Du jamais vu dans les relations algéro-françaises. Pour la première fois un chef de l'Etat algérien descendra les champs Elysées pavoisées aux couleurs des deux pays. A moins que cette descente ne soit annulée de peur qu'elle soit chahutée par la forte communauté algérienne à Paris. Une délégation menée par Anne-Marie Descôtes, secrétaire générale du ministère français des affaires étrangères s'est rendue dimanche 16 avril à Alger pour mettre au point le programme de la visite prochaine du président algérien Abdelmadjid Tebboune à Paris. Une visite qui se déroulera très probablement entre les 2 et 5 mai prochain. C'est ce qu'annonce le quotidien français L'Opinion, très proche du palais d'El-Mouradia. Le programme concocté par l'Elysée est unique en son genre. Macron veut marquer le coup en réservant un accueil auquel ont droit quelques rares privilégiés que La France classe parmi ses plus grands amis. Pourtant, jusqu'ici, les relations entre les deux pays ont toujours été empreintes de périodes de froideur et de tension depuis l'indépendance de l'Algérie en 1962. Rien que pour la courte période du règne de Tebboune, à peine trois ans, l'Algérie a rappelé son ambassadeur à deux reprises. Une première fois, au mois d'octobre 2021, lorsque le président français disait publiquement tout ce que ses prédécesseurs disaient tout bas et tout ce que la classe politique française pense. Il qualifia le régime algérien de « politico-militaire qui entretient une rente mémorielle » en ajoutant que le « hirak l'avait ébranlé et affaibli ». C'était le 30 septembre 2021, devant un parterre de jeunes étudiants franco-algériens. Une fois la colère passée, l'ambassadeur algérien à Paris retourne à son poste, deux mois plus tard, comme si de rien n'était. Macron n'avait pas présenté d'excuses. Février 2023, pour la deuxième fois, sous Tebboune, « Alger rappelle son ambassadeur pour consultation », selon la formule consacrée. Le consul de France à Tunis prêta main forte à l'opposante algérienne Amira Bouraoui porteuse d'un passeport français, pour quitter le territoire tunisien à bord d'un vol Tunis-Lyon. Tel un enfant gâté, le régime algérien se fâche et considère ce geste comme une immixtion dans les affaires tunisiennes, parce que les autorités tunisiennes reprochaient à la militante franco-algérienne d'être entrée en Tunisie clandestinement à partir du territoire algérien. Son passeport n'ayant pas été composté au poste frontalier. Alger avait envoyé en urgence le patron de ses services de sécurité extérieure, le général Major Djebbar Mehenna, pour récupérer la « fugitive ». Il retournera bredouille chez lui et Tebboune se fâche.
Ils sont nombreux les Algériens qui se mobilisent pour réserver un accueil spécial pour Tebboune. Ils tiennent à lui rappeler ses violations des Droits de l'Homme et la situation critique dans laquelle il a plongé le pays. On a du mal à imaginer un chef d'Etat accorder une si grande importance à une affaire des plus banales, jusqu'à rappeler son ambassadeur. Cependant, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, Tebboune ne bronche pas quand il s'agit de questions de principe sur lesquelles la France ne tergiverse pas et le remet à sa place. Pas la moindre réaction algérienne quand Emmanuel Macron déclare sans ambages « la France ne présentera pas d'excuses » au sujet des crimes coloniaux. Une déclaration passée inaperçue à Alger bien qu'elle soit faite à un journaliste algérien, Kamel Daoud, et publiée dans l'un des plus grands hebdomadaires de l'hexagone, Le Point. Dans le même entretien, il annonce que la France ne livrera pas les opposants classés, par Alger, comme terroristes avec publication dans le Journal Officiel et condamnés à de lourdes peines de prison allant de 20 ans à perpétuité. Là, aussi, c'est motus et bouche cousue à Alger. Même la presse qualifiée de stipendiée, par l'opinion publique algérienne, s'abstient de commenter. Quels dividendes compte tirer Macron de la visite de Tebboune ? Pas plus tard que ce dimanche 16 avril où la délégation française peaufinait le programme de