‘Photographe, poète et peintre, Abbas Kiarostami est l'un des réalisateurs iraniens les plus brillants de sa génération. Affranchi des cadres traditionnels, son style singulier mêle émotion, burlesque et esthétisme.' Invité à la 15e édition du festival de Marrakech pour animer une masterclasse, le maître iranien primé à Cannes pour « Le goût de la cerise » (1997) et connu mondialement pour son cinéma poétique et photographique, ne se considère nullement comme un mentor. Et aujourd'hui encore, il estime, malgré les 40 films qu'il a réalisé au cours de sa vie -courts métrages, documentaires et films dramatiques confondus-, que les ateliers qu'il anime sont avant tout une opportunité pour lui de revenir à la position d'apprenti, de rafraîchir son regard sur le cinéma et d'ouvrir ses yeux sur de nouvelles possibilités. L'observateur du Maroc et d'Afrique: Qu'enseignez-vous dans les masterclasses que vous animez ? La première chose que je dis aux futurs réalisateurs est que je ne suis pas un professeur. Je ne détiens aucun savoir, et encore moins une vérité, sur le cinéma. La direction, c'est eux qui la choisissent, pas moi. Je ne fais que les aider à ne pas se tromper de chemin, leur chemin. Reproduire ou copier mon travail n'a aucun intérêt. Mes films, c'est mon voyage à moi et il ne sert absolument à rien de les reproduire. Vous savez, je n'ai jamais été dans une école de cinéma, j'ai étudié les beaux arts en Iran pour devenir peintre, ce que je ne suis jamais devenu. Pendant toute ma vie, j'ai essayé d'expérimenter de nouvelles façons de m'exprimer ; en fait, il n'y a pas des connaissances particulières qu'on doit apprendre, ce n'est pas des mathématiques ou de la science, c'est quelque chose de très personnel qui émane de l'intérieur de la personne, alors les gens doivent puiser à l'intérieur d'eux-mêmes, avoir confiance en eux-mêmes et croire en ce qu'ils produisent. Est-ce que vous avez toujours cette obsession de la voiture? Pour moi, la voiture est une façon de fuir Téhéran, elle est en mouvement perpétuel, contrairement à Téhéran où il y a un trafic incroyable. C'est un endroit intime, confortable où on peut discuter, regarder autour... Vous savez, regarder par la fenêtre d'une voiture, c'est comme dans le cinéma, ce n'est pas parfait, quand vous regardez l'écran, c'est large et c'est dans le mouvement. Quel meilleur écran peut-on rêver d'avoir ? Quand l'écran est carré, ce n'est pas intéressant ! Dans quelles mesures votre formation en peinture a-t-elle influencé vos films ? Depuis que je me suis libéré du fait de raconter des histoires, il y a de moins de moins de narration dans mes films, je me concentre plus sur l'esthétique de l'image, surtout dans mes derniers projets. Peut être parce que je me suis rendu compte de mon incapacité à faire ce que je voulais en tant que peintre, alors je devais compenser cet handicap par ma perception et ma compréhension de l'esthétique de la peinture. En fait, j'essaie de compenser cet échec par l'esthétique de l'image. En comme ça me prend 2 ans pour faire un film, entre-temps, je fais de la photographie, c'est mon moyen d'expression favori, je ne peux passer un jour sans prendre des photos. Les photos sont libres des narrations, c'est juste une sorte de connexion qui s'installe entre vous et le paysage, et c'est peut être ce qui a influencé mes réalisations. Les peintres qui vous inspirent ? Depuis des années, je n'étais pas conscient de ce que j'aimais en peinture, mais tout a commencé avec Van Gogh. A l'âge de 20 ans, je suis tombé amoureux de cet homme, non pas de son travail, mais plutôt de sa vie et son parcours. Je me suis identifié à lui à cause de son background social, de sa manière spontanée de peindre, et de son art pur, affranchi de tout contexte social ou économique. Je me suis rendu compte que si un homme comme lui pouvait devenir un peintre, pourquoi pas moi ? Et donc, ce n'est pas nécessairement le contexte qui vous rend un artiste. Puis, je me suis intéressé à d'autres peintres, ...Récemment, je suis revenu à la peinture, j'ai un projet sur Monet. Je travaille sur une série de photos et de peintures « Monet et moi ». Après 40 ans de carrière, qu'est ce qui vous inspire encore aujourd'hui ? Je n'ai pas fait beaucoup de films, mais peu importe le nombre de films que vous avez réalisés, tant que vous êtes encore en vie, il restera toujours des questionnements et des sujets qui vous interpellent. La seule chose qui peut changer, c'est que, plus vous vieillissez, plus vous réalisez que vous n'avez pas de réponses à vos questions. Donc, il reste beaucoup de choses qui méritent d'être explorées. Qui peut prétendre avoir les réponses à ses questions ? Je crois qu'il y a et aura toujours des sujets qui méritent réflexion. Que pensez-vous du cinéma iranien ? On dit souvent que l'Iran est un pays conservateur. Mais c'est un conservatisme de façade, véhiculé par les médias et promu par les autorités du pays. Si en Iran, certaines pratiques ne sont pas autorisées en public, chacun est libre dans le privé. Le dynamisme du cinéma iranien est dû au fait que plus il y a des restrictions, plus l'énergie créative pour les contrer est puissante. En fait, L'Iran est un paradis pour les réalisateurs, même pour ceux qui sont interdits. Ils sont sensés ne pas tourner ce genre de films et pourtant, ils le font ! Je ne vois pas beaucoup de films iraniens, mais d'après les échos que j'ai autour de moi, la jeune génération est extrêmement active et ce, malgré les difficultés qu'elle peut avoir. Vos projets ? Cela fait trois ans que je travaille sur un projet comprenant 24 courtmétrages de 5 mn chacun. 2 ont été présentés à Marrakech. En parallèle, j'ai entamé la pré-production d'un long-métrage en Chine. Nous tournerons en avril et mai prochain. Le titre serait « Marcher avec le vent » mais ce n'est pas encore définitif. J'ai aussi entamé des recherches sur la poésie persane ancienne et contemporaine et je publie entre 2 et 3 livres par an. J'ai aussi lancé ce mois-ci une exhibition de photographie au musée Aga Khan de Toronto ✱