Ce jeudi 24 février de l'an 2022, Poutine, le président russe, décide d'envahir l'Ukraine, pays voisin, avec lequel la Russie partage près de 1730 kilomètres de frontières. Les relations entre les deux pays ont toujours été très tendues, pratiquement depuis la création de la République populaire ukrainienne en mars 1917, dans le cadre de la révolution russe. Elle sépare alors ce pays de la République Russe et deviendront respectivement, en 1918, la République socialiste soviétique d'Ukraine et la République Socialiste de Russie au sein l'URSS. La frontière devient alors une limite administrative interne à cette fédération. Cette frontière sera changée deux fois : en 1954 avec le transfert de l'oblast de Crimée de la RSFSR à la RSSU, puis en sens inverse en 2014 avec le rattachement contesté de la Crimée à la Russie. Le statut international de l'Ukraine sera reconnu, par la communauté internationale courant 1992, dans le cadre de la dislocation de l'URSS le 24 août 1991, date de la proclamation de l'indépendance de l'Ukraine vis-à-vis de l'URSS. La frontière russo-ukrainienne est formellement reconnue par la Russie dans un traité signé avec l'Ukraine en 1994. Au cours des années suivantes, la question de la Crimée posera problème entre les deux pays. À la suite des événements survenus en Ukraine fin 2013- début 2014 et de la crise de Crimée, un référendum, reconnu seulement par la Russie, mène au rattachement de la Crimée à la fédération de Russie le 18 mars 2014. La frontière interne à l'Ukraine entre la Crimée et le reste du pays au niveau de l'isthme de Perekop devient donc de facto une frontière internationale. Néanmoins, ce rattachement et cette nouvelle frontière ne sont reconnus que par la Russie, alors que l'Ukraine et les autres pays considèrent que la Crimée fait toujours légalement partie du territoire ukrainien. A partir de 2014, l'Ukraine construit une barrière de démarcation sur sa frontière avec la Russie. Autre sujet de tension, le litige qui oppose l'Ukraine et la Russie sur la possession des eaux du « détroit de Kertch ». L'Ukraine et la Russie ont signé en 2003 un accord considérant que la mer d'Azov est une mer intérieure partagée entre les deux pays. Mais depuis le rattachement unilatéral de la Crimée à la Russie, celle-ci ne considère plus que le détroit de Kertch comme partagé mais qu'il s'agit de ses eaux territoriales. Cette controverse est à l'origine de l'incident du détroit de Ketch, le 25 novembre 2018, entre les deux marines. Ce bref rappel historique des relations tendues entre la Russie et l'Ukraine, nous a paru nécessaire pour une meilleure analyse de la personnalité de Poutine, et surtout des causes du conflit qui se déroule actuellement entre les deux pays. Plusieurs commentateurs ou analystes politiques en Europe ont allègrement taxé le président russe de « fou », de « paranoïaque », «d'instable» et de bien d'autres «étiquettes» peu élogieuses, qui dénotent une totale méconnaissance du personnage, et d'un réel manque de la capacité d'analyse géopolitique de la crise actuelle. Poutine est féru d'Histoire. La réhabilitation de l'empire russe ne cesse de l'obséder depuis 22 ans, depuis son accession au pouvoir, après avoir remporté l'élection présidentielle anticipée au premier tour, le 7 mai 2000, après avoir assuré l'intérim à la suite de la défection de Boris Eltsine, en 1999. Cet ancien directeur du KGB à Berlin est également un pro du renseignement et de la stratégie. Sa principale stratégie, pour se préparer à ce jour fatidique, a été déployée simultanément sur trois fronts: 1- sur le front militaire, en développant depuis 20 ans et en se dotant du meilleur arsenal et équipement militaires du monde, bien supérieurs à ceux des Etats-Unis ou ceux de la France, ses principaux « ennemis » d'aujourd'hui ; 2- sur le plan économique et financier, en se constituant une belle réserve de plus de 620 milliards de dollars, et en constituant ses avoirs en or, plutôt qu'en dollars ; 3- enfin sur le plan diplomatique, en ne cessant de multiplier des déclarations, à l'intention des Etats-Unis et de l'Europe, contre l'extension de l'OTAN jusqu'à ses frontières, et surtout contre l'intégration de l'Ukraine à l'OTAN. Poutine est devenu très susceptible face au manque de crédibilité que lui accordait l'Europe et surtout les Etats-Unis. L'accélération des adhésions tous azimuts à l'OTAN des anciens Etats membres du « Pacte de Varsovie », entre 2004 et 2020, ont fini par le décider à intervenir aujourd'hui massivement en Ukraine. La République tchèque, la Hongrie et la Pologne sont devenus les premiers anciens membres du Pacte de Varsovie à adhérer en 1999 à l'OTAN. Ensuite survient en 2004, la plus grande vague d'adhésions avec d'un seul coup 7 pays, (Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie et Slovénie). La boucle sera bouclée avec l'adhésion de l'Albanie et de la Croatie en 2009, du Monténégro en 2017 et, enfin, de la Macédoine du nord en 2020. Depuis le sommet de Madrid, en 1997, la Russie se voyait constamment menacée par toutes ces nouvelles adhésions à l'OTAN. L'éventuelle adhésion de l'Ukraine à l'OTAN serait, à coup sûr, le coup fatal à sa liberté de manoeuvre. Poutine, en se déplaçant personnellement à Pékin, lors des jeux olympiques d'hiver, s'est assuré la « neutralité » du président chinois Xi Jinping, à défaut d'un soutien franc et inconditionnel. A travers cette guerre massive et sur tous les fronts, ciel, terre, et mer, l'objectif de Poutine est clair et sans ambiguïté : détruire tout l'arsenal militaire de Kiev, mettre en place un gouvernement ukrainien totalement à la botte de Russie et, surtout, créer une zone tampon entre la Russie et les autres pays membres de l'OTAN. Enfin, amener tous les protagonistes (Ukraine, OTAN, Union Européenne et Etats-Unis) à une table de négociations en vue de signer une convention reconnaissant la neutralité de l'Ukraine. L'ONU, qui semble se débattre entre immobilisme et apathie, aucune partie prenante au conflit, ne semble lui accorder la moindre attention. Pour Poutine, l'invasion de l'Ukraine ne pourra rapporter que des dividendes pour la Russie... quelles que soient les pseudo-sanctions préconisées par Washington et l'Europe. Mohammed LANSARI, diplômé des universités de Paris, Consultant international, Ecrivain Les deuxième et troisième parties porteront sur les questions : II- Quelles sanctions contre Poutine ? III- À qui profite la guerre russo-ukrainienne ?