visite de Tebboune à Paris avec les Algériens, le Mouvement pour l'Autodétermination de la Kabylie, classé mouvement terroriste par Alger, mené par son leader Ferhat Mehenni, condamné à perpétuité pour terrorisme par un tribunal d'Alger, défilait à Paris de la place de la Bastille à Nation en grandes pompes pour célébrer le 43ème anniversaire du printemps berbère. Aucune protestation d'Alger. Macron sait très bien manier le bâton et la carotte avec Tebboune. Il sait, aussi, fermer l'œil sur l'infantilisme du pouvoir d'Alger quand est remise en cause la langue française dans l'enseignement ou la vie de tous les jours. Il sait très bien que ces velléités sont épisodiques et ne s'inscrivent nullement dans une politique réfléchie. Ce sont des réactions intempestives à certaines situations comme pour rappeler à la France que son ancienne colonie mérite un meilleur traitement. Ce à quoi répond le protocole d'accueil préparé pour la visite de Tebboune. «Macron aura tout à perdre en s'acoquinant avec un Tebboune marionnette de militaires sanguinaires» Accueil à l'aéroport en grande fanfare par Macron, avant la réception officielle aux Invalides et la descente de l'avenue des Champs Elysées. Un discours au palais Bourbon devant les parlementaires français et une visite au château d'Amboise pour rendre un hommage à l'émir Abdelkader proclamé depuis 1965 symbole de la résistance à l'occupation coloniale et devenu plus tard grand ami de la France. De quoi donner à Tebboune l'impression d'être un grand dans la cour des grands. Il est bon de souligner que Tebboune est le troisième président algérien à se rendre en visite officielle en France. Le premier à avoir franchi le pas est feu Chadli Benjedid. Du 7 au 10 novembre 1983, il effectua la première visite officielle à Paris depuis l'indépendance d'un chef d'Etat Algérien. Elle sera couronnée, sur le plan économique, par la commande de 5 800 camions Renault et de 2 Airbus. Une commande décidée par le président Chadli Bendjedid. La France est redevenue le premier client et le premier fournisseur de l'Algérie : le montant des échanges est passé de 25 milliards de francs en 1981 à 45 milliards en 1983. On venait de rompre avec l'ère de Houari Boumediene grand rancunier à l'encontre de l'ancienne puissance coloniale. Une rancune mal dissimulée dans le discours prononcé lors du dîner officiel offert en l'honneur du président Valery Giscard d'Estaing qui effectua en avril 1975 la première visite d'un chef d'Etat français dans l'Algérie indépendante. Dans son discours, le président Houari Boumediene tonnait « nous tournons la page de l'histoire mais nous ne la déchirons pas ». Cette rancune s'est manifestée à plusieurs reprises lorsque le président algérien faisait visiter à son hôte les réalisations de l'Algérie indépendante depuis 13 années. L'université ultra moderne de Constantine conçue par l'architecte brésilien Oscar Niemeyer, les complexes pétrochimiques d'Arzew et de Skikda, le complexe sidérurgique d'El-hadjar et tant d'autres installations qui faisait la fierté de l'Algérie. La visite de Giscard en Algérie se termine par une réunion en tête à têterestée entourée d'un mystère que les deux hommes n'ont jamais révélé. L'envoyé spécial du Quotidien de Paris avait décrit Giscard dans un état qu'on ne lui avait jamais connu. Il écrivait « Giscard quittait la pièce (de l'entretien) le visage blême, livide les jambes tremblantes (...) que s'étaient-il dit entre les deux hommes ? » La réponse à cette question n'a jamais été donnée. Ce commentaire a été reproduit par le même quotidien lors de la visite de François Mitterrand à Alger en 1981 (du 30 novembre au 1er décembre). Autre président algérien, n'ayant jamais effectué de visite en France, est Liamine Zeroual qui ira jusqu'à même annuler une rencontre avec le président Chirac, le 22 octobre 1995, à New-York à l'occasion du 50ème anniversaire de la création de l'ONU. Pourtant, quelques jours plus tôt (le 10 octobre), le chef de l'Etat français avait annoncé qu'il allait rencontrer son homologue algérien. Cette annulation du côté algérien