Le voyage de Nicolas Sarkozy à Damas, les 3 et 4 septembre marque une double rupture. Rupture du côté français, avec la volonté affichée du président Sarkozy de tourner le dos à la politique chiraquienne à l'égard de Damas. Celui-ci avait coupé avec Bachar el-Assad qu'il rendait responsable de l'assassinat en 2005, de son ami Rafic Hariri, le Premier ministre libanais. Les relations entre les deux pays étaient devenues exécrables et la visite à Damas, la semaine passée, du ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, était la première d'un chef de la diplomatie française depuis 2003. La seconde rupture est à porter au crédit de la Syrie. Depuis sa visite à Paris le 13 juillet, lors du sommet créant l'Union des pays de la Méditerranée, et en participant le 14, à la fête nationale française, Bachar el-Assad a montré sa volonté de renouer d'abord avec la France et à travers elle avec l'Europe et les Etats-Unis, le seul pays qui compte vraiment au Proche-Orient. Dans ce pays opaque et compliqué, ce changement de pied initié par le chef de l'Etat n'est, apparemment pas, applaudi de tous. Au sein du pouvoir et de l'establishment politique et militaire, un premier camp, y compris dans le cercle familial, estime que l'intérêt de la Syrie est, d'abord, de privilégier son alliance stratégique, militaire et financière avec l'Iran. Pour ces généraux, dont Assef Chawkat, beau-frère du président (apparemment mis sur la touche), ces chefs des services de renseignements (il y en a trente), hauts fonctionnaires et apparatchiks du parti, la Syrie, sans grands moyens, entourés de pays proches des Etats-Unis, tire sa force de son alliance avec l'Iran. Elle peut ainsi continuer à soutenir militairement le Hezbollah, bras armé syrien au Liban. Le Hezbollah permet à Damas de garder un moyen de pression contre Israël pour tenter de récupérer le Golan occupé. Le second camp constitué des proches de Bachar el-Assad, civils et militaires, veulent, comme le président, moderniser le pays, au moins économiquement sinon politiquement. Normaliser leurs relations avec la France est le premier pas pour reprendre des relations avec l'ensemble des pays occidentaux, dont les Etats-Unis. Ces tenants de l'ouverture, apparemment moins nombreux que les partisans du statu quo, comptaient dans leur rang le général Slimane. Proche conseiller de Bachar, responsable de la sécurité présidentielle, patron du programme nucléaire syrien, il a été assassiné, au mois d'août, en plein jour, dans sa villa du bord de mer, devant sa femme et sa petite fille, par une demi-douzaine d'hommes porteurs de cagoules et munis de silencieux. Ils étaient évidemment en service commandé. Pour qui travaillaient-ils ? Le mystère semble total à Damas, mais beaucoup veulent y voir un avertissement lancé à Bachar el-Assad. Une certitude : alors que la France répète que la normalisation de ses relations avec la Syrie se mesurera à l'aune des nouvelles relations libano-syriennes, Bachar el-Assad semble veiller à ne fâcher personne. Damas a fait des pas énormes vis à vis du Liban comme le lui a demandé Nicolas Sarkozy. Au printemps, les parlementaires libanais ont fini par élire un président, le général Michel Sleimane. En clair, Damas et Téhéran ont donné le feu vert aux députés du Hezbollah pour qu'ils votent en faveur de l'unique candidat. Dés le lendemain, la Syrie et l'Iran signaient un accord de défense que Damas reculait sans cesse. Deuxième pas de géant effectué par la Syrie vis à vis de son voisin libanais : la visite à Damas de Michel Sleimane, le nouveau chef d'Etat du Liban qui se soldait par l'annonce de l'établissement de relations diplomatiques entre les deux pays. Pour la Syrie, c'est un abandon de sa politique traditionnelle qui voit dans le Liban un morceau de la Syrie détaché par la France pour donner un Etat aux chrétiens de la montagne libanaise. Damas s'était toujours refusé à reconnaître l'indépendance du pays du Cèdre. L'annonce à la mi-août, de l'échange d'ambassadeurs dans les deux mois, était suivie d'une visite de Bachar el-Assad à Téhéran. Fin août, lors du voyage de Kouchner à Damas, le ministre syrien des Affaires étrangères reportait à la fin de l'année, l'échange d'ambassadeurs, pour des raisons techniques . Manifestement, à Damas, Bachar el-Assad n'a pas les mains totalement libres pour mener une nouvelle politique. Il doit tenir compte de nombreux intérêts contraires et va tenter de naviguer entre ses anciens amis iraniens et ses nouveaux amis français. Un exercice difficile.