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L’argent du pétrole africain
Publié dans L'observateur du Maroc le 19 - 04 - 2010


hakim arif
Qui nourrit l’autre ? Est-ce le Nord qui aide le Sud ou est-ce le Sud qui participe au développement du Nord ? La question peut surprendre les puristes des premières théories du développement, elle ne surprendra pas néanmoins les statisticiens. Ces derniers sont capables de nous démontrer que les flux de capitaux du Nord vers le Sud, au titre de ce qu’on appelle l’aide publique au développement, étaient de 100 milliards de dollars alors que les flux en sens inverse étaient de 500 milliards. Chaque fois que le Nord met un dollar d’aide dans la main d’un pays du Sud, il en retire 5. Ceci est désormais chose connue. Dans les transferts Sud-Nord il y a du légal et surtout il y a de l’illégal. C’est cette dernière composante qui laisse songeur. On l’est d’autant plus quand il s’agit de l’Afrique, continent encore empêtré dans les problèmes basiques du développement.
Selon une estimation du Global Financial Intergrity, entre 2002 et 2006, la fuite des capitaux du Sud se situe entre 859 milliards de dollars et 1.06 trillion, voire même 1,8 btrillion par an. Même si on garde l’estimation la plus basse, l’hémorragie est immense. Les champions sont bien sûr des pays où la démocratie est la valeur la moins sacrée, ce qui permet aux dirigeants de se mettre à l’abri du besoin et des coups d’Etat, en alimentant des comptes dans des banques étrangères ou des paradis fiscaux. Une chose est sûre, alors que l’Afrique croule sous les poids de la dette, des études réalisées par Ndikumana et Boyce ont démontré que le continent est devenu créditeur net vis-à-vis du reste du monde. A peine croyable. Et pourtant c’est la réalité. Ainsi, entre 1970 et 2008, l’Afrique a transféré plus de 854 milliards de dollars vers des pays du Nord. Ce montant est suffisant non seulement pour éponger toutes les dettes du continent (250 milliards de dollars à fin décembre 2008), mais aurait pu résoudre pas mal de problèmes liés au sous-développement dont celui de la pauvreté et de la malnutrition. Plus encore, les flux ont augmenté entre les années 70, où ils étaient de 57 milliards de dollars, à plus de 437 milliards de dollars durant la période 2000-2008. Le continent exsangue ne peut que regarder ses ressources s’envoler vers des banques occidentales. Champion de cette hémorragie, le Nigéria a, à lui seul, transféré plus de 54 milliards de dollars durant la période allant de 1970 à 2008. Si certains continuent à se demander à quoi sert l’argent du pétrole algérien, la réponse est simple. Depuis les années 70, le pays a été siphonné pour cumuler en 2008, 26 milliards de dollars. Le phénomène est très intense dans les pays riches en pétrole. C’est le cas de l’Algérie et du Nigéria. Sur le flux total, les pays pétroliers ont transféré illégalement près de 317 milliards alors que les pays non pétroliers n’en ont transféré que 49 milliards de dollars.
L’or n’a pas de couleur
En moyenne, les pays africains exportateurs de pétrole, dont le Nigéria et l’Algérie, ont perdu 10 milliards de dollars par an, très loin des 2,5 milliards perdus par les non producteurs de pétrole. En outre, la moyenne annuelle des fuites de capitaux en provenance des pays subsahariens a notablement cru durant la période 2000-2008. C’est surtout le fait des pays de l’Afrique de l’Ouest et centrale ainsi que des régions du Sud. Preuve aussi que les pays pétroliers sont les principaux acteurs de cet assèchement financier de l’Afrique, l’accélération des transferts est concomitante à l’évolution des prix du pétrole. C’est ici que s’alimente principalement le mal. L’Algérie, le Nigéria et le Soudan sont les premiers touchés par le phénomène. Des pays où l’argent public n’a pas de contrôle et où les citoyens n’ont pas accès aux informations financières de leurs gouvernements et de leurs institutions financières. Des pays où l’or noir n’a finalement pas de couleur. Ni de goût non plus.
Transferts Illégaux Le chancre de la finance
H. A.
Global Financial Integrity» est une ONG très crédible, qui travaille en étroite collaboration avec les institutions internationales telles que la Banque mondiale et le FMI. Ses rapports sont attendus avec impatience par les observateurs.