était qualifiée par le Parti Socialiste (français) de camouflet essuyé par Chirac. Quant au premier président de l'Algérie indépendante, Ahmed Benbella (1962-1965), il rencontra le Général De Gaule à l'aéroport du Bourget en 1964 où faisait escale l'avion du chef de l'Etat algérien. Dans l'entretien qu'il avait accordé au directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, René Beckmann en 1982, il disait s'être mis au garde-à-vous spontanément en se remémorant les images de sa décoration par le général à Monte Cassino alors qu'il était adjudant dans l'armée française durant la 2ème guerre mondiale. Avant Tebboune, Abdelaziz Bouteflika était le second chef d'Etat algérien à se rendre en France en visite officielle. Auteur de violentes diatribes contre la diplomatie hexagonale pour ses commentaires disgracieux sur son élection à la présidence de la république, Bouteflika passait aux yeux de Hubert Védrine, le chef de cette diplomatie si décriée, pour un président capable de se montrer tout aussi ombrageux que chaleureux. D'autres vont le trouver charmeur et séduisant lors de sa visite à Paris en juin 2000. C'était sa première visite officielle à l'étranger. Discours à l'Assemblée nationale – une première pour un président algérien -, dîner à l'Elysée, rencontre avec des hommes d'affaires, visite au Mémorial de Verdun pour rendre hommage aux soldats algériens morts pendant la Première Guerre mondiale. Mais pas de descente des Champs Elysées comme c'est prévu pour Tebboune. D'ailleurs une descente qui risque d'être annulée de peur de voir des milliers d'Algériens pour le huer. La diaspora algérienne s'apprête à réserver à Tebboune un accueil spécial Oui, ils sont nombreux les Algériens qui se mobilisent pour réserver un accueil spécial pour Tebboune. Ils tiennent à lui rappeler ses violations des Droits de l'Homme et la situation critique dans laquelle il a plongé le pays. Une organisation algérienne des Droits de l'Homme récemment créée, l'Association pour la Liberté, la Démocratie et la Défense des Droits Humains en Algérie s'apprête à écrire au président Macron pour lui rappeler que son invité ne peut être le bienvenu dans le pays berceau des Droits de l'Homme. Outre les violations quotidiennes des Droits Humains, il compte dans son entourage des généraux qui ont tué de sang froid des centaines d'Algériens et qui occupent, aujourd'hui, des postes de responsabilité, dans les plus hautes sphères de l'Etat. Sera cité le général d'armée Saïd Chengriha qui avait tué en 1993 d'une balle dans la tête un paisible citoyen de la ville de Lakhdaria à 60 Km à l'est d'Alger, comme le rapporte l'ancien officier de l'armée algérienne, Habib Souaïdia, dans son livre « La sale Guerre » publié en 2001 aux éditions « La découverte ». Sera cité, également, le général Djebbar Mehenna, l'actuel patron de la sécurité extérieure algérienne. Selon plusieurs témoignages, il serait l'instigateur de l'assassinat des 7 moines de Tibhirine enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 et séquestrés durant plusieurs semaines. Leurs têtes sans corps seront retrouvées le 30 mai 1996 à quelques kilomètres de la ville de Médéa, capitale du Titteri. Parmi les autres généraux collaborateurs de Tebboune figureront en bonne place dans la correspondance de cette association, les noms des Généraux Abdelkader Haddad alias Nacer El-Djen et Hamid Oubelaïd alias Hocine Boulahia qui ont exécuté froidement des dizaines de pauvres innocents selon le témoignage de l'un de leurs anciens collègue, diffusé sur YouTube. Le côté cour de la visite de Tebboune à Paris ne sera certainement pas agréable ni pour la délégation algérienne ni pour les Français qui ont choisi leur camp en Algérie en soutenant un régime impopulaire, répressif et champion en matière des violations des Droits de l'Homme. Ils sont plus de 400 détenus politiques à croupir dans les geôles du régime politico-militaire. «Macron aura tout à perdre en s'acoquinant avec un Tebboune marionnette de militaires sanguinaires» commente un observateur averti de la scène politique algérienne.