Récit en trois actes d'une semaine historique pour le secteur des télécoms au Maroc. L'histoire s'accélère pour le secteur des télécoms. Coup sur coup, trois événements majeurs donnent un éclairage saisissant sur cette accélération. Le 23 février 2010, le Maroc des NTI avait rendez-vous avec deux faits majeurs : le démarrage d'Inwi, opérateur GSM adossé à Wana Corporate et l'annonce des résultats de Maroc Telecom pour l'exercice 2009 (voir page 23). Au lendemain de ce double événement, l'ANRT (Agence Nationale de Réglementation des Télécommunications) diffusait la note d'orientation qui structure l'avenir du secteur d'ici 2013. A la lecture de cette note, un nouveau paysage devra naître dans les prochaines années. L'ANRT annonce l'arrivée de nouveaux entrants sur le segment du fixe à partir de 2011 ainsi que de nouveaux opérateurs d'infrastructures pour le développement du haut débit, levier considéré comme étant stratégique pour les prochaines années. A cet effet, et pour développer le très haut débit mobile, de nouvelles technologies dites de 4éme génération seront lancées. Pour le régulateur, l'enjeu est de lancer d'autres services autres que la voix et le sms. EN effet, le marché des télécoms marocain reste «basique» comparé à d'autres marchés de la région (l'Algérie par exemple). Les contenus multimédia (TV sur mobile, vidéos…) nécessitent de «gros tuyaux» notamment en fibre optique afin d'avoir une qualité de service «à la hauteur des attentes du consommateur» dixit l'ANRT. Côté concurrence, un nouveau cadre de régulation. Celui-ci porte sur trois éléments : en premier lieu, le partage des infrastructures techniques entre les opérateurs afin d'éviter les investissements redondants dans les BTS, les accès… En deuxième lieu, le développement de la portabilité des numéros (le client garde son numéro même s'il change d'opérateur) et enfin l'asymétrie sur les tarifs d'interconnexion. Autrement dit, un opérateur comme Inwi (nouvel entrant) ne payera pas les mêmes tarifs sur les terminaisons d'appels que les plus anciens. L'asymétrie devra être supprimée en 2013 après une étude d'impact. Objectif du régulateur : inciter à la baisse des tarifs de détail. L'étude du cabinet international Nielsen dont Le Temps publie en exclusivité les principaux enseignements (voir page 20) montre clairement que le consommateur marocain considère que les prix des télécoms restent chers. Enfin, et contrairement aux années précédentes, l'ANRT aura de nouvelles attributions qui vont lui permettre d'avoir plus de pouvoirs notamment en matière de «sanctions pécuniaires» en cas de non-respect par les opérateurs de leurs engagements. La mesure cible de façon à peine voilée le périmètre de l'opérateur historique. Ce dernier semble avoir anticipé l'arrivée de ces «contraintes réglementaires» et déploie désormais une stratégie adaptée en conséquence en misant de plus en plus sur les marchés africains tout en protégeant ses parts de marché au Maroc. Avec la nouvelle note et le plan Maroc Numeric, 2013 s'annonce comme l'année de la maturité des télécoms au Maroc. A.Z. L'opérateur Inwi arrive sur un marché où le consommateur a l'envie de communiquer sans en avoir les moyens. Sondage exclusif Les Marocains et leur mobile Pas de doute : à voir les queues formées dès le 1er jour du lancement des offres d'Inwi, les Marocains démontrent une fois de plus qu'ils sont un peuple accro au mobile. Le portable est une vraie passion collective qui ne faiblit pas malgré la multiplicité des offres, la présence de trois opérateurs et la banalisation de la technologie GSM. Depuis quelques jours, à la faveur de la vague mauve d'Inwi, le mobile alimente à nouveau les conversations de café, suscite les envies les plus folles et les frustrations qui vont avec… Car les Marocains adorent leur mobile et aiment s'afficher avec. Signe extérieur d'une richesse supposée, le portable devient un accessoire identitaire qui dépasse de loin sa simple fonction d'appeler et de recevoir des communications. «Montre moi quel portable as-tu, je te dirais qui tu es…». Un couteau suisse... Cette passion des