Son rapport sur les transferts illégaux vise à quantifier les flux liés à une économie parallèle. Ces fonds proviennent soit de détournements purs et simples, soit d’activités mafieuses. Ils sont suivis à la loupe depuis que l’on sait que le financement du terrorisme emprunte ces mêmes circuits.
Le volume global dépasse les neuf cent milliards de dollars. C’est énorme si l’on se réfère aux barrières érigées par les institutions internationales et la volonté affichée par le G 20 de lutter contre le phénomène. Depuis dix ans, le système financier international donne des signaux forts dans sa volonté de lutter contre l’argent sale. Dès lors, les volumes actuels sont encore plus inquiétants.
L’Algérie avec vingt-six milliards de dollars de fonds ayant emprunté ces circuits pour quitter le pays est en bonne place. Ces fonds ne sont sûrement pas le fruit de plus-values réalisées par les entrepreneurs. Le secteur privé est balbutiant et le marché financier inexistant. Ce sont donc des fonds provenant soit de la corruption, soit des détournements, soit des deux.
La nomenklatura algérienne défraie la chronique depuis des années. Les scandales se succèdent, souvent révélés par la presse algérienne elle-même. La rente pétrolière a permis au budget de l’Etat de renflouer les caisses ce qui apparemment a aiguisé les appétits. Les commandes militaires colossales, les projets d’infrastructure et une hypothétique privatisation, tout est soumis à la loi scélérate des pots-de-vin. Cette corruption généralisée, dans un contexte politique sans perspectives, profite aussi d’un système bancaire très éloigné des standards internationaux. «Financial Equity» révèle l’entendue des dégâts dans un pays où les populations ne profitent pas des richesses naturelles.
Le cas algérien
Le nerf du terrorisme
H. A.
Les transferts illégaux dans les pays exportateurs de pétrole ont frôlé les 355 milliards de dollars, dont 219 milliards durant la décennie écoulée. Une extrapolation permet de conclure que 3% du montant global provient de la corruption. L’argent généré par les pratiques criminelles telles que le trafic de drogue, le racket et la contrefaçon représente 30 à 35% des transferts. La palme revient cependant à l’évasion fiscale qui totalise, à elle seule, entre 60 et 65% de ces flux illicites. Global financial Integrity (GFI) estime le manque à gagner à 1.767 dollars de capital à investir par habitant dans les régions d’Afrique du Nord durant les 39 dernières années, à 1.334 dollars en Afrique de l’Ouest et à 1.313 en Afrique centrale. Les flux financiers illicites ont augmenté de manière substantielle durant cette période avec un repli pendant les années 1990, malgré les taux élevés de croissance démographique sur tout le continent, relève le rapport. Une observation toutefois. Les pays qui s’adonnent à ce genre de pratique sont en majorité issus de l’ancien bloc soviétique. Or, tout le monde sait aujourd’hui que le socialisme a été surtout l’occasion pour la nomenklatura d’accumuler des richesses immenses qu’il a fallu blanchir. Un autre fait est important à signaler aussi. La majorité des pays où les flux financiers illicites sont importants sont considérés comme des pays politiquement violents. Le cas de l’Algérie, dont la Sonatrach peut être considérée comme l’acteur politique numéro deux après les généraux de l’armée algérienne, est emblématique à cet égard. Avec toutes ses recettes, elle n’arrive pas à assurer à son peuple les conditions d’une vie décente alors qu’au même moment, elle finance à coups de milliards de dollars des groupes flirtant allégrement avec le terrorisme planétaire. Le polisario n’aurait pu survivre un mois sans cette manne généreuse. Prenant de plus en plus de poids en Algérie, il peut même aujourd’hui écumer le désert saharien et terroriser les populations locales et les touristes. Si maintenant les pays occidentaux affirment qu’il y a une dangereuse instabilité dans la région, ils savent grâce au rapport de GFI que l’origine du mal est là : l’opacité économique qui permet tous les dérapages. Non seulement l’Algérie ne se développe pas, mais en plus, elle dresse d’insurmontables obstacles devant le développement de toute une région. Alors qu’elle aurait pu être en bonne position. La preuve ? Sans pétrole, le Maroc a fait des pas de géant comparativement à sa voisine. L’Afrique ne connaîtra donc jamais le repos ? Pas évident quand on voit tout le massacre financier dont elle fait l’objet. Dans un monde où toutes les guerres sont haïes, il n’est pas néanmoins possible de faire l’économie d’une guerre contre les pratiques douteuses des gouvernants. Le droit d’ingérence devient une nécessité étant donné que ces pratiques sont un danger pour tout le voisinage.


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