Outil pédagogique, le guide précise les gestes et les actions à faire ou à ne pas faire en cas d'agression sexuelle. Il doit permettre à la victime de faire valoir ses droits. Il sera distribué dans les cellules d'accueil dans les hôpitaux, à la Police judiciaire et à la Gendarmerie royale. Comment prendre en charge un enfant victime d'une agression sexuelle ? C'est la question à la quelle ambitionne de répondre l'association «Touche pas à mon enfant» à travers un guide qu'elle vient de publier. Pour Najat Anwar, sa présidente, «ce guide a pour vocation de remplir un vide dans le processus d'accueil d'enfants victimes d'abus sexuels. C'est un protocole sommaire d'aide en faveur de ces enfants». En effet, souvent les victimes et leurs familles n'arrivent malheureusement pas à faire valoir leurs droits et à se défendre. Quotidiennement sur le terrain, Leila Aboulwafa, assistante sociale de l'association «Touche pas à mon enfant», déplore «la méconnaissance des premiers gestes et des premières actions à entreprendre qui prive la victime de la possibilité d'apporter des preuves pour se défendre. Ainsi, à titre d'exemple, une mère qui lave les vêtements de son enfant agressé ou qui lui fait prendre une douche élimine toutes traces de l'agression. Il faut sensibiliser les familles pour punir les coupables»... Fruit de plusieurs années de travail, le guide vient donc d'être édité et est distribué dans les centres d'accueil des femmes et des enfants victimes de violence des hôpitaux, dans les commissariats de police, à la gendarmerie et dans les divers centres d'écoute de l'association mais également dans les associations qui s'intéressent à cette problématique. «Ce guide apporte des réponses aux questionnements des familles sur des points pratiques. Il est édité en arabe, en français et en amazigh afin de permettre un large accès aux populations. L'ambition est de sensibiliser aux premiers gestes qui sont déterminants dans la prise en charge globale d'un enfant abusé sexuellement», avance Chakib Guessous, médecin radiologue, socio-anthropologue et un des rédacteurs du guide. Comment prend-on en charge un enfant victime de violence sexuelle ? «Il faut dire qu'aujourd'hui beaucoup de chemin a été parcouru à ce niveau. Le Maroc a fait un grand pas puisque aujourd'hui nous pouvons dire que la pédophilie n'est plus un tabou. On peut en parler et même en débattre et cela est un premier pas dans la prise en charge», explique Dr Guessous. Abondant dans le même sens, Najat Anwar estime que «la prise en charge doit commencer par l'écoute des familles et des victimes parce qu'elles sont perdues et ont besoin d'un soutien avant d'entamer les phases médicales et juridiques de la prise en charge». Toutefois, il importe de souligner, selon Chakib Guessous, que l'agression sexuelle demeure encore un tabou dans deux cas: premièrement lorsqu'il s'agit d'inceste et deuxièmement lorsqu'il y a une grossesse. «Dans ces deux cas, les familles, et en particulier les mères, cachent l'affaire et finissent même par la lâcher, refusant d'aller en justice. Nous avons eu plusieurs cas et ce comportement se justifie par les conséquences sur la famille. Car l'inceste ou une grossesse d'une fille abusée sexuellement aboutit le plus souvent au divorce des parents, la fuite de la victime et donc l'éclatement de la famille», raconte Chakib Guessous. La maison, l'école ou le lieu de travail, des lieux à haut risque... Et d'ajouter que «la pédophilie a toujours existé au Maroc, ce n'est pas un phénomène récent. Sauf qu'aujourd'hui, on peut en parler grâce aux associations et à la société civile». Cependant, il est encore difficile, faute de statistiques officielles, de quantifier ce phénomène. Une faille que dénonce la président de l'association Touche pas à mon enfant qui dit avoir sollicité, à maintes reprises, «les pouvoirs publics ainsi que diverses instances pour la réalisation d'une étude sur les agressions sexuelles. Malheureusement, jusqu'à l'heure, rien n'a été fait. Au niveau de l'association, nous avons un indicateur, à savoir le nombre d'appels reçus au niveau de notre numéro vert. On enregistre trois à quatre appels par jour à Casablanca et Agadir par exemple, mais cela ne nous permet pas d'avoir une évaluation exacte». Par ailleurs, selon des ONG, on enregistre le viol de 26 000 enfants par an au Maroc. Soit une moyenne de 71 enfants par jour... Ce chiffre est-il l'indicateur d'une augmentation notoire des actes pédophiles ou bien alors signifie-t-il que le tabou est bel et bien tombé ? Dans le milieu associatif, on estime que ces deux hypothèses peuvent être retenues. Au centre d'écoute de l'association Touche pas à mon enfant, on constate que les familles viennent en parler plus facilement et pour solliciter de l'aide, mais on constate également la multiplicité des cas de violences sexuelles. Pour Leila Aboulwafa, les agressions ont souvent lieu, et par ordre d'importance, à la maison, sur le lieu de travail des enfants, à l'école ou encore dans les colonies de vacances et les clubs de sports. Le profil de l'agresseur est très souvent un proche de l'enfant (un parent ou un voisin) ou une personne qui a autorité sur l'enfant, notamment l'instituteur, le directeur de l'école, un encadrant ou encore la nounou chargée de garder l'enfant en l'absence des parents. Confirmant ce profil de l'agresseur, Chakib Guessous note par ailleurs que «ces liens de proximité font que le plus souvent les agressions sont tardivement déclarées. Car la mère ne croit pas l'enfant, laisse passer le temps, a peur d'en parler mais lorsque les actes sont répétitifs ou bien qu'elle surveille elle-même l'agresseur, elle finit pas dénoncer et recourir à la police». Mais parfois, le temps efface certaines preuves tangibles de l'agression et il devient difficile de défendre les