Najat Anwar, présidente de l'association «Touche pas à mon enfant», déplore le faible nombre de psychologues présents dans les hôpitaux publics des grandes villes pour accueillir les jeunes victimes de sévices sexuels, quand les établissements ruraux, eux, en sont totalement dépourvus. Interview. L'association «Touche pas à mon enfant», reconnue d'utilité publique (décret n° 2-15-244), a lancé samedi 10 juin à Casablanca le premier Guide de prise en charge des victimes de pédophilie. Des formations seront également dispensées aux acteurs associatifs cantonnés aux milieux ruraux. Pourquoi avoir lancé ce guide ? Quelles sont les difficultés auxquelles sont confrontées les familles dont un enfant a été victime d'agression sexuelle ou de viol ? On a décidé de lancer ce guide après toutes ces années de travail, à partir de 2004 (date de la création de l'association, ndlr) jusqu'en 2017, sur la problématique des maltraitances sexuelles à l'égard des enfants. Au regard de l'expérience qu'on a acquise et des problèmes auxquels sont confrontées les familles des petites victimes, on a décidé de mettre à leur disposition un guide simple et facile en trois langues - arabe, français et tamazight - pour que ces familles puissent suivre un circuit rapide et efficace pour une meilleure prise en charge des enfants victimes de sévices sexuels. Ce guide a été élaboré par nos équipes bénévoles, qui comprennent des assistants sociaux, des psychologues, des avocats, des psychiatres et des militants. Dans un premier temps, il explique comment repérer un enfant victime de violences sexuelles. Certains symptômes doivent en effet amener la famille à s'interroger. Souvent, les parents sont perdus, ils ne savent pas comment réagir, par où commencer, qui aller voir… Parfois, ils ont tendance à laver l'enfant pour effacer les tâches, notamment les traces de sperme, chose qu'il ne faut jamais faire : si on est à proximité d'un hôpital, il faut emmener l'enfant directement sans le laver afin que les traces du crime soient conservées. Ce sont des preuves majeures qu'il faut garder. Le guide oriente ainsi les victimes et leur famille en leur apportant un soutien juridique et en les dirigeant vers les cellules disponibles dans les hôpitaux ou les tribunaux, d'autant qu'on remarque que les suivis psychologiques manquent, c'est pourquoi nous insistons sur leur nécessité. Avec l'appui de l'INDH (Initiative nationale pour le développement humain, ndlr), notre partenaire pour les formations, nous allons essayer de toucher toutes les couches, toutes les associations. De plus en plus sont d'ailleurs intéressées par ce combat contre la pédophilie. Certaines travaillent avec nous sur cette problématique, mais chacune procède à sa manière. Ce guide va donc mettre à leur disposition une formation via les outils de communication en ligne, à savoir les réseaux sociaux et les applications mobiles en VoIP, notamment WhatsApp et Skype. C'est une première au Maroc. Justement, comment s'articuleront les formations que vous allez dispenser ? Il s'agit de toucher un plus grand nombre de travailleurs sociaux, de personnes en contact avec les enfants et d'associations, notamment celles qui sont dans les campagnes, loin des villes. La pédophilie est un problème qui concerne tous les enfants ; aussi bien dans le monde rural qu'urbain. Tout d'abord, les bénéficiaires vont télécharger le guide ; c'est la première des choses. Ils vont le lire et poser des questions. Des équipes spécialisées seront disponibles pour y répondre et leur expliquer la manière la plus efficace de prendre en charge un enfant victime de violences sexuelles. Il faut également leur expliquer que ces enfants ainsi que leur famille ne doivent pas être exposés à visage découvert. Certaines personnes qui gèrent des sites «interviewent» les enfants ou leurs parents et publient les vidéos telles quelles, sans les flouter. Les familles en souffrent beaucoup ; certaines songent même à déménager. On se trouve donc face à un deuxième problème auquel ce guide compter pallier. C'est très, très, très important de laisser ces enfants tranquilles. Najat Anwar, présidente de l'association «Touche pas à mon enfant». / DR Quels sont les préjugés et les stigmates sociaux dont les mineurs abusés sexuellement font l'objet ? Parfois, les préjugés émanent d'autres camarades de leur âge, qui ne le font pas consciemment. Il y a les regards mal placés qui en disent long, atteignent la psychologie de l'enfant et le fragilisent. C'est la mentalité de notre société. Nous travaillons tous les jours pour essayer d'inverser la machine. Nous avons d'ailleurs besoin des médias pour y arriver. Quelles réformes juridiques doivent être opérées pour lutter contre la pédophilie? Ce que nous souhaitons, en tant qu'ONG reconnue d'utilité publique, c'est une harmonisation des textes de loi marocains avec les conventions internationales ratifiées par le Maroc et la Constitution de 2011. Je ne vais pas parler de textes de loi, mais je demande à ce que soit appliqué ce qui a été dit dans la Constitution. Ce guide est aussi destiné au corps médical et au personnel de santé. Comment ces derniers peuvent-ils améliorer l'accueil et la prise en charge des victimes ? Dans le cadre du partenariat de l'association «Touche pas à mon enfant» avec le ministère de la Santé, nous avons déjà travaillé avec le corps médical il y a plusieurs années, notamment sur la mise en place de cellules de prise en charge. Il faut que ces enfants bénéficient d'un maximum de soins et de suivis psychologiques. Le problème, c'est que ces suivis ne sont pas suffisants ; il n'y a pas assez de psychologues par rapport au nombre d'enfants qui ont besoin d'être écoutés, épaulés. Soit il y en a trop peu, soit il n'y en a pas du tout. Les quelques psychologues sont dépassés ; ils ne peuvent pas accorder suffisamment de temps à chaque enfant. C'est un problème qui touche les grandes villes. Dans les petites villes, c'est pire : il n'y a tout simplement pas de psychologues dans les petits hôpitaux. C'est sur ce point-là qu'il faut vraiment insister. Les engagements du Maroc Le Maroc a ratifié, le 12 juin 1993, la Convention internationale sur les droits des enfants, adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 20 juin 1989, précise le ministère de la Famille, de la solidarité, de l'égalité et du développement social. Cette Convention comporte 54 articles et deux Protocoles facultatifs. Parmi les droits qu'elle soutient, le droit inhérent à la vie ; la survie et le développement de l'enfant ; le droit à la protection et la participation dans la famille et dans la vie sociale et culturelle. En janvier 2013, le conseil de gouvernement a adopté trois projets de loi portant approbation de conventions européennes se rapportant à la protection des enfants, dans le cadre du partenariat entre le Parlement marocain et le Conseil de l'Europe, rappelle Le Matin. Il s'agit de la Convention européenne sur l'exercice des droits des enfants, faite à Strasbourg le 25 janvier 1996 ; la Convention sur les relations personnelles concernant les enfants, conclue le 15 mai 2003 et la Convention du Conseil de l'Europe pour la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels, établie à Lanzarote le 25 octobre 2007. Enfin, l'article 32 de la Constitution de 2011 «assure une égale protection juridique et une égale considération sociale et morale à tous les enfants, abstraction faite de leur situation familiale».