Que se passe-t-il entre Alger et Paris? Boycott de facto par le président Bouteflika des personnalités françaises de passage à Alger ; diatribes dans la presse algérienne contre le refus français de «criminaliser le colonialisme» : le froid politique entre les deux capitales sinstalle dans la durée. Politique car, dans le domaine économique, les affaires se poursuivent sans accroc majeur. LAlgérie peut déplorer la frilosité des entreprises françaises à y investir et la France regretter que les contrats gaziers et pétroliers lui échappent. Mais le Parlement français a ratifié le 9 février la convention franco-algérienne de partenariat. Au cur du problème, Tibehirine et Mécili Depuis plus dun an, la crise politique est par contre patente entre ces deux pays qui alternent bouderies, accusations et réconciliations éphémères. Les signes extérieurs de cette tension ne manquent pas. Lincertitude autour de la visite en Algérie de Bernard Kouchner, le ministre français des Affaires étrangères, en est un. Prévue mi-janvier, elle a été reportée pour éviter un fiasco dû à trop de récriminations, parmi lesquelles le soutien français au Maroc dans laffaire du Sahara Occidental. Aura-t-elle lieu en mars, comme le souhaite Paris? Difficile à savoir car le Quai dOrsay navait toujours pas de réponse algérienne au moment où nous mettons sous presse Ce peu dempressement tient à la fois à la crise entre les deux pays et à la personnalité même du ministre. Alger naime guère Kouchner en raison de ses prises de position antérieures sur les droits de lHomme, particulièrement sur laffaire Mécili, le porte-parole de lopposition algérienne abattu en 1987 à Paris sur ordre de la police politique algérienne. Or, ce sont précisément les relances de cette affaire et de lassassinat des sept moines français de Tibehirine pendant la guerre civile de la décennie 90, qui sont au cur de la mauvaise humeur dAlger à lencontre de Paris. LAlgérie sur la liste des pays à risque Les autorités algériennes, habituées à jouir dune impunité totale de la France en la matière, ont très mal accepté larrestation à Marseille en 2008, puis le placement sous contrôle judiciaire de Mohamed Hasseni. Ce diplomate algérien est soupçonné davoir été à lépoque des faits le capitaine de la Sécurité militaire qui a organisé le meurtre dAli Mécili. La réouverture du dossier de lassassinat des moines de Tibéhirine a fini dexaspérer Alger. Alors quil est attribué officiellement aux islamistes des GIA, plusieurs témoins et experts y voient une manipulation des services secrets algériens. La levée du secret défense par Paris sur une partie des documents concernant ce dossier, qui constitue une «première» dans les relations franco-algériennes, ne pouvait donc quinquiéter Alger. Et ce même si les autorités françaises se sont bornées à «déclassifier» les documents portant sur la seule année de leur assassinat (1996). «Provocations» et «tentative de faire pression sur Alger», commente le quotidien El Watan. Un autre contentieux sest ajouté à ce problème de fond: linscription par Paris de lAlgérie sur une liste de six autres «pays à risque», dont le Quai dOrsay et le ministère de lIntérieur se renvoient la balle... Alger y voit une discrimination «insupportable» envers ses ressortissants. Non sans raison, surtout au moment où le calamiteux débat sur lidentité française stigmatisait de facto les musulmans de France. Criminaliser le colonialisme Les autorités algériennes nont pas tardé à riposter. En appuyant sur ce qui fait mal : les questions mémorielles. 125 députés algériens de lAlliance présidentielle ont fait une proposition de loi visant à criminaliser le colonialisme (en poursuivant les responsables de crimes coloniaux devant les tribunaux internationaux et en réclamant des indemnisations pour toutes les victimes algériennes de la colonisation). Officiellement, il sagit dune riposte à la (scandaleuse) loi française .de 2005 vantant les «mérites de la colonisation»! Mais cela ne trompe personne : cest un «message» de très mauvaise humeur dAlger. Les maladresses de certains ministres français ont évidemment donné du grain à moudre à la presse algérienne. A commencer par Eric Besson qui a osé intervenir sur cette question alors quil est perçu comme celui qui a soufflé sur les braises jamais éteintes du racisme avec son débat sur «lidentité nationale». Résultat : une visite de Abdelaziz Bouteflika à Paris est désormais dautant plus improbable à court terme que le président algérien tenait à être celui qui «obtenait» de la France une reconnaissance des méfaits du colonialisme. Or on voit mal Nicolas Sarkozy se risquer à cet exercice alors quil y est hostile et à moins de deux ans de lélection présidentielle de 2012 ! Persona non grata Signe dagacement du chef de lEtat algérien? Témoignage de son état de santé précaire? Ou les deux ? Les personnalités françaises de passage à Alger - de Pierre Joxe à Edith Cresson - doivent se contenter dune rencontre avec des ministres algériens ou, au mieux, avec le chef du gouvernement. Quant à Eric Besson et Brice Hortefeux, les ministres de lImmigration et de lIntérieur, ils y sont carrément persona non grata La récente réquisition dun non lieu du Parquet de Paris en faveur de Mohamed Hasseni dans laffaire Mécili apaisera-t-elle cette crise? Pas sûr. Car la réouverture du dossier Tibehirine inquiète Alger autant, si ce nest plus. Or celui-ci est, du fait de lémotion quil provoqua, moins facile à clore que celui de lassassinat dun opposant. La polémique avec lancien colonisateur a un autre intérêt: détourner lattention de la situation intérieure au moment où on assiste à de grandes grèves dans presque tous les secteurs et où les autorités cherchent à étouffer toute contestation. Pour la première fois, la gendarmerie est intervenue deux fois en une semaine dans les locaux de lassociation SOS Disparus sans aucun ordre de mission officiel.