Plus de 200 personnes ont été arrêtées à l'issue des violents actes d'agression physique et de vandalisme perpétrés le 11 avril 2013 en marge du match ayant opposé le Raja de Casablanca à l'AS FAR de Rabat. Commerces, voitures et moyens de transports en commun saccagés, femmes et enfants agressés et supporters grièvement blessés, Casablanca s'est transformé, le temps d'une journée, en vraie arène de combat où la police a particulièrement brillé par son manque de réactivité. «Vous allez crever ! Vous vivrez un remake du match de « Borsaid » en Egypte où des centaines de supporters ont trouvé la mort. Les Rajaouis et les Wydadis vont s'unir pour vous éradiquer. Apprêtez-vous à vivre l'enfer à Casablanca. N'oubliez pas de dire adieu à vos parents avant de venir ». Ce genre de messages postés sur les réseaux sociaux à la veille de la rencontre des Verts contre le club militaire dans le cadre de la Botola annonçait la catastrophe. Mais sans que cela ait mis la puce à l'oreille aux forces de l'ordre qui ne semble pas être très férus des réseaux sociaux. Pourtant, la bataille a commencé sur la toile où on pouvait lire des menaces encore plus incendiaires : « Les Rois (en référence aux militaires) vont massacrer les Casablancais. Comme à son habitude, Rabat signera sa suprématie. Rajaouis et Wydadis n'y verront que du sang. Vous êtes nos esclaves et vous le resterez à jamais. Le fait que vos clubs portent des noms de femmes ne fait que montrer votre niveau. Bande d'homosexuels, de campagnards et d'ignorants, l'enfer vous attends !». De vrais appels à la guerre qui n'étaient pas que virtuels. Le jour J, ce qui ne devait pas arriver, arriva. 11 avril 2013. L'affiche vedette de la 23e journée de la Botola, le Raja contre les FAR, s'est soldée par un partage des points, un but partout. Les militaires ont ouvert le score à la 45e minute avant que les Rajaouis n'égalisent en fin de partie. C'est tout côté sportif. Sauf que les choses ne se sont pas arrêtées là. Avant et après la rencontre, un autre spectacle a été donné, sanglant, terrifiant, désolant… Une foule déchaînée Dès l'après-midi, une vague déferlante de supporters vêtus de maillots aux couleurs rouge, vert et noir s'est abattue sur Casablanca. De la gare Casa-Voyageurs au Complexe Mohammed V, en passant par les grands boulevards et les artères, des centaines de supporters ont semé la panique sur leur passage. Ils détruisaient magasins, vitrines, voitures, cafés. Ils ont même eu la mauvaise idée d'attaquer des habitations de particuliers, particulièrement dans l'ancienne médina. Le tramway n'a pas été épargné, des rames ont été endommagées. Des passants, qui ont eu la malchance d'être au mauvais endroit au mauvais moment, ont été attaqués. Armés de couteaux, de coutelas, de sabres et de toutes sortes d'armes blanches et de pierres, les fauteurs de troubles se sont donné à cœur joie à ce qui semble être leur sport favori en semant la panique partout où ils allaient. Ils ont signé un jeudi noir qui restera dans les annales noires du vandalisme. « Les agresseurs n'ont pas épargné les femmes et les enfants. Imaginez qu'ils faisaient tomber les bébés de leurs poussettes ! Une petite fille de trois ans a été violemment tirée des bras de sa maman par des supporters déchainés qui l'ont poussée au milieu de la foule. C'est incroyable !», pleure la tenancière d'une boutique aux alentours de Bab Marrakech. Elle a vu, impuissante, les vitres de son magasin voler en éclats suite aux actes de vandalisme. « Ma voiture est carrément saccagée ! vitres brisées, phares cassés et carrosserie touchée, je n'arrive toujours pas à déceler les raisons de ce déchainement. C'est injuste !», s'insurge un quadragénaire, lui aussi victime de ce jeudi noir qu'ont vécu les Casablancais. Les images et vidéos de hooligans en plein acte de destruction ont été vite mises en ligne sur le Web, donnant froid au dos à tous ceux qui ont pu y jeter un coup d'œil. Les auteurs de ces actes qui étaient d'une rare violence sont, pour la plupart, âgés entre 15 et 20 ans. Certains parmi eux étaient cagoulés et semblaient se délecter du plaisir de tout saccager sur leur passage, particulièrement les biens publics. De lourds dégâts Huit rames de Tramway, sept autobus de transport public, 13 voitures et 15 locaux