Promue par le ministère de l'Agriculture et recommandée par les environnementalistes, la technique de semis-direct est méconnue du public et, parfois même, des agriculteurs. Eclairage. Creusez, fouillez, bêchez, ne laissez nulle place où la main ne passe et repasse ! Ainsi disait le laboureur à ses fils dans la fable de La Fontaine dont la morale est que «le travail est un trésor». L'idée de travailler la terre pour améliorer les rendements agricoles est si «logique» qu'elle en est devenue un symbole de l'effort et du labeur. Pourtant, depuis quelques années, une nouvelle approche agricole préconise de ne pas préparer le sol avant l'installation d'une culture. C'est le fameux «semis-direct» qui a doucement fait son chemin à travers le monde jusqu'à commencer à s'imposer dans notre pays. «Le semis-direct est un système de production basé sur l'élimination de tous les travaux de préparation des sols avant le semis. De ce fait, l'installation des cultures est réalisée en un seul passage pendant lequel l'engrais de fond et la semence sont déposés à la profondeur désirée à l'aide d'un semoir de semis-direct», explique le site officiel du ministère de l'Agriculture, du Développement rural, de la Pêche maritime et des Eaux et Forêts. Une meilleure productivité «Ainsi, la productivité de l'eau, du sol et des intrants est meilleure avec moins de consommation en intrants : carburant, machines agricoles, temps de travail, engrais et semences, puisque chaque intrant est optimisé par le dépôt au bon moment et au bon endroit selon les conditions pédoclimatiques», poursuit la même source qui souligne qu'«outre une économie considérable des coûts de production, cette technique permet une réhabilitation de la fertilité des sols et de leur santé. Au Maroc, plus de 30.000 hectares sont conduits en semis-direct pour la seule campagne 2019-2020. Il est à rappeler également que depuis 15 à 20 ans, certains agriculteurs n'ont plus labouré leurs champs respectifs». La conversion vers le semis-direct, au Maroc comme ailleurs, fait cependant l'objet de plusieurs contraintes dont la plus importante est d'ordre psychologique : il est encore difficile de convaincre certains agriculteurs que l'agriculture peut (mieux) se faire sans travail du sol. Résultats sans appel Pourtant, le parcours de la littérature scientifique et des expériences chiffrées disponibles démontre que cette technique arrive bien à honorer ses promesses. D'après la plupart des études effectuées dans diverses régions du globe (en Amérique du Nord et du Sud notamment), cette technique améliore la structure du sol, lui permet par exemple de stocker plus d'eau, de laisser la faune et la flore du sol constituer, remuer et homogénéiser le sol par leur action. Le sol des champs soumis au semis-direct aurait alors une structure qui s'approche de celle des sols forestiers, selon un principe de «résilience écologique». Un des effets est (entre autres) de concentrer davantage la matière organique sur la première couche du sol, là où le travail du sol mélangeait chaque année diverses couches. Le semis-direct diminue ainsi fortement la consommation de carburant et d'intrants à l'hectare, nécessite un investissement matériel beaucoup plus faible à l'hectare, et peut même être adapté à des exploitations en traction animale. Semoirs fabriqués au Maroc Le coût du matériel nécessaire à cette technique semble pourtant rebuter certains agriculteurs marocains qui tardent ainsi à adopter cette technique. «Plusieurs prototypes de semoirs de semis-direct sont fabriqués par un industriel marocain et ont été vendus dans plusieurs régions du Royaume. Les Chambres régionales d'agriculture de Béni Mellal-Khénifra et Rabat-Salé-Kénitra sont devenues de grands promoteurs et adeptes du semis-direct à travers l'acquisition de ces semoirs et leur mise en disponibilité au profit des associations professionnelles en vue d'utilisations communes par les agriculteurs», assure pourtant le ministère de l'Agriculture. Relevant le défi de la rareté des ressources hydriques et optimisant la conservation des sols, le semis-direct, combiné aux technologies de l'agriculture de précision, pourrait déjà livrer un aperçu de l'agriculture marocaine de demain. Pour atteindre cet idéal, le travail entamé pour cette transition devra se poursuivre, car si le labour du champ devient obsolète, le travail pour sa part restera toujours un trésor. Oussama ABAOUSS Repères Une technique millénaire Le principe du semis-direct est loin d'être nouveau puisqu'il existe depuis le début de l'Histoire de l'agriculture et reste la base des systèmes agricoles de plusieurs civilisations. Les premiers à avoir développé des systèmes de semis-direct semblent être les Indiens des Amériques et les Egyptiens du delta du Nil. Les habitants de ces régions ont donc développé des systèmes de semis à travers des couvertures mortes où la culture puise ses nutriments dans la biomasse végétale en décomposition.
