Mon pays est cet horizon aux plages blanches j'y vois errants des squelettes d'enfants brisés mendiants sur des lumières de maigres tranches de contes qui pourraient enfin les apaiser Ahmed Bouanani De la photographie au cinéma, Daoud Aoulad Syad aura transposé le même univers construit autour d'une double constante : l'amour du pays, celui de l'enfance (lieux, personnages-types, scènes de la vie de tous les jours, paysages, chant, contes, espoirs et rêves brisés) et le désir de l'image. Ce passage de l'une à l'autre de ces deux formes d'expression artistique est, d'une certaine manière, inscrit dans la vie du réalisateur marocain, depuis son enfance : «Pour rentrer à la maison, je traversais quatre fois la place Jamaâ El Fna. C'était notre territoire par excellence. On connaissait toutes les hlaqui, on participait à tous les jeux. Notre halqua préférée, c'était celle de Brahim, celle de la boxe. Dès qu'on y arrivait, Brahim nous mettait des gants, on faisait quelques tours d'échauffement, on se présentait au public, nom, prénom et adresse, et puis on boxait». Mais : «Un jour, le cirque Amar est arrivé place Jamaâ El Fna. Ce qui m'intéressait le plus, c'était la fête foraine autour du cirque. Je m'y attardais avec les copains pour admirer le danseur. De retour chez moi, je m'enfermais dans une chambre, et commençais à danser et à l'imiter devant une glace. Un dimanche, j'étais allé le voir très tôt. Le danseur m'a aperçu en train de l'imiter et m'a demandé de monter sur les planches pour danser à côté de lui. J'étais heureux. Je suis monté, tout le monde on commencé à applaudir. En descendant, le patron m'a donné un dirham, et m'a demandé de revenir le dimanche suivant. Le dimanche d'après le cirque était parti. Ce soir là, j'ai beaucoup pleuré. J'espérais devenir le danseur étoile du cirque Amar». Création cinématographique A en juger par les confessions tardives de l'artiste adulte, il n'y avait point de rupture entre le monde de la halqua et celui de la fête foraine, si ce n'est l'ampleur que prend le désir : devenir danseur étoile, s'exposer au regard fasciné des spectateurs. On peut en dire de même du rapport de Daoud Aoulad Syad à la photographie et au cinéma. Voire, celle-là aura préfiguré, dans son contenu et dans sa forme, sa création cinématographique. Un cinéma peu enclin à la narration, créant plutôt un univers diégétique qui veut monter et non raconter. Il s'agit de susciter le regard du spectateur par des choix techniques et esthétiques confirmés de film en film : vues panoramiques, enchaînement de plans fixes, pratique récurrente de la voix off, choix et construction de décors dotés d'une valeur plastique, dramatisation de la lumière, citation de l'image (photo, imagerie populaire, graffiti…), entre autres. Un cinéma, peut-on dire, de l'espace et non du temps. Le lieu est généralement un huis clos (La mosquée, Tarfaya, porte de la mer, En attendant Pasolini). L'histoire n'y prend jamais une place dominante ; ne se construit jamais autour d'une vraie intrigue. Le drame n'est jamais outré. Les dialogues sont généralement sobres, concis. Un cinéma défini par un sens de la mesure qu'on pourrait imputer à l'acte photographique – lequel est défini par la rigueur du cadrage – mais aussi à une règle de morale et à une rhétorique politique du clin d'œil. Daoud Aoulad Syad ne cesse de mettre en valeur un patrimoine oral marocain fait de chants, de contes, de proverbes, de jeux de mots… Pourtant Daoud Aoulad Syad, et c'est une des lignes de force de son cinéma, ne cesse de mettre en valeur un patrimoine oral marocain fait de chants, de contes, de proverbes, de jeux de mots… Il ne cesse d'évoquer la mémoire de ce patrimoine comme symbole d'une identité et comme matériau de création. Celle-ci étant un des moyens pour la revivification de l'espoir, car celui-ci ne se trouve pas dans la nature ; il se crée. Or créer c'est aussi une façon de croire. C'est là un des messages politiques de En attendant Pasolini. Poésie des titres Le metteur en scène marocain n'ignore pas non plus la puissance évocatrice des mots. La poésie des titres de ses films en est le témoin évident. Mais cette célébration d'un patrimoine oral ne se fait jamais au prix de la dénaturation du langage cinématographique. Tarfaya, porte de la mer et, encore plus, Cheval du vent regorgent de petites histoires, de fragments de chants, de poèmes ; ils défilent dans le film comme des instantanés. Il arrive souvent à Daoud Aoulad Syad de citer sa photographie dans ses films. On retrouve alors, amplifiés sur le grand écran, les mêmes images du cirque, les mêmes scènes de l'enfance, les mêmes portraits, le même regard humaniste, la même tendresse, la même nostalgie tournée vers le futur. On retrouve le même Maroc réel et imaginaire, que sa photographie a immortalisé (voir : Marocains, Boujâad. Espace et mémoire et Territoires de l'instant). Un Maroc ancestral, mais sans le regard folklorique. En ce sens,on peut parler dans le cas de Daoud Aoulad Syad d'un cinéma post -colonial. Un Maroc de l'arrière-pays, dont les Marocains se détournent, par honte ou par méconnaissance, celui de la campagne, des petites villes, des bourgades, du Sud, le Grand Sud, son Sud magnétique. On retrouve finalement le même culte pour l'image, cette magie de la photographie et du cinéma qui consiste à ressusciter les morts, à maintenir vive la mémoire et à susciter l'émerveillement devant les cadavres qui se meuvent devant notre regard, par-delà l'usure du temps. Par Abdelghani Fennane : enseignant universitaire à Marrakech. Co-auteur de Une histoire de la photographie marocaine, à paraître au Cherche Midi et de Penser le corps au Maghreb, IRMC, Tunis.