Au-delà de l'aspect technique, choisir un équipementier pour la mise en place des premières infrastructures 5G dans le Royaume revêt des enjeux stratégiques et géopolitiques. L'adoption de la 5G à travers le monde se dessine comme un enjeu technique difficile à trancher avec, en arrière-plan, un bras de fer géopolitique entre deux géants : la Chine et les Etats-Unis. Si les spécialistes s'accordent sur le fait que la 5G ne constitue pas de danger sur la santé et l'environnement, les théories du complot n'ont pour leur part pas manqué de compliquer encore plus la mise en oeuvre mondiale d'une nouvelle technologie qui promet monts et merveilles. La pandémie du Coronavirus et son impact sur les économies mondiales viennent ajouter leur grain de sel à une situation déjà confuse. C'est dans ce contexte que le Royaume doit actuellement décider de la manière et des moyens techniques d'implémenter une 5G qui se profile comme un train technologique à ne pas rater, faute de quoi, plusieurs secteurs industriels perdront leurs positions compétitives et leurs potentiels évolutifs. « La 5G est un enjeu stratégique qui implique énormément d'applications potentielles, notamment dans le domaine de l'internet des objets utilisée en digitalisation industrielle (industrie 4.0) », explique Younes Haffane, expert en transformation digitale. Un choix stratégique pour l'industrie « Bien entendu, les objets connectés peuvent fonctionner avec la 4G, mais quand il s'agira de prendre des décisions en temps réel, ou de faire un suivi très pointu et très détaillé, il faudra passer à un réseau plus agile et plus performant », souligne l'expert. Pour mettre à profit les avantages qu'offre la 5G, et avant le lancement de l'appel à concurrence pour que les opérateurs téléphoniques présentent leurs offres techniques et économiques, le Royaume devra d'abord trancher la question délicate du choix de l'équipementier qui se chargera de mettre en place les premières infrastructures 5G. « Le choix d'un équipementier pour la 5G est une décision technique qui a des ramifications géopolitiques. C'est un choix auquel font face plusieurs pays (européens notamment) qui n'arrivent toujours pas à se décider s'il faut conclure un deal avec la Chine puisque cela pourrait éventuellement leur créer des problèmes avec les USA », précise Younes Haffane. L'appel du pied de Huawei Si très peu d'informations filtrent à propos de choix du Royaume en la matière, force est de constater que Huawei ne cache pas son ambition d'accompagner le Maroc dans son déploiement. En Janvier dernier, le mastodonte chinois se disait déjà « prêt à travailler avec ses partenaires dans le domaine des télécommunications pour lancer le réseau 5G au Maroc ». Il y a quelques jours, c'était au tour de Chakib Achour, directeur marketing stratégique chez Huawei Maroc, d'affirmer que « l'ambition de l'équipe Huawei Maroc est de permettre le déploiement le plutôt possible du réseau 5G auprès des opérateurs télécoms pour permettre à l'écosystème digital local de booster sa connectivité et profiter pleinement des opportunités technologiques et business liés à l'internet des objets (IOT), le Cloud, la Big Data et l'Intelligence Artificielle ». Le directeur marketing stratégique chez Huawei Maroc a par ailleurs garanti que ce déploiement devrait respecter « la souveraineté numérique du Maroc et protéger les données de ses entreprises et de ses citoyens ». Ericsson tout aussi prêt Si les équipementiers capables d'accompagner un pays dans la mise en place d'infrastructures 5G ne sont pas très nombreux, il en existe au moins deux qui s'intéressent au marché marocain. Comme Huawei, Ericsson a également manifesté sa disponibilité et sa capacité à accompagner la mise en place de la 5G au Maroc. « Notre ambition pour le Maroc est d'accompagner la création d'un système d'écho qui adoptera la 5G comme nouvelle plate-forme de numérisation du pays », avait notamment déclaré Nora Wahby, DG d'Ericsson Maroc. « Nous pouvons affirmer avec fierté que notre équipement peut soutenir progressivement l'introduction de la 5G. La fonction unique de partage de spectre d'Ericsson peut permettre aux fournisseurs de services d'introduire la 5G au-dessus du réseau 4G existant, et de gérer le trafic entre les deux technologies de manière transparente, cela ne peut se faire qu'avec une mise à niveau logicielle », a précisé Nora Wahby. Si le choix définitif marocain de l'équipementier de 5G n'est pas encore clairement établi, son retard laisse cependant présager que la 5G pour tous ne sera pas pour 2021. Oussama ABAOUSS 3 questions à Younes Haffane, expert