La réforme de la Caisse de compensation revient au-devant de la scène. Manque de courage ou absence de volonté politique ? L'envolée actuelle des prix des matières premières, avec des cours du pétrole dépassant les 100 dollars le baril, laisse présager d'une hausse inévitable des prix des produits subventionnés par la Caisse de compensation (le sucre, le tournesol, le pétrole, le gaz et la farine). Pas question dans le contexte régional actuel. Ainsi en a décidé le gouvernement qui vient de réinjecter 15 Md DH à la Caisse, s'ajoutant aux 17 Md DH préalablement consacrés par le Budget 2011. Le coût de la compensation passe ainsi du simple au double : 4% du PIB en à peine deux mois d'exécution de la loi de Finances 2011. De quoi faire grincer des dents les partisans de la vérité des prix, ceux qui ne voient plus l'utilité de maintien d'une caisse ayant raté sa cible de départ : soutenir le pouvoir d'achat des Marocains défavorisés. D'où la question qui se pose avec grande acuité : la Caisse de compensation a-t-elle toujours raison d'être ? A travers ce renflouement de la Caisse, le gouvernement dit vouloir anticiper toute atteinte au pouvoir d'achat des Marocains, ce que d'aucuns y voient une réponse «logique» aux révoltes populaires qui secouent le monde arabe. Quoi qu'il en soit, la Caisse de compensation continue à grever le Budget de l'Etat. En 2008 déjà, les dépenses de la Compensation avaient atteint le record de 36 milliards de dirhams, soit 4,6 % du PIB et 84% du Budget d'investissement 2008. Depuis cette date, la Caisse aura ainsi absorbé l'équivalent de 100 milliards de dirhams. Des voix s'étaient élevées demandant la suppression pure et simple d'une caisse qui ne profite que faiblement aux plus démunis. «Nous sommes en train de réfléchir à la meilleure façon de rationaliser son intervention», soulignait récemment Khalid Naciri, porte-parole du gouvernement. Il s'agit en effet d'assurer une meilleure allocation des ressources et un bon ciblage des bénéficiaires. Or, hormis quelques mesurettes, la réforme de la Caisse de compensation est loin d'être entamée. Dysfonctionnements à la pelle Au lendemain de sa prise de fonction, Nizar Baraka, ministre des Affaires économique et générales, en charge de ce dossier, avait procédé à un diagnostic sans concession. C'est un secret de polichinelle. Le système de compensation tel qu'il est en vigueur aujourd'hui est truffé d'aberrations et d'anomalies. Il est d'abord hétérogène en raison de la multitude des textes juridiques et réglementaires le régissant. «Certains arrêtés et décisions sont loin de la réalité économique en ce sens que les structures des prix y figurant sont anciennes et génèrent des marges importantes pour les opérateurs et augmentent le coût d'intervention de l'Etat», souligne-t-on dans un document établi par le département de M. Baraka. Mais le plus inquiétant, de l'avis des observateurs, reste le manque de ciblage des populations qui devaient en bénéficier. «Le système de compensation est un système de subvention généralisé et aveugle profitant beaucoup plus aux classes aisées qu'à la population démunie.» Cette dernière ne profite que de 9% du Budget de compensation alors que 20% de la population aisée bénéficie de 43% de ce budget. Un exemple. 20% de la population aisée profite de 75% du Budget alloué à la compensation des produits pétroliers, tandis que 20% de la population démunie n'en profite que de 1% ! Le département de Nizar Baraka n'omet pas non plus de pointer du doigt la non-efficience des filières compensées. Explication : «Le système de compensation assurant des marges confortables et des parts de marchés garanties n'incite pas les opérateurs dans les filières concernées à développer leur techniques de production et de commercialisation dans le but de réduire le coût, et par conséquent les prix, et améliorer la qualité des produits.» Un autre exemple de l'économie de rente instituée par le modèle de compensation actuel : toute une armée d'intervenants gravitent autour du système ; dans la mesure où, entre le stade de production ou d'importation et celui de vente aux consommateurs, on ne compte plus le nombre d'intermédiaires. Conséquence directe : le Budget de compensation doit supporter les marges d'intervention de tout ce beau monde. «Ce qui, au final, génère un surcoût pour le consommateur et les usagers des produits compensés», souligne un économiste. L'absurdité du système se manifeste également par les difficultés de contrôle des produits compensés, en raison d'une pléiade de contrôleurs (Energie, Intérieur, Agriculture, Commerce et Affaires économiques et générales), alors qu'aucune coordination ou concertation n'existe entre eux. «Les actions dispersées des différents départements rendent inefficaces les opérations de contrôle sur le terrain», remarque cet économiste. Qui en profite ? A ces dysfonctionnements communs à tous les secteurs compensés s'ajoutent d'autres maux propres à chaque filière subventionnée. A titre d'exemple, les prix pratiqués pour la farine nationale de blé tendre sur le marché sont souvent supérieurs au prix officiel, alors que la commercialisation de cette farine est parfois concentrée entre les mains d'une seule famille dans certaines villes ou localités. Sans oublier que les fraudes sur la qualité et la quantité sont monnaie courante. Pour le sucre, le rapport de Nizar Baraka n'a pas été tendre vis-à-vis de l'unique opérateur du secteur, Cosumar en l'occurrence. Il signale qu'il intégrer des éléments déjà compris dans le prix réglementé-sortie raffinerie (l'emballage, notamment). Ce qui génère un surcoût pour le consommateur. «A cela s'ajoute le prix-cible à l'importation qui ne reflète pas la réalité économique d'aujourd'hui et qui dégage pour la société une plus-value.» Pour un meilleur ciblage des consommateurs, il est vivement recommandé d'afficher le prix sur les emballages du sucre et de la farine. Le but étant de lutter contre la spéculation sur ces denrées de base. La compensation des produits pétroliers souffre, elle aussi, de surcoûts générés par la structure actuelle des prix. Le taux d'adéquation (2,5%) qui correspond à une marge de raffinage, est une aberration flagrante dans ce secteur. Le rapport de Nizar Baraka propose tout simplement sa suppression, étant donné que les prix des produits pétroliers au Maroc sont indexés sur les produits raffinés, incluant déjà cette marge. Inadaptées à la réalité économique actuelle, toutes les structures des prix des produits compensés nécessitent une remise à plat, ce que le gouvernement El Fassi n'a pu réaliser jusqu'au bout, se limitant à des actions plutôt timides comme pour la farine nationale. Tandis que les programmes de ciblage direct des populations démunies, comme Ramed (santé pour les indigents) ou Tayssir (dotation monétaire contre scolarisation des enfants) n'ont pas dépassé le stade de projet-pilote. En l'absence d'une réforme de fond du système actuel, il est clair que la Compensation présentera toujours un lourd fardeau pour les finances publiques. S'il a déjà dévié de sa population cible (la population défavorisée), le maintien du système de compensation semble répondre plus au souci de préserver le pouvoir d'achat de la classe moyenne. Or, en l'état actuel des choses, il est clair qu'il ne profite ni aux uns ni aux autres mais plutôt à cette armée d'intermédiaires, de spéculateurs et de rentiers d'un autre âge, qu'on pensait révolu. Mais jusqu'à quand ? Said El Hadini