Histoire de l'agriculture de conservation Le début du développement de l'agriculture de conservation et des systèmes modernes de semis-direct remonte aux années 1930, lorsque les grandes plaines des Etats-Unis d'Amérique ont connu une érosion éolienne qui a causé des dégâts considérables. L'expérience américaine a eu un très grand impact, d'abord auprès des agriculteurs du pays-même, puis à l'extérieur. Les techniques mises au point aux Etats-Unis vont se diffuser dans d'autres pays de la zone tempérée comme le Canada, et gagner les pays de la zone tropicale. L'info...Graphie Définition Les trois piliers fondamentaux de l'agriculture de conservation
Le semis-direct est une technique de «l'Agriculture de Conservation» (AC). Cette dernière vise à développer une agriculture durable et rentable et à améliorer les moyens de subsistance des agriculteurs. Ainsi, l'agriculture de conservation respecte trois grands principes. Le premier est le semis-direct qui implique un travail minimal du sol depuis la récolte de la culture précédente. Le deuxième principe est la couverture permanente du sol (par de la paille notamment) afin de protéger le sol contre les effets destructeurs de la pluie ou des rayons solaires, assurer aux micro et macro organismes un apport constant en nutriments, et créer un micro climat favorable pour le développement et la croissance optimale des racines des plantes et des organismes vivant dans le sol. Le troisième principe est la rotation des cultures qui permet de couvrir les besoins en éléments nutritifs (des micro-organismes du sol) et de remonter et de recycler les éléments minéraux situés dans les couches profondes du sol.
2022-2023 Extension à 100.000 hectares des superficies en semis-direct
Le ministre de l'Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts, M. Mohammed Sadiki, a présidé le mercredi 19 octobre 2022, au niveau de la commune Aghbalou Akourar, province de Sefrou, le lancement officiel de la campagne agricole 2022-2023. En vue de favoriser le bon déroulement de la campagne agricole 2022-2023, dans la poursuite des efforts de développement du secteur dans le cadre de la mise en oeuvre de la stratégie Génération Green 2020-2030, le ministère a pris une série de mesures et dispositions, en matière notamment d'approvisionnement en facteurs de production (semences et engrais), de développement des filières agricoles, de gestion de l'eau d'irrigation, d'assurance agricole, de financement et d'accompagnement des agriculteurs. Le programme national de semis-direct au titre de l'actuelle campagne agricole 2022/2023 prévoit la poursuite du programme sur une superficie de 100.000 ha, avec l'objectif d'atteindre 1 million d'hectares à horizon 2030. Dans ce cadre, le ministère a prévu l'acquisition de 73 semoirs au profit des coopératives et le renforcement de la sensibilisation et de l'accompagnement des agriculteurs pour adopter cette technique. Avec ce programme, le ministère consacre son orientation vers une agriculture durable et éco-efficiente conformément aux dispositions de la nouvelle stratégie Génération Green 2020-2030. À cette occasion, le ministre a procédé au lancement de l'opération du semis-direct sur une superficie de 30 hectares et à la distribution de semoirs du semis-direct au profit de coopératives de la région.
3 questions à Redouane Choukr'Allah « L'agriculture de conservation qui s'appuie entre autres sur le semis-direct est le meilleur moyen de conserver les sols tout en assurant des rendements importants »
Expert en agriculture durable, Redouane Choukr'Allah répond à nos questions sur l'adoption de la technique de semis-direct au Maroc et sur son potentiel dans un contexte climatique délicat. - Comment la technique de semis-direct a-t-elle été introduite puis adoptée au Maroc ? - Cette technique a d'abord été étudiée et expérimentée par les équipes de l'Institut National de Recherche Agronomique (INRA). Dans un deuxième temps, c'est le programme Moutmir de l'OCP qui s'est appuyé sur cette technique puisqu'elle faisait partie des solutions identifiées qui pouvaient assurer une rentabilité agricole en dépit de la baisse de la pluviométrie. Il est, à mon sens, important de rendre hommage ici à Mme Fatiha Cherradi, du programme Moutmir, qui a énormément contribué à démontrer l'intérêt d'adopter cette technique. Au vu des résultats convaincants, le ministère de tutelle s'est également approprié le semis-direct et l'a ensuite introduit dans sa stratégie. - Certains agriculteurs estiment que cette technique ne fait toute la différence que pendant les années sèches. Qu'en pensez-vous ? - C'est une fausse idée. Le semis-direct a été expérimenté dans plusieurs pays. Correctement appliqué, il a toujours donné une bonne rentabilité avec, à la clé, une meilleure conservation des sols et de la biodiversité. Je tiens cependant à souligner qu'il n'est pas raisonnable de penser que le Maroc pourra un jour revivre la pluviométrie qui était par exemple enregistrée durant les années 50 ou 60 du siècle dernier. La sécheresse est là pour s'installer et, dans ce contexte, l'agriculture de conservation, qui s'appuie entre autres sur le semis-direct, est le meilleur moyen de conserver les sols tout en assurant des rendements importants. - Qu'en est-il des coûts des investissements en équipements dédiés au semis-direct ? - Il est vrai que cette technique nécessite l'utilisation d'un équipement dédié. Cela dit, là aussi l'expérience de Moutmir a permis d'expérimenter un nouveau modèle où le matériel est loué aux agriculteurs à travers des petites sociétés. L'agriculteur gagne ainsi en investissant beaucoup moins tout en permettant à un nouveau type de PME de se développer grâce au service de location qu'elles offrent. Recueillis par O. A.