en transformation digitale « L'utilisation de la 5G sera décisive dans le secteur industriel » Younes Haffane, expert en transformation digitale, a répondu à nos questions à propos de l'implémentation de la 5G au Maroc et des priorités du Royaume en la matière. - Selon vous, une offre de 5G pourra- t-elle apparaître au Maroc en 2021 ? - Je ne pense pas qu'un déploiement de la 5G à grande échelle puisse avoir lieu au Maroc en de si brefs délais. En revanche, il est probable de voir apparaître une implémentation de cette technologie dans des sites spécifiques. - Est-ce que le Maroc a vraiment besoin de la 5G ? - Pour un usage dans la vie courante, la priorité à mon avis devrait être donnée à la numérisation des zones rurales pour réduire la fracture numérique. Mieux vaut consolider et étendre les réseaux existants pour qu'un maximum de nos compatriotes et d'écoles aient accès à Internet. Dans le secteur industriel, l'utilisation de la 5G sera décisive si elle peut aider à réduire les coûts (grâce aux possibilités qu'offre la maintenance prédictive par exemple), donner plus de compétitivité à certains de nos produits industriels et ainsi renforcer le positionnement du Maroc dans certains secteurs. - L'industrie marocaine est-elle prête à tirer le meilleur profit qu'offre la 5G ? - Nos infrastructures industrielles ne sont pas homogènes et donc pas toujours à la pointe de la technologie. En revanche, il y a quelques exceptions : exemple de la Smart- Factory qui vient d'être lancée à l'université Euromed de Fès cette semaine, ou encore des plates-formes dédiées à l'industrie de l'automobile et de l'aéronautique. L'idéal serait d'être sélectif dans le choix des premiers sites de déploiement de la 5G et choisir les plates-formes et industries où le Maroc s'est déjà positionné ces dernières années et où il dispose déjà d'un avantage compétitif. Recueillis par O. A. Encadré Industrie 4.0 : Lancement de «Fez Smart Factory», première usine 4.0 du Maroc Les projets de sites industriels qui auront les capacités de mettre à profit les avantages qu'offre la 5G font doucement leur apparition au Maroc. Le dernier en date - premier en son genre - a été lancé mardi 29 septembre à Fès. Il s'agit du projet de la zone industrielle «Fez Smart Factory» (FSF), qui sera aménagée sur le campus de l'Université Euro-méditerranéenne de Fès (UEMF) et qui est le fruit d'un partenariat entre l'UEMF, le Conseil de la région Fès-Meknès, la branche Fès-Taza de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) et la société Alten Delivery Center- Maroc. Cette zone industrielle sera cofinancée en grande partie par l'Agence Millennium Challenge Account-Morocco (MCA-Morocco) -via un apport du Fonds des zones industrielles durables (Fonzid)- et par la Région Fès-Meknès. Le président de l'UEMF, Mostapha Bousmina, a souligné que ce projet tend à développer une zone industrielle durable « pour répondre aux besoins d'amélioration de la productivité industrielle et des performances environnementales et sociales, par la mise à profit des concepts de l'industrie 4.0 ». FSF sera par ailleurs « composée d'espaces dédiés aux services de transfert de technologie, d'ingénierie, d'innovation et de recherche & développement (R&D) et de recherche technologique (R&T), comprenant un incubateur, un accélérateur de startups, des sociétés d'ingénierie et des entités de R&D et de R&T ». La zone englobera également la première usine modèle 4.0 au Maroc et 93 lots industriels destinés à des usines intelligentes. Repères La course mondiale à la 5G Selon des données publiées par « OMDIA », la Corée du Sud est pour l'instant le pays qui a le plus investi dans le déploiement d'infrastructures 5G. Juste derrière, se trouve la Suisse, avec un taux de couverture en 5G de 90% de son territoire. Viennent ensuite le Koweït, les Etats-Unis, le Qatar et la Chine. Cette dernière déploie en ce moment des milliers d'antennes 5G chaque semaine. En France, les premières enchères de bandes de fréquences 5G se sont déroulées du 29 septembre au 1er octobre 2020. 5G et augmentation des prix des smartphones Selon le cabinet « Counterpoint », les ventes de smartphones dans le monde ont plongé de 23 % en volume au deuxième trimestre 2020 alors que les prix moyens ont grimpé de 10 %. Si la baisse des ventes peut être imputée au contexte pandémique, la flambée s'explique par l'essor de la 5G et par l'introduction dans les terminaux de nouvelles composantes adaptées à cette nouvelle technologie. Avec un prix moyen de 594 dollars, un smartphone 5G coûte ainsi deux fois plus cher qu'un smartphone 4G (294 dollars).