Dans une nouvelle escalade, le Palais d'El Mouradia vient d'annoncer la suspension de son traité d'amitié, de bon voisinage et de coopération avec l'Espagne, suivie par le gel des opérations bancaires par les établissements algériens. L'Algérie vient de franchir un nouveau cap dans son bras de fer qui l'oppose à l'Espagne suite à la décision de Pedro Sanchez de reconnaître le plan d'autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine, comme l'option « la plus sérieuse », pour régler définitivement un conflit qui n'a que trop duré. Après la rupture des relations diplomatiques décidée par Alger dans la foulée de l'annonce de la nouvelle position de Madrid, le Palais d'El Mouradia vient de décider, mercredi 08 juin, la suspension avec effet immédiat du traité d'amitié, de bon voisinage et de coopération, conclu entre les deux pays en 2002. Gel de la coopération bancaire « Les autorités espagnoles se sont engagées dans une campagne tendant à justifier la position qu'elles ont adoptée sur le Sahara en violation de leurs obligations juridiques, morales et politiques », a signifié la présidence algérienne dans un communiqué relayé par l'agence de presse officielle (APS), avant d'ajouter que « l'Algérie a décidé de suspendre immédiatement le traité d'amitié, de bon voisinage et de coopération qu'elle a conclu le 8 octobre 2002 avec l'Espagne ». Une annonce qui a été rapidement suivie par un second communiqué signé cette fois par l'Association professionnelle des banques et des établissements financiers (ABEF), qui invite l'ensemble de ses membres à geler les domiciliations des opérations de commerce extérieur de et vers l'Espagne. Une décision qui est censée prendre effet dès le 09 juin. Une nouvelle « escalade diplomatique » qui, rappelons-le, est survenue le même jour que la comparution du Chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, devant le parlement de son pays pour réitérer son appui à la proposition d'autonomie marocaine et tenter de rallier un soutien de sa majorité et du principal parti d'opposition, le Parti Populaire (PP), à la position de son gouvernement. « Le Gouvernement espagnol regrette l'annonce faite par la Présidence de la République algérienne concernant sa décision de suspendre le Traité d'amitié, de bon voisinage et de coopération. Nous continuons à considérer l'Algérie comme un pays voisin et ami, et réitérons notre entière disponibilité à continuer à entretenir et à développer les relations privilégiées de coopération entre les deux pays, au profit des deux peuples », nous a précisé une source diplomatique espagnole autorisée. Depuis, le chef de la diplomatie espagnole, José Manuel Albares, a annoncé, lors d'un point de presse, qu'une « réponse sereine, constructive et ferme est en préparation, pour protéger nos intérêts nationaux et ceux des entreprises espagnoles ». Madrid joue la montre Albares a également tenu à rassurer sur le maintien des expéditions de gaz, sans pour autant infirmer ou confirmer si des contacts ont été établis entre Madrid et Alger. Ce « coup de pression » des autorités algériennes vient faire sauter en éclats la supposée neutralité d'Alger - sur la question du Sahara marocain - qui a décidé d'user de presque l'ensemble des moyens à sa portée pour forcer La Moncloa à revenir à son ancienne doctrine sur le dossier. Seule la carte du gaz reste à abattre pour la présidence algérienne. Pour l'heure, les manoeuvres algériennes ne semblent pas avoir d'effet sur le gouvernement espagnol qui maintient le cap de sa nouvelle feuille de route avec le Royaume. Ce qui est sûr, c'est que le Palais d'El Mouradia tente de capitaliser sur l'hostilité d'une partie du spectre politique et associatif espagnol aux nouvelles positions de La Moncloa, à l'image des partis autonomistes basques et de Podemos (membre du gouvernement), pour tordre le bras à l'Exécutif espagnol, voire même à embourber l'équipe Sanchez dans une crise politique. Quid du gaz ? Reste à savoir si l'Algérie osera utiliser le levier énergétique. Rompre les exportations de gaz vers l'Espagne signifie la rupture de contrats conclus et toujours en vigueur. En plus des sanctions financières européennes qu'elle pourrait provoquer, cette décision est susceptible d'attirer les foudres de Washington sur Alger. Les Etats-Unis tentent, pour rappel, de rallier les pays européens à l'embargo qu'ils ont décrété avec leur allié britannique sur les hydrocarbures russes. Un objectif qui vise, d'un côté, à mettre à mal les finances de Moscou qui, malgré la batterie de sanctions prises à son encontre depuis le début de la guerre en Ukraine, profite de la flambée des cours du pétrole et, de l'autre, permet aux producteurs US de gaz de schiste d'assaillir le marché européen qui, jusqu'à peu, leur était fermé. Il n'empêche que le gaz de schiste nord-américain ne peut, à lui seul, répondre aux besoins énergétiques européens et Washington ne peut se permettre de voir une manoeuvre désespérée du pouvoir algérien à l'encontre de deux de ses principaux alliés dans la région (Maroc et Espagne), venir perturber sa stratégie qui vise à mettre à genoux la Russie. A noter que, contrairement au Royaume qui a opté pour la neutralité dans le conflit russo-ukrainien, l'Espagne a tôt fait de se ranger du côté ukrainien, mobilisant ses forces au sein de l'OTAN et annonçant des livraisons d'armes et d'équipements militaires pour épauler les forces ukrainiennes. Un ensemble de données qui, logiquement, devrait décourager Alger de fermer le robinet à gaz, mais cela est sans compter sur l'imprévisibilité dont a fait preuve le régime algérien depuis la reconnaissance par les Etats-Unis de la souveraineté du Maroc sur ses provinces du Sud. Amine ATER Echanges commerciaux
Que représente le business entre l'Espagne et l'Algérie ?
Selon les données du Secrétariat d'Etat au Commerce espagnol, Madrid est le troisième client des exportations algériennes constituées en majorité d'hydrocarbures et leurs produits dérivés, derrière l'Italie et la France. Des expéditions qui ont rapporté à l'Algérie un peu plus de 2,5 milliards d'euros entre janvier et août 2021. Là où l'Espagne se classe comme le cinquième fournisseur pour le marché algérien derrière la Chine, la France, l'Italie et l'Allemagne, des exportations qui ont rapporté un peu plus de 1,2 milliard d'euros entre janvier et août 2021. Des relations commerciales qui connaissent un trend à la baisse depuis 2017 avec un déficit commercial pour l'Espagne qui n'a cessé depuis. Là où la différence entre importations et exportations espagnoles s'établissait à près de 2 milliards d'euros en 2017, elle est passé à 1,2 milliard en 2018 avant de passer sous la barre du milliard en 2019 et de s'établir à 595 millions d'euros lors de la pandémie, avec la baisse de consommation de combustibles occasionnée par les couvre-feux.