droits de la victime. C'est pour cela que le guide de l'association préconise une dénonciation rapide de l'acte, une écoute attentive de l'enfant, de le rassurer, de se rendre d'urgence à l'hôpital et de décider de la démarche à entreprendre. L'association Touche pas à mon enfant assure un accompagnement des victimes auprès des cellules de la Femme et de l'Enfant dépendant de l'hôpital. Un partenariat a été mis en place avec le ministère de la santé pour faciliter l'accueil et la prise en charge médicale des victimes. L'association accompagne également les victimes auprès des tribunaux en collaboration avec les cellules siégeant au niveau du parquet, de la Police judiciaire et de la Gendarmerie royale. Par ailleurs, l'association, dotée du statut d'utilité publique, peut se constituer partie civile. De ce fait, elle ne peut mesurer l'ampleur globale de la pédophilie, car elle ne peut tenir en compte que les affaires qui transitent par ses structures. Toutefois, il importe de noter que la victime et ses proches vivent un double traumatisme : d'abord celui de l'agression en elle-même et ensuite celui de la difficulté à faire valoir leurs droits. Sans avancer des statistiques, l'association précise que peu d'affaires connaissent un dénouement juridique. Souvent, les familles, et en particulier les mamans, abandonnent la procédure judiciaire en cours de route. Absence de preuves, difficulté de témoignages, coût des procédures et des transports, éloignement géographique et enfin pression sociale. «Souvent les familles décident de déménager suite à l'agression, fuyant le scandale et le regard des voisins», souligne Mme Aboulwafa. L'association lancera bientôt un kit pédagogique pour la prévention Outre les difficultés précitées, les actions en justice connaissent également une autre limite non moins importante : l'absence de juges spécialisés. Si la loi est claire et prévoit une peine de deux à 30 ans ferme à l'encontre de l'auteur d'une agression sexuelle contre un mineur selon le code pénal marocain (de l'article 484 à 487), son application laisse à désirer... La condamnation de l'agresseur varie d'un tribunal à l'autre et en fonction du juge et de sa formation. Il faut noter que le verdict peut être indulgent tout comme il peut être sévère. Parfois, dit-on dans le milieu associatif, «lorsque l'affaire est médiatisée et qu'il y a une pression sociale, le juge veut donner l'exemple pour dissuader d'autres agresseurs. Mais ce n'est pas ce qui est demandé, il faut une application uniforme de la loi pour éviter une recrudescence des actes de violence sexuelle et venir à bout, peut-être, de ce fléau qu'est la pédophilie». Et c'est par des actions préventives, il faut le dire, que l'on pourrait contrer les agresseurs. Et Najat Anwar en est consciente : «C'est pour cela que l'association a approché plusieurs départements ministériels pour mener des actions conjointes mais nous attendons toujours... sauf pour le ministère de la santé qui a été réactif, ce qui a permis de mettre en place des cellules au niveau des hôpitaux pour l'accueil et la prise en charge des victimes et de leurs familles». Et c'est parce qu'elle est consciente de l'importance de la prévention que l'association a préparé un kit pédagogique qui devrait être incessamment distribué dans les écoles. Car si le guide éclaire sur le comment de la prise en charge d'une victime, il faut permettre aussi aux familles de savoir comment protéger un enfant d'un abus sexuel qui, le plus souvent, provient de son milieu familial et de son proche entourage... [tabs][tab title ="Ce que dit le guide..."]Fruit de trois années de travail et de quatorze ans d'expérience sur le terrain, le guide pour la prise en charge des enfants victimes de violence sexuelle définit tout d'abord cette violence qui peut être un harcèlement, des attouchements, le viol, la prostitution infantile, la pédopornographie ainsi que les mutilations génitales même s'il n'y en a pas eu au Maroc. Le guide sensibilise aussi les familles sur le fait que les auteurs présumés de ces actes peuvent être des proches et que la violence sexuelle peut provenir de l'intérieur de la famille, à l'école ou au travail. Quels premiers gestes faut-il adopter face à un abus sexuel ? Le guide conseille de garder son sang-froid, de contacter l'association spécialisée, conduire la victime aux urgences, ne pas laver l'enfant, ne pas laver ses vêtements, le mettre en confiance, ne pas le harceler de questions, le rassurer et décider de la démarche à suivre pour punir l'agresseur. Le guide détermine les trois volets de la prise en charge après la détection ou la suspicion de violence sexuelle : contacter l'association, démarrer la triple prise en charge juridique, médicale et psychosociale. Par ailleurs, il fixe les étapes de soins et d'accompagnement des enfants victimes : l'hôpital, le procureur général du Roi et le soutien psychologique. Ce qui doit aboutir à une action en justice sur la base de documents médico-légaux et suivi social. L'association ne dispose pas de centre d'hébergement, mais lorsque l'enfant ne peut repartir avec sa famille, il est hospitalisé pour une courte durée et en cas d'une impossible réintégration familiale, il est placé, sur décision judiciaire, dans une institution spécialisée. Enfin, le guide apporte un éclairage sur les conséquences des abus sexuels: il y a les conséquences immédiates (plaies, blessures, défloration, grossesse, maladies sexuellement transmissibles, tentatives de suicide), les conséquences durant l'enfance (addictions aux drogues, troubles du comportement, abandon scolaire, prostitution ou encore baisse de l'estime de soi) et enfin des conséquences à l'âge adulte, notamment le tabagisme, l'alcoolisme, la phobie sociale, l'échec de la vie de couple, la tendance à la dépression.[/tab][/tabs]