Marocains pour leur mobile vient pour la première fois d'être analysée à travers un sondage sérieux réalisé par le cabinet international Nielsen. L'étude effectuée du 27 janvier au 8 février dans 7 villes marocaines, a concerné un échantillon d'un millier de personnes, interrogées à leur domicile. Elle donne une idée assez précise de la perception des Marocains concernant la notoriété de leurs opérateurs téléphoniques, le niveau des prix, leurs habitudes d'usage… En exclusivité, le Temps s'est procuré l'intégralité du sondage dont juste quelques rares chiffres ont pu filtrer dans la presse. Les enseignements de l'étude sont impressionnants et confirment une réalité amère : les Marocains aiment leur mobile mais n'ont pas les moyens de jouir de cet amour. Autrement dit, ils n'ont pas assez d'argent pour appeler, fonction principale d'un téléphone ! Pour autant, les Marocains vouent un vrai culte à leur portable. Plus qu'un couteau suisse, le mobile «rend la vie facile» pour 57% des sondés, «amusante» pour 17% et «libre» pour 9,2%. Derrière ces expressions simples de «facilité», «liberté» et «amusement» se cache une véritable révolution sociale en termes de comportements, de relations hommes/femmes et de communications interpersonnelles… Autre chiffre intéressant : près de 9 Marocains sur 10 disposent d'un seul numéro. «La multi-possession est un phénomène qui touche plus de 12% du marché du mobile marocain» commente le cabinet international. Les personnes disposant de plus d'un numéro expliquent ce choix par une volonté de séparer réseau personnel de celui professionnel ou de bénéficier d'une promotion lancée par un des opérateurs de la place. Frimeurs nés, les Marocains adorent les nouveautés. D'ores et déjà, un tiers de l'échantillon interrogé déclare avoir un téléphone 3G… sachant que le coût de ce dernier n'est pas donné. Côté relations avec les opérateurs, les sondés ont des appréciations différentes. Abdeslam Ahizoune, le patron de Maroc Telecom qui vient d'annoncer cette semaine les résultats 2009, peut afficher sa satisfaction. IAM a un taux de notoriété spontanée de 98% ! Autrement dit, à part les nouveaux nés, tous les Marocains connaissent Maroc Telecom ! Méditel n'est pas loin avec un taux de notoriété spontanée de 90% tandis que Wana score à 54%. Fait étonnant : Bayn, la marque de téléphonie fixe avec mobilité restreinte de Wana, est perçue par un interrogé sur trois comme étant un opérateur à part et affiche un taux de notoriété spontanée de 36%. Wana, devenue entre-temps Inwi, compte d'ailleurs lui consacrer un réseau de distribution à part pour bien valoriser son statut actuel et coller à la perception du consommateur. C'est connu : concurrence oblige, les opérateurs multiplient les promotions pour attirer les clients du mobile. Les astuces sont nombreuses : téléphones offerts, appels gratuits, numéros illimités, bonus sur recharge, double recharge voire triple recharge, SMS gratuits… Par rapport à ce flot de promotions, les Marocains restent partagés. Quelque 43% des sondés n'y croient pas du tout surtout à l'idée de gagner un portable gratuitement ! Toujours côté promotions, la double recharge se banalise et les opérateurs sont acculés à offrir maintenant de «la triple recharge» pour inciter les clients à… appeler. Explication du cabinet Nielsen : «La plupart des users préfèrent la triple recharge… la double recharge vient en dernier… Il semble que celle-ci devient un acquis pour les utilisateurs». L'étude prend un relief particulier quand elle traite le volet prix. Pour plus d'un Marocain sur deux, les prix des communications restent «chers, très chers» au Maroc et pour 50% des interrogés, le coût d'un appel dépasse les 5DH. Les consommateurs sont en revanche pour plus de la moitié convaincus qu'il existe «une vraie concurrence entre les opérateurs». Autre enseignement majeur : au moment où Inwi introduit la tarification à la seconde, l'étude de Nielsen montre que la facturation à la minute reste le mode préféré des utilisateurs du mobile. Une question majeure : quand est-ce qu'un Marocain appelle à partir de son mobile ? La