenue vendredi, après sa rencontre avec le ministre de l'Emploi, Youness Sekkouri. Les cadres du Patronat, à commencer par le président, Chakib Alj, ont tâché de transmettre un message clair. Selon leur argumentaire, la CGEM n'est nullement opposée à la hausse du SMIG, mais elle veille à ce que les parties, aussi bien le gouvernement que les syndicats, respectent leurs engagements.
Tous les chemins mènent vers Sekkouri Aux yeux du Patronat, la balle est dans le camp du gouvernement qui aurait, à ses yeux, pris du retard dans l'application de l'accord social. Allusion faite à la réforme du Code du travail et notamment à la sortie de l'épineuse loi relative à l'exercice du droit de grève. Cette réforme tarde toujours à sortir, poussant ainsi le Chef du gouvernement à l'inscrire sur l'ordre du jour de l'action gouvernementale. Cela dit, l'Exécutif semble vouloir clore ce dossier dès le début de la rentrée politique, sans le laisser traîner davantage. "L'objectif est de parvenir à un accord consensuel avant la rentrée parlementaire afin qu'il soit adopté au Parlement le plus vite possible", lâche une source proche du dossier. Jusqu'à présent, le ministre de tutelle poursuit les discussions avec les syndicats afin de parvenir à un compromis, sachant que les centrales syndicales négocient avec précaution, de sorte à ce que tout accord trouvé ne soit pas restrictif des libertés syndicales. Une réunion informelle a eu lieu ce lundi, nous confie une source syndicale qui y a été présente. "C'était une occasion d'échanger avec franchise", explique notre interlocuteur. Pour la CGEM, les choses sont claires. Les engagements pris dans l'accord social doivent être tous respectés minutieusement. À sa sortie de la réunion du vendredi, le ministre Sekkouri, qui semble maintenant sous la pression du temps, bien qu'il ait l'air serein, s'est montré optimiste en saluant la prédisposition du Patronat à respecter son engagement d'augmenter le SMIG, sans cacher qu'il comprend ses revendications. Le ministre s'est montré tellement confiant qu'il a multiplié les déclarations annonçant un accord imminent au sujet de la loi sur le droit de grève.
Droit de grève : là où ça bloque Il n'est pas étonnant que le retard de la sortie de cette loi fasse autant de bruit. Le gouvernement discute avec les partenaires sociaux depuis janvier 2023 sans parvenir à un compromis. Sept mois sans accord. C'est dire à quel point le ministre a eu de la peine à rapprocher les points de vue. Pour le Patronat, qui préfère ne pas dévoiler tout son cahier de doléances à la presse, la loi sur le droit de grève doit établir un équilibre entre l'employeur et le salarié. Selon les informations recueillies par "L'Opinion", plusieurs points épineux difficiles à trancher sont mis sur la table. Le Patronat veille à mettre les points sur les « i » et se montre pointilleux. Pour les cadres de la CGEM, il est important de définir minutieusement ce que c'est qu'une grève légale pour sortir des méandres juridiques. Selon Hicham Zouanat, président de la Commission des Affaires sociales, il faut absolument faire une définition du mouvement pour mettre un terme aux "grèves sauvages" et instaurer des délais de préavis raisonnables. En plus de cela, le Patronat insiste également sur l'aspect des secteurs jugés vitaux et dans lesquels il est interdit de se mettre complètement en grève de sorte à paralyser l'activité. Là, on parle de tout ce qui est énergie, transport, médecine, etc... Il est donc question de mettre en place une clause qui définit où l'on doit assurer "un service minimum" en cas de grève "en toute circonstance". D'autres points figurent sur la liste des griefs du Patronat, dont la question de la grève solidaire à laquelle la CGEM est catégoriquement opposée. Pour leur part, les syndicats veillent à ce que la loi ne donne pas assez de marge de manœuvre aux patrons d'entreprises pour verrouiller les possibilités de se mettre en grève ou de se prévaloir de ce prétexte pour procéder à des licenciements abusifs. Les syndicalistes veulent que le texte apporte des garanties tangibles de manière à ce que les employeurs ne trouvent pas d'artifices juridiques pour se débarrasser des salariés jugés par trop "combatifs". C'est dire combien le fossé est grand. Jusqu'à présent, le débat continue. Ce dossier est débattu formellement au niveau d'une commission mixte instituée à cet effet comme celle des retraites.
Trois questions à Khadija Ezzoumi "Le débat est toujours ouvert au niveau de la Commission technique" Nous avons assisté récemment à un vif débat dans les médias au sujet de la hausse du SMIG, quelle est votre position ?
