Le Conseil Supérieur de l'Education, de la Formation et de la Recherche Scientifique (CSEFRS) a plaidé, mardi à Rabat, en faveur d'un virage radical et opérationnel de la formation en langues nationales et étrangères, assorti d'une alternance linguistique et de dispositifs pédagogiques renouvelés et numériques, couplés à un encadrement adéquat. Il y a quelques semaines, une session extraordinaire du CSEFRS s'est tenue au même moment où le ministère de l'Education nationale, du Préscolaire et des Sports annonçait le lancement du projet «Ecoles pionnières», qui sera mis en œuvre à la rentrée 2023/2024 dans quelque 628 écoles élémentaires publiques. Un programme d'envergure dont l'objectif est de remédier aux mille et une lacunes de l'enseignement national, prévoyant une série de mesures pédagogiques, dont la généralisation programmée de l'apprentissage de l'anglais au collège. Le jardin du siège du CSEFRS, spécialement aménagé pour l'occasion, a été investi en grande pompe par de nombreuses personnalités, dont le fondateur et président du mouvement, Damir Salah El-Ouadie, et l'ancien ministre de l'Education, Ahmed Akhchichine. Après une courte concertation, les convives de tous horizons ont été invités dans la salle pour assister à l'allocution d'ouverture de Habib El Malki, président du CSEFRS, qui, pourtant connu pour ses postures «politiquement correctes», n'a pas manqué de fustiger l'architecture pédagogique de l'école marocaine, appelant à faire une rupture totale avec l'actuelle approche. El Malki a notamment appelé à une redynamisation des efforts pour favoriser l'accompagnement vigilant de la réforme de l'Education. Une réforme destinée à mieux encadrer le système d'éducation et de formation dans son ensemble. Dans le rétroviseur de la séance, il y avait le projet de loi 59.21 sur l'Enseignement scolaire, le projet de décret sur l'orientation scolaire et professionnelle et le Conseil universitaire, le projet de décret prévoyant les applications de l'ingénierie linguistique dans l'Enseignement scolaire, la Formation professionnelle et l'Enseignement supérieur, le projet de décret portant sur la vocation des établissements universitaires, les cycles d'études supérieures et les diplômes nationaux correspondants, et le projet de décret approuvant le Cahier des normes pédagogiques nationales du cycle de la licence.
Ingénierie linguistique, le talon d'Achille Il est vrai que l'intégration de la langue anglaise au programme élémentaire de tous les jeunes apprenants à l'échelle nationale est de mise, néanmoins, cette démarche impose moult défis, qui requièrent la mise en place d'un ensemble de moyens humains et matériels. «Que l'on veuille ou non, l'anglais est la langue des sciences, des nouvelles technologies, du marketing et de l'avenir. Rien que pour cela nous devons l'enseigner comme il se doit», nous indique Pr Samia Belyazid, professeur universitaire à la retraite et fervente militante de l'anglicisation du système éducatif national, qui œuvre à bras le corps pour la généralisation de la méthode communicative de la langue, c'est-à-dire d'enseigner l'anglais, en anglais. Mais selon les mots de l'expert en Politique Educative et Ingénierie des Compétences, Mohammed Guedira, il faut une évaluation de l'existant, notamment en termes de cadres et de ressources humaines et leur capacité à enseigner l'anglais en anglais. Sur ce point, Nourddine Akkouri, Président de la Fédération nationale des associations des parents d'élèves du Maroc, nous informe qu'en vue de répondre à cette problématique, «les enseignants du cycle secondaire ont déjà reçu une note de la part du ministère de l'Education nationale, les informant qu'ils seront appelés à déployer des cours au collège, pour compléter leur tableau de service». Même son de cloche du côté de Mehdi Haidar, sociolinguiste et professeur-chercheur à la Faculté des sciences de l'éducation à Rabat, qui se montre optimiste quant aux campagnes de recrutement des enseignants où ceux de l'anglais se taillent la part du lion. Cependant, au-delà du collègue et du lycée, Mohammed Guedira, pointe du doigt la complexité d'une transition tous azimuts du français à la langue de Shakespeare de l'école marocaine dans sa globalité. «Soyons réalistes. Posons-nous les bonnes questions sur l'après-collège et l'après-lycée. Combien avons-nous de professeurs universitaires capables d'enseigner des filières aussi pointilleuses que les sciences, le marketing et les nouvelles technologies dans un anglais décent ? », lance-t-il, avant de poursuivre que «lorsque nous ne savons pas où aller, nous prétendons être arrivés à destination, or, ce n'est pas vraiment le cas». Mehdi Haidar, qui partage, plus au moins, ce même avis, précise toutefois que «la langue française reste la langue des affaires et des sciences et techniques qui a encore un rôle à jouer au Maroc pour des raisons historiques et socio-économiques», et que la généralisation de l'anglais serait complémentaire au français et non un substitut.
La messe est dite Ce mardi, après une attente empreinte d'autant d'espoir que d'a priori, lors d'une réunion menée tambour battant par le CSEFRS, ce dernier a dit sa messe et a exposé ses avis sur un ensemble de textes législatifs relatifs au système éducatif. Il a, donc, prôné le projet de décret modifiant et complétant le décret n° 2.04. 89, fixant la vocation des établissements universitaires, les cycles d'études supérieures et les diplômes nationaux correspondants, le projet de décret portant approbation des normes pédagogiques nationales pour la licence en études de base, ainsi qu'un ensemble de recommandations comprenant la mise en place des conditions adéquates pour le système des crédits et pour le diplôme universitaire (post-doctorat). Ceci sans oublier l'adoption d'alternatives adéquates au projet de fin d'études, outre la révision du système d'orientation et de réorientation universitaire, en particulier pour les établissements à accès libre. En termes plus concis, la rentrée s'annonce révolutionnaire.
