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Affaire Jaidaa : Le profil psychologique du pédocriminel
Publié dans L'observateur du Maroc le 17 - 03 - 2025

L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Comment les personnes les plus proches peuvent-elles devenir les prédateurs les plus redoutables ?
Dr Mohammed Houbib
Mohammed Houbib : Pour comprendre ce basculement, il faut revenir à la dynamique psychologique et criminologique qui sous-tend ce type de comportement. Les travaux de John Bowlby sur la théorie de l'attachement sont fondamentaux pour comprendre ce phénomène. Bowlby a démontré que le développement du lien d'attachement dans la petite enfance façonne la manière dont une personne va établir des relations tout au long de sa vie.
Lorsqu'un enfant grandit dans un environnement marqué par la négligence, la maltraitance ou l'instabilité émotionnelle, il développe ce qu'on appelle un attachement désorganisé. Ce type d'attachement se traduit par une difficulté à établir des relations saines et une tendance à rechercher le contrôle dans les relations intimes. Dans le contexte incestueux, l'agresseur est souvent animé par un besoin de contrôle absolu. L'enfant est une cible facile, car il est vulnérable, dépendant et souvent incapable de comprendre la gravité de la situation. La proximité familiale crée une opportunité pour l'agresseur d'exercer une emprise psychologique sur la victime.
Le tueur de Jaidaa, qui est son oncle, a avoué lors des interrogatoires qu'il préparait son attaque depuis longtemps...
Effectivement ! Finkelhor, dans ses travaux sur les abus sexuels intra-familiaux, explique que l'agresseur met en place un processus de « grooming », c'est-à-dire une stratégie de manipulation progressive. Il commence par instaurer une relation de confiance avec l'enfant, puis banalise les gestes abusifs en utilisant la peur, la honte ou la culpabilité pour maintenir le silence de la victime. L'enfant, pris dans cette dynamique d'abus, n'a souvent pas les ressources psychologiques pour se défendre ou pour alerter un adulte de confiance.
Jaidaa, un énième drame...
La psychopathie et les troubles de la personnalité antisociale jouent également un rôle clé. Robert Hare a montré que les agresseurs sexuels intra-familiaux présentent souvent des traits psychopathiques : froideur émotionnelle, absence de remords, manipulation et incapacité à ressentir de l'empathie. Dans ce contexte, l'enfant est perçu comme un objet, un moyen de satisfaire une pulsion ou un besoin de domination, sans que l'agresseur n'éprouve le moindre conflit moral. C'est pourquoi ces crimes sont souvent commis de manière répétée, car l'agresseur ne ressent ni culpabilité ni honte après l'acte.
Pourquoi certains pédophiles tuent-ils leurs proies ? Simple précaution, remords, sursaut de conscience ou incapacité à assumer leurs actes et à affronter leur victime par la suite ?
Pour comprendre pourquoi certains agresseurs tuent leur victime après l'agression, il faut revenir à la dynamique criminelle et psychologique du passage à l'acte. D'abord, il y a la logique de protection : l'agresseur sait que la victime peut le dénoncer, donc la tuer devient une stratégie pour éliminer le risque de poursuites. Ensuite, il y a le phénomène de panique post-acte. Après avoir agressé sexuellement la victime, l'agresseur est confronté à la réalité de son crime.
Cette prise de conscience peut provoquer un état de panique, une déconnexion de la réalité, ce qui le pousse à agir de manière impulsive et violente. Enfin, il y a la volonté de contrôle ultime. L'agression sexuelle est un acte de domination et le meurtre devient le dernier acte de contrôle absolu. En tuant la victime, l'agresseur s'assure qu'elle n'aura jamais la possibilité de lui échapper ou de témoigner contre lui.
Dans le cas de Jaidaa, la combinaison de ces facteurs est évidente. L'agresseur, par le fait même d'être un proche, savait qu'il risquait d'être identifié rapidement après l'agression. La panique et le besoin de contrôle l'ont probablement poussé à éliminer la victime pour effacer ses traces et maintenir sa domination. Ce type de comportement est caractéristique des profils psychopathiques où la victime est perçue comme un objet et non comme une personne à part entière.
Dans l'affaire de Jaidaa et des cas similaires de crimes incestueux doublés de meurtres, comment la famille pourrait-elle survivre à de tels drames familiaux ?
L'impact sur la famille dans ce genre de drame est dévastateur. Perdre un enfant est en soi une épreuve psychologique immense ; mais lorsque la mort résulte d'un crime incestueux, le traumatisme est décuplé. La famille est confrontée à une double trahison : la perte de l'enfant et la révélation de la nature incestueuse du crime. Les parents, en particulier, peuvent développer un sentiment intense de culpabilité, se reprochant de ne pas avoir vu les signes ou de ne pas avoir protégé l'enfant.
Les frères et sœurs survivants sont également touchés. Le sentiment d'insécurité s'installe dans la famille, car l'agresseur était une figure censée représenter la protection et la sécurité. La dynamique familiale s'effondre, souvent avec des divisions internes profondes : certains membres de la famille peuvent défendre l'agresseur, d'autres chercheront à le condamner. Ce type de conflit interne fragilise encore plus la cellule familiale et complique le processus de deuil.
Quel soutien psychologique pourrait être apporté aux familles suite à de tels traumatismes et dispose-t-on au Maroc de cellules de soutien psychologique dans les tribunaux ?
Sur le plan psychologique, la prise en charge doit être rapide et spécialisée. Judith Herman, dans ses travaux sur le traumatisme complexe, insiste sur l'importance d'une intervention immédiate dans les premières 72 heures après le drame. La thérapie individuelle permet de stabiliser le choc émotionnel, mais elle ne suffit pas. La famille a besoin d'une thérapie systémique pour rétablir la communication, reconstruire la confiance et recréer un sentiment de sécurité. Les frères et sœurs survivants doivent également être suivis pour éviter le développement d'un stress post-traumatique chronique.
Au Maroc, la prise en charge psychologique des victimes de crimes sexuels est encore limitée. Certains tribunaux disposent de cellules de soutien psychologique, mais leur couverture reste insuffisante. Les associations comme AMANE ou INSAF offrent un soutien spécialisé aux victimes d'abus sexuels, mais ces structures sont souvent débordées et sous-financées. Il faudrait renforcer le cadre juridique de protection de l'enfance, notamment en instaurant un système de signalement obligatoire pour les cas de suspicion d'abus intra-familial.
De plus, la formation des psychologues et des travailleurs sociaux à la gestion du trauma complexe et des violences sexuelles est essentielle. Le Maroc doit également renforcer la coopération entre les services de santé mentale, le système judiciaire et les associations de soutien pour créer un cadre de prise en charge pluridisciplinaire. En résumé, le cas de Jaidaa illustre une faille systémique dans la protection de l'enfance au Maroc.
L'agression et le meurtre dans un contexte incestueux révèlent un déficit dans la prévention, la prise en charge des victimes et la gestion des agresseurs. La réponse doit être globale : prévention par l'éducation à la protection, renforcement des dispositifs de soutien psychologique, amélioration du cadre juridique et formation des professionnels de la santé mentale. Ce type de crime est évitable si la société marocaine met en place une réponse structurée et adaptée.


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