réponse donne froid au dos : quand il est acculé à le faire ! En effet, près d'un sondé sur deux n'appelle qu'en cas d'urgence. Et quelque 43% utilisent le langage du «bipage», essentiellement pour se faire rappeler. La boite vocale est «la bête noire» des Marocains. D'ailleurs, 62% des utilisateurs «ne laissent jamais de message sur la boite vocale». Friands de nouveautés, les consommateurs sont intéressés par une offre d'internet mobile à condition que «le prix soit intéressant». Enfin, 81% des utilisateurs du mobile utilisent toujours la téléboutique et 23% le font quotidiennement. C'est le secret du succès de l'offre de téléphonie Bayn dont le plan tarifaire reproduit celui de la téléboutique. Face aux paradoxes du marché des télécoms, les opérateurs essayent de trouver des solutions pour débloquer l'usage. Inwi est arrivé avec une panoplie d'offres alliant l'attrait terminaux (Backberry en prépayé !) et des promotions sur la consommation sans précédent. Par la voix de son Président, Maroc Telecom a annoncé sa volonté de poursuivre la baisse des tarifs dans le cadre de la logique «d'abondance». Méditel ne devra pas tarder à riposter. Une bataille de géants pour quelques dirhams de plus… Abdelkhalek Zyne Grâce aux revenus du mobile et à l'International, Maroc Telecom maintient sa profitabilité. La sérénité d'un leader Hasard de calendrier ou pas, Abdeslam Ahizoune, Président du Directoire de Maroc Telecom, a tenu sa conférence de presse relative aux résultats 2009 le jour même du lancement commercial des offres d'Inwi, soit le 23 février. Premier de la classe avec un chiffre d'affaires qui dépasse le cap de 30 milliards de DH, en hausse de +2,8%, un résultat opérationnel avant amortissement de 18,1 milliards de DH en hausse de 2,9% et un résultat opérationnel de 14 MrDH, Abdeslam Ahizoune avait l'exercice relativement facile devant une salle de presse acquise à l'avance à sa cause. Il a donc déroulé avec calme les performances de Maroc Telecom sur le marché local et présenté ses succès en Afrique. La surface technique, commerciale et financière de l'opérateur est telle qu'il reste difficile d'envisager de le secouer outre-mesure. Une progression de 2,8% vaut son pesant d'or sur le marché des télécoms. D'ailleurs, Ahizoune refute d'un revers de main que l'âge d'or de Maroc Télécom se soit révolu. «Il est devant nous !», dit-il. Par prudence, la présentation d'Ahizoune note deux changements majeurs pour 2010 : une nouvelle feuille de route réglementaire et l'arrivée d'Inwi sur la 2G. Bienvenue à Inwi ! Interpellé tout naturellement sur la stratégie du nouvel entrant, le Président du Directoire de Maroc Telecom a usé de son talent de diplomate en souhaitant la «bienvenue à Inwi» et en rappelant que Maroc Telecom «écoute le client et non le concurrent». L'opérateur a en fait déjà anticipé l'arrivée de Wana sur la 2G dès le début de l'année en déclenchant une stratégie d'acquisition des clients très agressive couplée avec des programmes de fidélisation pour protéger ses parcs de clientèle notamment le prépayé mobile. Il a également misé sur la qualité de service notamment la relation-client et déployée une stratégie d'image sur les contenus et les usages innovants comme Mobicash ou le triplay. Il joue désormais la carte de la récompense de l'usage pour densifier la consommation de ses clients. Sur l'internet, malgré le succès fulgurant de la 3G, Ahizoune reste convaincu qu'il existe encore de la place pour l'ADSL filaire. Il vient d'annoncer un up-grade vers 1Mo de tous les clients Menara ADSL «sans toucher au prix». Pour autant, l'opérateur historique ne dort pas sur ses lauriers. Il s'engage dans une stratégie de maintien de ses parts de marché localement (baisse des tarifs et stimulation des usages) et de conquête en Afrique et souhaite garder un niveau de «profitabilité élevée» au bénéfice de ses actionnaires. Le conseil de surveillance de Maroc Telecom proposera d'ailleurs de distribuer l'intégralité du résultat de l'exercice 2009, soit un montant global de 9,063 milliards de DH représentant un dividende de 10,31 dirhams par action. A.Z.