3 questions à Razane Chroqui «L'université marocaine doit faire face à l'impératif de redéfinir ses approches pédagogiques »
Parce qu'elle croit dur comme fer en un avenir meilleur pour le système éducatif national, Pr Razane Chroqui nous a accordé, à cœur joie, cette interview. Pourquoi, selon vous en tant qu'experte, faudrait-il généraliser l'apprentissage de l'anglais au stade du collègue et non dès l'enseignement préscolaire ? La charte nationale a instauré l'enseignement des langues étrangères depuis le primaire, avec un accent particulier sur le français. Au niveau secondaire, l'enseignement de l'anglais est souvent proposé en tant que deuxième langue étrangère. L'objectif principal de cette orientation plurilingue est de préparer les étudiants à une participation active dans la société mondialisée, en leur offrant des compétences linguistiques diverses et en favorisant leur ouverture culturelle.
Parlez-nous de l'urgence et de l'impératif de mettre la digitalisation au cœur du processus d'apprentissage des langues, ou de l'apprentissage tout court.
Aujourd'hui, plusieurs programmes sont dispensés à distance et peuvent être bénéfiques surtout pour les élèves dans les régions éloignées ou pour ceux qui ont des contraintes de temps, même si la digitalisation ou l'enseignement en ligne ne pourrait remplacer un enseignement en « présentiel » mais renforcer les compétences linguistiques des apprenants.
Nos approches pédagogiques ne répondent plus aux normes de la société moderne. Comment y remédier avant qu'il ne soit trop tard ? Aujourd'hui et plus que jamais d'ailleurs, l'université marocaine doit faire face à l'impératif de redéfinir ses approches pédagogiques, notamment dans l'enseignement-apprentissage des langues pour la nouvelle génération d'étudiants. La maîtrise des langues étrangères, pour sa part, renforce les compétences des étudiants sur le marché du travail et facilite leur employabilité à l'échelle nationale et internationale. En 2011, les universités marocaines comptaient quelque 50.000 diplômés. En 2021, ils étaient un peu plus de 143.000.
Cours à distance : Le projet de décret sous la loupe Les recommandations du CSEFRS mettent en exergue l'exigence de fournir un effort logistique, humain et financier pour que tous les étudiants, quel que soit leur statut social, puissent suivre leurs cours à distance, et ce, sans la moindre discrimination, en vertu de l'article 33 de la loi-cadre 51.17. Grosso modo, le projet de décret que les membres du Conseil viennent de concocter, après une attente qui n'a que longuement duré, modifie et complète les articles 1, 2, 6, 8 et 9 du décret n° 2.04.89. C'est-à-dire qu'il prévoit notamment l'adoption d'une licence générale et d'une licence en sciences de l'éducation, ainsi que la création d'un système de crédits normalisés pour les cours universitaires. La suppression du projet de fin d'études (PFE) et des stages professionnels, ainsi que la possibilité de réorientation avec maintien des crédits acquis, figurent au rang des préconisations les plus significatives de ce projet.
L'info...Graphie Education : La réforme obéit à un processus consultatif, garant de succès M. El Malki a rappelé que les avis qui ont été avalisés par l'Assemblée Générale Extraordinaire, sont le fruit de longues consultations. Ainsi, cette récente session extraordinaire, dont les travaux ont été fort concluants, a constitué une chance de conforter l'effort collectif pour une promotion qualitative du système d'éducation, de formation et de recherche scientifique au Maroc. «Ces avis contribuent à raffermir l'interaction diligente avec l'ensemble des politiques et programmes de réforme, notamment ceux prévus par la loi-cadre n° 51.17, que Sa Majesté le Roi Mohammed VI ne cesse de tenir pour un cadre contractuel national contraignant», a-t-il précisé. Aussi, le haut responsable a-t-il fait savoir que quatre demandes d'avis, transmises par le Chef du gouvernement au CSEFRS, ont été examinées et approuvées, à savoir l'avis du Conseil sur le projet de loi 59.21 relatif à l'enseignement scolaire et l'avis du Conseil sur un projet de décret relatif à l'orientation scolaire et professionnelle et au Conseil universitaire. En outre, figurent parmi les demandes d'avis soumises au Conseil, le projet de décret fixant les applications de l'ingénierie linguistique dans l'enseignement scolaire, la formation professionnelle et l'enseignement supérieur, ainsi que l'avis sollicité du Conseil sur le projet de décret modifiant et complétant le décret n° 2.04.89 publié le 7 juin 2004, fixant la vocation des établissements universitaires, les cycles de l'enseignement supérieur, ainsi que les diplômes nationaux correspondants, en plus d'un projet de décret portant approbation de l'ensemble des normes pédagogiques nationales pour le cycle de la licence, a-t-il poursuivi. Le président du CSEFRS a, dans le même sillage, assuré que ces demandes d'avis ont été approuvées à l'unanimité, tout en tenant compte des observations et propositions présentées et approuvées, avant d'envoyer la version finale à la Présidence du gouvernement.