Connu pour son approche singulière situant l'objet dans le contexte de son environnement, le plasticien atypique nous propose à travers sa nouvelle exposition engagée « Kariati Hayati » une nouvelle réflexion citoyenne sur l'art. A voir à la Galerie 121 du 12 septembre au 18 novembre 2018. Projet sociétal par excellence, « Kariati Hayati » s'inscrit dans la lignée des maquettes réalisées par Hassan Darsi : « Le Projet de la maquette », sur le parc de l'Hermitage à Casablanca – aujourd'hui réhabilité – et « Le Square d'en bas », sur le bâtiment Legal frères et Cie – aujourd'hui détruit. Le projet reflète la réalité d'un douar de la région de Benslimane menacé par l'exploitation des carrières, et celle d'une résistance et d'une farouche volonté de braver la fatalité. Une maquette qui se pose comme les précédentes en vis-à-vis d'une situation, pour la signaler autant que pour la contourner. Installation vidéo, "Portraits de familles recomposées", interventions in situ, performances culinaires… autant de jalons qui posent les fondations d'un projet collectif où l'art et la vie s'entremêlent. Hassan Darsi est connu pour avoir développé depuis 25 ans un travail artistique imprégné par son vécu, son quotidien et son environnement, via différents médiums et sous la forme de projets participatifs. Nourri par l'utopie d'une "œuvre d'art totale", qui trouve son sens dans la multiplicité des disciplines de la création, dans l'histoire, la philosophie, la politique et l'actualité, il propose une œuvre qui prend le contre-pied d'un art globalisé et s'inscrit toujours dans des contextes précis et des réalités contemporaines. Parlez-nous un peu de cette exposition un peu atypique. L'expo est un moment arrêté dans un projet qui a débuté au mois de Mars et j'ignore en fait jusqu'au il va aller. Tout dépend de ce qui se passera sur le terrain parce qu'au-delà du volet artistique, il y a le volet socio-économique qui concerne la création d'un jardin. Il s'agit de transformer un village à Benslimane menacé par une carrière en village agro-écologique comme alternative économique. Les habitants de la région sont en souffrance, ils perdent la valeur de leur terrain, c'est nocif pour les enfants et le bétail, donc, l'alternative économique, c'est des jardins agro-écologiques et on a vu que c'était économiquement viables. On a commencé sur des modules de terrain, comme essai et ça marche économiquement, aujourd'hui, ils exportent leurs légumes vers Casablanca. En fait, c'est une sorte d'utopie : de l'utopie à l'art et de l'art à l'utopie, il n'y a qu'un pas et moi, je garde toujours en mémoire les deux dans mes projets. Et dans ce projet, je m'intéresse à comment conjuguer l'art et ma créativité avec des questions qui touchent à la vie !
Qu'est ce qui vous a touché dans ce projet ? Vous savez, j'ai toujours fait cela. Cela fait 30 ans que je travaille au Maroc, j'utilise à chaque fois des médiums, des formes et des combinaisons différents avec toujours le même souci : l'art et la vie, les deux sont indissociables ; l'art, ce n'est pas uniquement des tableaux, c'est la vie. Et donc, on se trouve parachuté dans des projets de cette ampleur qui sont aussi sociaux, politiques, artistiques et humains finalement.
Pensez-vous vraiment que l'art puisse changer les choses ? En tout cas, c'est mon rêve qu'il puisse y parvenir. J'aurais aimé que la politique le fasse aussi pour nous garantir une meilleure qualité de vie et pour notre bien-être commun. Si l'art peut s'inviter à un moment donné, aux tables des négociations, pour amener un moment de poésie, pour pacifier, tout en étant très critique et bien construit, pourquoi pas ? Pour moi, c'est à chaque fois un exercice, de m'ouvrir, de voir quelle forme puis-je inventer en tant qu'artiste pour influer sur mon environnement direct.
C'est important pour vous ce côté engagé ? Dans mes projets, c'est toujours l'humain qui s'exprime avant l'artiste ! Après, l'artiste c'est une méthodologie, une sorte de une contribution par la poésie, par une certaine justesse de la forme, ça accompagne d'autres activités faites par la société civile, il y a aussi les gens qui militent, qui sont engagés autrement via d'autres médiums, par d'autres formes, d'autres moyens d'expression. Sinon, le désir et la quête sont les mêmes : pour le bien être de l'humanité et l'amélioration de la qualité de vie de tout un chacun.
Pour avoir choisi une forme circulaire pour l'une de vos œuvres ponctuée par des mots ? Au départ, les habitants du village m'avaient sollicité pour voir ensemble ce qu'on pouvait faire, car ils étaient contre l'implantation d'une nouvelle carrière sur leur magnifique colline, puisque cela impliquait la fin de toute vie humaine et animale autour ! Ils voulaient alors se faire entendre et rendre public leur parole, et donc, chacun a improvisé un terme, à sa manière, pour nous retrouver avec des termes comme « la lilkariane ». C'est aussi un travail sur l'espace public puisque la parole devient publique. Donc, chaque membre du douar y a laissé une sorte d'empreinte, pour signifier son refus de la chose, dénoncer et protester à sa façon. Moi, par la suite, j'ai juste mis en scène leurs actions. Avec toujours ce souci de l'esthétique ? Oui, pour qu'on puisse passer les choses de la manière la plus belle, la plus poétique et la plus pacifique possible, car on ne voudrait surtout pas engendrer la violence. Ce n'est pas avec la violence qu'on construit, mais plutôt avec la beauté ; c'est en tout cas, mon pari. C'est pourquoi dans tous mes projets, au-delà du côté esthétique, il y a une certaine forme d'intelligence, dans la recherche formelle…Les « artistes » sont des gens qui tendent en quelque sorte le micro, ils sont la voix des sans-voix. Et donc, en tant qu'artiste, j'ai un pouvoir de communication et peut être même de persuasion.
L'art pour vous, c'est quoi ? L'art c'est tout pour moi, c'est mon projet de vie, c'est pour cela que je le mélange, je le télescope, je le fracasse contre des questions qui me dépassent mais c'est un outil formidable, ça dépend comment on l'utilise !