Exit les chaînes éditoriales d'hier, bonjour une littérature qui voit large – arabe, amazighe, française, et un soupçon d'extras. Du 11 au 13 avril, sous la coupole du Grand Palais, le Maroc pose ses 330 m2 de pavillon, entre vague atlantique et modernité. Programme : Zellige pour les mômes, joutes littéraires pour les grands, et un océan de talents. Suivez La Vie éco sur Telegram Le Maroc débarque en guest-star au Festival du livre de Paris 2025, du 11 au 13 avril, et il n'y va pas avec le dos de la cuillère. Sous les verrières du Grand Palais, le pays déploie un pavillon de 330 m2, pensé comme une escale entre tradition et modernité, avec la mer pour fil conducteur – un clin d'œil à son riche patrimoine maritime et à ses rêves d'avenir durable, d'innovation et de hub éditorial africain. À l'heure où ses plumes s'affranchissent des tutelles européennes et orientales d'antan, cette 4e édition braque les projecteurs sur une littérature qui joue les funambules entre arabe, amazigh, français et même, de plus en plus, anglais et espagnol. «Un Maroc littéraire insoupçonné, multiple et dynamique», clament les organisateurs, fidèles à une vocation de civilisation du livre. Pluralité ? On dirait le mot d'ordre. Le pavillon marocain, c'est le riad 2.0 du festival : un carrefour culturel vibrant, décliné en cinq espaces thématiques. L'espace de l'Histoire maritime embarque le curieux dans le passé atlantique et méditerranéen du pays, avec des cartes anciennes et des récits de navigateurs; l'espace Hiwar ouvre un ring pour des duels verbaux entre auteurs, éditeurs et public; l'espace Dédicaces met les écrivains en lumière; l'espace Jeunesse enchante les petits avec contes et ateliers zellige; et l'espace Editeurs et librairie fait briller un secteur en pleine effervescence, porté par des maisons d'édition dynamiques qui publient en toutes langues et exportent les voix marocaines sous d'autres cieux. Un concentré de Maroc, entre héritage et ambition, où la mer – cette «double façade» méditerranéenne et atlantique – interpelle l'inconscient historique et littéraire, tiraillé entre montagne, désert et océan, comme le souligne Mohamed Mehdi Bensaid, ministre de la Jeunesse, de la culture et de la communication. Dans un éditorial baptisé «Le Maroc, une culture au pluriel», Bensaid célèbre une amitié franco-marocaine «enracinée dans la culture», avec la langue française comme trésor partagé, vecteur de dialogue et de création. Paris, capitale du livre, se mue le temps du festival en carrefour des «littératures déterritorialisées», ouvertes aux vents afro-européens, esquissant une francophonie libérée de ses chaînes, jeune et immémoriale. La mer, thème phare de cette édition, n'est pas qu'un décor : elle symbolise les liens historiques, économiques et culturels du Maroc avec l'Atlantique, et notamment avec la France, deux nations unies par cet océan et une flopée de collaborations littéraires, cinématographiques et artistiques. Le menu ! Le coup d'envoi donne le la avec Le Voyage de Pois Chiche, un spectacle bilingue où H'mimsa, gamine rebelle de la tradition marocaine, largue les amarres des «fais pas ci, fais pas ça» pour filer vers l'aventure. Les mômes s'initient ensuite au Zellige, taquinant les motifs géométriques des palais de Fès, pendant que Myriam Jebbor ouvre le bal des rencontres avec La trahison (Editions Le Fennec). L'Institut Royal des études stratégiques dégaine une conférence sur l'océan, cet «enjeu mondial» qu'on a trop snobé – la mer tousse, écoutez-la. Asma Lamrabet enchaîne avec Islam et libertés fondamentales (Editions En toutes lettres), plaidoyer pour une éthique universelle, avant que Salim Jay, Moulay Ahmed El Madini et Fouad Laroui ne s'attaquent aux nœuds de la traduction du roman marocain, coincé entre deux rives. La journée tire sa révérence avec un hommage à Driss Chraïbi pour les 70 ans des Boucs et une performance théâtrale d'Amal Ayouch et Sanae Assif sur les textes de Fatéma Mernissi (Harems). Du pur Maroc. Le lendemain, Kebir Mustapha Ammi dégaine Le Coiffeur aux mains rouges (Editions Elyzad), suivi de Leila Slimani et son J'emporterai le feu (Gallimard), la Marocaine qui secoue les lettres françaises. Les petits tissent des tapis berbères pendant qu'on plonge dans le « destin atlantique » Maroc-France, puis dans l'histoire d'amour-haine des Marocains avec la mer, des corsaires aux ports modernes. Tahar Ben Jelloun arrive avec Ils se sont tant aimés (Gallimard), Saad Khaled claque un slam – «J'écris ce que je ne peux pas crier» –, et Jack Lang, Elisabeth Guigou et Ben Jelloun croisent les regards sur un avenir commun. Khaliya 3, BD tricotée entre Rabat, Paris et Bruxelles, tend un pont entre cultures, tandis que Ghizlane Benjelloun (Être parent, La Croisée des Chemins) et Driss Jaydane (Moïse de Casa, Les Avrils) enrichissent le chœur. Le final s'ouvre sur Rahal Boubrik et sa Question du Sahara (La Croisée des Chemins), avant qu'Une féminité entre deux rives ? ne donne la parole aux romancières pour décrypter la migration au féminin, en deux temps. Le caftan marocain se pavane dans une ode à ses artisans, les mômes s'éclatent avec Zellige et tissage, et Rim Battal (Je me regarderai dans les yeux, Bayard) et Salah El-Ouadie (Itinéraire d'un rescapé du 20e siècle) tiennent la barre. Hommage à Mohammed Khaïr-Eddine, réédité en coffret, puis Polyphonies musicales fait vibrer le pavillon avec gnawa, raï et réinventions sonores – le Maroc qui chante ses racines et ses rêves. Les points sur les i littéraires Cinq grands thèmes rythment le festival. «Le Maroc, un destin atlantique» explore les liens avec la France et l'océan; «Patrimoine marocain au prisme de son pluralisme» revisite une mosaïque culturelle; «Jouer l'écriture» célèbre les passerelles entre littérature et arts vivants; «Eclats d'une écriture engagée» rend hommage aux pionniers comme Chraïbi, El Maleh et Khaïr-Eddine; et «L'édition, un levier d'émergence» met en lumière le rôle des éditeurs dans le rayonnement marocain. Ajoutez des performances poétiques, théâtrales, des slams, des rencontres pro et une expo sur la mer vue par les Marocains, et vous avez un programme qui fait des vagues. Avec ses auteurs-stars, ses ateliers colorés, ses pros du livre – éditeurs, traducteurs, acteurs culturels – et ses débats qui brassent mer, histoire et migration, le Maroc ne joue pas les invités sages. Ce pavillon, c'est une promesse : celle d'une culture en mouvement, qui traverse océans et siècles, et d'une littérature qui ne suit plus, mais trace sa route.