Ce que je peux vous dire c'est que nous sommes actuellement dans la continuité de l'accord du 30 avril 2022. L'accord prévoit deux tranches de hausse du salaire minimum.La première a été actée. Il est temps de mettre en œuvre la deuxième conformément au calendrier fixé préalablement par l'accord.
La CGEM exige la sortie immédiate de la loi relative au droit de grève, où en sont les discussions à ce propos ?
La loi, comme vous le savez, a entamé son circuit législatif en 2016. Maintenant, le texte sera tranché au niveau du Parlement. Nous avons convenu que l'accord ne soit pas soumis à l'examen législatif jusqu'à ce qu'il y ait un terrain d'entente entre les parties prenantes. Le débat dure depuis janvier au niveau d'une commission technique qui a obtenu les doléances des centrales syndicales les plus représentatives. Mais, elle n'a pas encore apporté le texte final. Donc, jusqu'à présent, il n'y a pas eu d'avancées majeures. Mais le débat est toujours ouvert au niveau de la Commission technique.
Le prochain round du dialogue social approche, quelles sont vos priorités ?
L'accord social a prévu d'autres engagements sur des réformes importantes comme celle du droit de grève, celle relative à l'organisation des syndicats et le Code du travail. Sur ce point, le débat se poursuit. Il n'y a pas eu de réunions formelles qui puissent donner lieu à des annonces officielles. Le prochain round du dialogue social du mois septembre devrait être important sachant qu'il est prévu de régler les divergences relatives à l'application de l'accord au niveau de la haute commission du dialogue social. Ce sera également une opportunité pour se projeter sur l'avenir et examiner l'état d'avancement des acquis. Calendrier des réformes : Ce que dit l'accord social Conclu le 30 avril, l'accord social prévoit plusieurs engagements de l'ensemble des parties signataires. Le gouvernement s'est mis d'accord avec les partenaires sociaux sur la réforme de l'arsenal législatif relatif au marché du travail. Pour ce qui est de la loi relative à l'exercice du droit de grève, l'accord stipule qu'elle devrait être sortie avant la fin de la première session de la deuxième année législative (janvier 2023). Idem pour le Code du travail dont la réforme est censée voir le jour avant le 23 juillet. Par ailleurs, concernant les obligations du le secteur privé, la CGEM s'est engagée à augmenter le salaire minimum de 10% en deux ans en respect total du calendrier fixé à cet effet. Dans ce sens, il a été convenu d'harmoniser progressivement le salaire minimum dans les secteurs de l'industrie, du commerce, de l'agriculture et dans les professions libérales d'ici 2028. S'agissant des retraites, l'accord social a réduit la durée de cotisation minimum pour la pension vieillesse qui a été fixée à 1320 jours au lieu de 3240. A cela s'ajoute l'augmentation des allocations familiales pour les 4ème, 5ème et 6ème fils. Lesquelles sont passées de 36 à 100 dirhams. Réforme du Code du travail: Nouveau terrain d'un bras de fer social Depuis son arrivée à la tête du ministère de l'Emploi, Younes Sekkouri a fait part de sa volonté de s'attaquer à la réforme du Code du travail. Chose vivement revendiquée par la CGEM qui se plaint depuis des années du fait que le Code est resté inchangé depuis 2004. Dans la philosophie du Patronat, la réforme du Code du travail doit être flexible de sorte à encourager les employeurs à recruter. Dans l'esprit du Patronat, la réforme du Code du travail, dont celle du droit de grève, va dans le sens de la création d'emplois. « Nous visons la création de plus d'emplois, les changements qu'on souhaite au niveau du Code du travail vont dans ce sens », a indiqué, à cet égard, Chakib Alj lors de la conférence de presse du vendredi. Cette réforme serait, à ses yeux, indispensable pour encourager les patrons, les chefs d'entreprises et les industriels à recruter plus. «Demandez à n'importe quel industriel, il vous dira qu'il a peu embauché de monde », a lâché le patron des patrons. De son côté, Hicham Zouanat a bien résumé ce qu'attend clairement le Patronat de la réforme du Code du travail. Il a rejeté l'idée que la CGEM soit favorable à un texte qui facilite les licenciements et réduise l'exercice de la grève. « Ce que nous cherchons, c'est un code qui encourage la création de l'emploi mais surtout apporte des garanties en matière de productivité des travailleurs », a-t-il précisé. En plus de cela, la CGEM veut aussi réformer l'aspect lié à la durée du contrat de travail temporaire (CTT). Le problème se pose, aux yeux du Patronat, au niveau de la durée, fixée à trois mois renouvelables une seule fois tandis que les patrons d'entreprises souhaitent qu'elle soit allongée à 6 mois renouvelables deux ou trois fois. À cela s'ajoutent d'autres points sensibles, tels que l'interprétation des cas de force majeure.