de commerce ont été gravement vandalisés. Au vu de cette situation, 213 personnes ont été interpellées, selon le ministère de l'Intérieur. Elles sont poursuivies, pour la plupart, devant une chambre criminelle suite à ces violents incidents. Après interrogatoires, elles ont été déférées devant le parquet général près la Cour d'appel de Casablanca. Sur ce total, seules cinq ont bénéficié d'un non-lieu et 206 seront poursuivies devant une chambre criminelle, une première au Maroc pour de tels faits. Elles encourront des peines de prison ferme. La date de la première audience a été fixée au 23 avril pour les majeurs, et au 21 mai pour les mineurs. Enfin, une personne sera jugée par un tribunal correctionnel, tandis qu'un militaire sera poursuivi devant une juridiction spécialisée. Les personnes poursuivies le seront pour « atteinte à l'ordre public, constitution d'une bande criminelle et atteinte aux biens des tiers ». Par ailleurs, d'après des sources judiciaires, les investigations ont permis de recenser quelque 500 cas de vols, agressions à main armée et dégâts de biens publics et privés lors de ces violences. Les Black Army, groupe Ultra de l'AS FAR, y trouve à redire. « Le public Casablancais a tout fait pour créer la zizanie et chauffer à bloc les esprits. Comment peut-on expliquer que les Rajaouis et les Wydadis s'unissent contre nous ? On est à nous seuls une force et on n'a pas besoin de la prouver. On est contre tous ces actes de vandalisme qui nuisent à l'image du football national », lance leur porte-parole. En tout cas rien ne justifie la violence. Où sont les flics ? En l'absence de toute mobilisation des forces de l'ordre, qui étaient visiblement dépassées par les événements, les actes de vandalisme ont très vite pris de l'ampleur et les hooligans ont largement profité de l'absence des forces de l'ordre. « Ce n'est pas de notre faute si les autorités n'ont pas assuré la sécurité du cortège qu'on comptait faire à Casablanca. On a pris en assaut la gare. Ils devaient s'y attendre tout de même », souligne le porte-parole des Black Army. Pourtant, 3.000 membres des forces de l'ordre avaient été mobilisés dans la capitale économique. Le premier constat de l'enquête menée par les autorités montre que le plan dessiné au départ par la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) n'a pas été tout à fait respecté. Et contre toute attente, ce n'est pas la police qui est pointée du doigt, mais plutôt l'Office national des chemins de fer (ONCF). Le directeur de la gare Casa Voyageurs risque, en effet, d'être suspendu de ses fonctions puisqu'il est désigné comme le principal responsable du dérapage sécuritaire du jeudi noir. Selon le ministère de l'Intérieur, en collaboration entre les deux wilayas de Casablanca et de Rabat, les services sécuritaires ont élaboré un plan pour sécuriser le déplacement des supporters. Ceux de l'AS FAR devaient descendre à la gare de l'Oasis, la plus proche du complexe et où les services de la police étaient prêts pour les accompagner à partir de la gare jusqu'au stade Mohamed V. Mais dans le train, l'un d'eux aurait appuyé « abusivement » sur la sonnette d'alarme, poussant son conducteur à s'arrêter à Casa Voyageurs et à ouvrir les portes, conformément à la procédure prévue en cas d'urgence. La suite est connue. « Pourquoi le train était plein à craquer ? Pourquoi s'est-il arrêté durant 15min à la gare d'Ain Sebââ ? Pourquoi ont-ils ouverts les portes à la gare de Casa-Voyageurs ? Surtout que le match était prévu depuis longtemps et les menaces annoncées d'avance. Pourquoi ne se sont-ils pas préparés à l'événement ? Finalement, les médias portent également leur part de responsabilité parce qu'ils ont tout fait pour chauffer les esprits. Aujourd'hui, on veut juste récuser toutes les accusations portées à notre encontre et demander à la justice de libérer nos prisonniers », martèle le porte-parole des Black Army. A noter que la plupart des arrestations ont été faites en se basant sur les vidéos et les images postées sur internet... Et dire que le Maroc s'apprête à organiser deux fois de suite la Coupe du monde des clubs ! Avec ces violences, il est certain que le Maroc footballistique sera vu d'un autre œil au niveau international. Paru dans L'Observateur du Maroc n°213